Rester vertical, le nouveau film d'Alain Guiraudie après L'Inconnu du lac en 2013, sort en salles ce mercredi 24 août. Une grande œuvre sur le sexe, la paternité et le rêve.
Le goût de la drague en été. Guiraudie nous avait réveillés, le mariage pour tous à peine voté, avec cette bombe d'Inconnu du lac qui n'a pas fait que bouleverser les gays. Obtenant un solide succès critique - la Queer Palm à Cannes - et un certain succès en salles avec plus de 100.000 entrées, Alain a vu pour la première fois son public s'élargir, lui qui est décrit comme un réalisateur puriste pas prêt à faire des compromis.
L'époque l'a aidé, aussi, sans doute : la France venait de passer une année écrasée sous les slogans de la Manif pour tous, tout le monde s'était mis à débattre d'homosexualité, et ce film, que Guiraudie n'avait absolument pas écrit en lien avec le débat, est devenu une sorte d'étendard - au point que les mairies de Versailles et de Saint-Cloud avaient fait censurer l'affiche.
Aujourd'hui, Alain Guiraudie ne veut toujours pas faire de politique. Pourtant les discussions sur l'homoparentalité, la coparentalité, la GPA même, constituent la trame de fond de Rester vertical.
Léo, Marie, Jean-Louis, Marcel et Yoan
Il est passé du lac de Sainte-Croix, entre le Var et les Alpes-de-Haute-Provence, pour L’Inconnu du lac, à un triangle géographique incongru dans Rester vertical : le Causse Méjean, un immense plateau en Lozère, le Marais Poitevin, et la ville de Brest. Trois points cardinaux entre lesquels Léo, le nouvel anti-héros de Guiraudie, accumule les (més)aventures loufoques. Au point que le spectateur perde tout repère entre rêve (des situations trop rocambolesques pour être vraies) et réalité (une réalité sociale, celle de la misère).
Scénariste paresseux, Léo erre sur un plateau à la recherche du loup et tombe sur Marie, la trentaine, revenue aider son père qui galère à la bergerie. Ils s'embrassent, Marie lui met la main au panier : "Quand Léo rencontre Marie ils couchent tout de suite ensemble, c’est fini le bon vieux truc d'aller au resto, même pour les hétéros", nous apprend Alain Guiraudie avec sa nonchalance habituelle. Très vite, Léo et Marie décident d'avoir un enfant. La restitution de sa grossesse est déroutante : "plan Cap d'Agde" (comme le disait le réalisateur à propos des mecs allongés les parties génitales au vent dans L'Inconnu du lac) sur le sexe de Marie quand elle apprend à Léo qu'elle est enceinte/ gros plan sur un accouchement réel/ et, immédiatement, un plan sur Léo tenant le bébé de trois mois dans les bras.
"Mon film le plus queer"
Si vous n'avez vu que L'Inconnu du lac, vous vous demanderez sans doute où Guiraudie veut en venir avec cette histoire d'amour entre un homme et une femme qui ressemble à beaucoup d'autres. Mais si vous avez lu son roman Ici commence la nuit, paru chez P.O.L en 2014, vous savez que la situation dérape toujours. Léo va croiser Marcel, un papi homophobe et misogyne qui adore se faire sodomiser, le jeune Yoan, son auxiliaire de vie, ainsi que Jean-Louis, le père de Marie, qui le désire en secret dans le tintamarre de ses brebis. C'est que Marie est partie, laissant le nourrisson aux bons soins de Léo et de son père :
"Mon film va dérouter un tas d'hétéros, c'est certain, mais aussi un tas de gays, affirme Guiraudie. C’est mon film le plus queer. Pour L’Inconnu du lac, on m’avait filé la Queer Palm alors qu'il s'agissait de gays qui se draguent sur une plage. Là, je n'entre pas du tout dans le catalogue LGBT."
Alain Guiraudie a la phobie d'enfermer ses personnages, au point qu'il refuse de décrire Léo comme bisexuel :
"Je ne sais pas si Marie est sa première copine ou pas. Cela ne fait pas de nous des hétéros d’avoir un enfant avec une nana, et ça ne fait pas de nous des homos de coucher avec un mec. Léo, je ne l’ai pas traité comme un homo ni comme un hétéro."
Aussi, si vous vous attendez à revoir des beaux mecs faisant l'amour dans les bosquets comme dans L’Inconnu du lac, nous sommes obligés de vous prévenir que ce ne sera pas le cas.
"On voit plus le sexe de Marie que celui de Léo. Je ne fais pas des films que pour les homosexuels non plus ! (Rires) J’étais content de voir que L’Inconnu du lac pouvait rayonner chez les hétéros. Et je ne suis pas sûr que les homos n’aillent voir que des films qui mettent en scène des gays."
Il a fait un bébé tout seul
L'originalité de Rester vertical est de présenter une sorte de coparentalité à… six. Le père et le grand-père sont souvent seuls à élever l'enfant dans la bergerie, mais il tombe et retombe dans les bras de Marie, Yoan et Marcel. Léo protège son enfant, refuse de le faire dormir dans une autre chambre la nuit, veille sur lui à chaque instant :
"Le film brasse en effet tous les débats qu’on a eus pendant le mariage pour tous. Je voulais dire qu’une mère n’est pas assignée à l’instinct maternel. Ca peut arriver qu’une femme n’ait pas envie de son enfant. De même qu'un mec peut se retrouver avec un bébé tout seul, et que ça peut lui plaire !"
Léo rencontre malgré tout de nombreuses déconvenues dans l'éducation de son fils, au point qu'il décide de se rendre chez une guérisseuse (une "naturopathe psychologue" selon la terminologie guiraudienne) pour l'aider. Elle est Mirande, le sixième "parent" du bébé. Pour aller consulter, Léo doit remonter une rivière en ramant ("lâcher prise avec la civilisation, laisser la bagnole" résume joliment Guiraudie) et ce sont des moments de quiétude pour Léo et son fils, matérialisés par une lumière somptueuse.
Loup y es-tu ?
L'autre personnage du film, invisible même lorsqu'il tue, sauf dans le finale paralysant, c'est le loup. Guiraudie s'intéresse de près à la situation des éleveurs:
"Plusieurs éleveurs m’ont dit que la situation n’était plus tenable à cause des loups, ils sont désespérés. Du coup je milite pour qu’on arrête de les considérer comme une espèce protégée. Et en même temps, ça m’emmerderait beaucoup qu’ils disparaissent ! Comment faire pour concilier les deux ?"
Au beau milieu de ce tissu de désirs, assouvis ou pas, un questionnement écologique trouve ainsi sa place. Pour Alain Guiraudie, "cela va au-delà de la question du loup : ça pose la question du monde dans lequel on veut vivre".
Aujourd’hui, Alain Guiraudie sort son premier film depuis 2013. Mais il n’appréhende pas la sortie : "Déjà pour moi, c’est un succès, je vois qu’il y a une vraie attente autour du film. Je ne fais pas la chasse aux entrées, je ne conçois pas mes films pour un million de spectateurs. Mais ça fait toujours plaisir de voir qu’on est un peu universel".
[embedyt] http://www.youtube.com/watch?v=lJyTuJYGjIA[/embedyt]
Rester vertical de Alain Guiraudie. France. 1h40. Distribution : Les Films du losange
Dimanche prochain, retrouvez en intégralité l'entretien de TÊTU avec Alain Guiraudie.