Entre la drague reloue et l’agression sexuelle, il n'y a qu'un pas. Lorsque celle-ci est répétée, c'est un vrai harcèlement. Et les gays n'y échappent pas. Patrons ou collègues ambigus, approches un peu cavalières en club, de nombreux témoignages viennent éclairer ce sujet tabou chez les LGBT.
Les femmes sont victimes d'une tyrannie quotidienne : leurs témoignages en tant que victimes de harcèlement sexuel augmentent, même si un tiers d'entre elles restent muettes. Près de 20% d’entre elles ont déjà dû faire face à des blagues graveleuses, des sous-entendus ou des gestes de proximité indus (considérés comme des attouchements). La liberté sexuelle acquise depuis les années 70 a été accompagnée d'une libération globale des mœurs, faisant également entrer l’homosexualité dans les champs des possibles et de l’acceptable. Ouvertement exprimés ou non dans l’entreprise, dans les familles et dans la société en général, les homosexuels masculins sont toujours victimes d’une image de facilité, de soumission ou de légèreté, pas toujours justifiée.
Lorsque nous avons passé un appel pour que nos lecteurs témoignent sur le harcèlement sexuel - des situations dans lesquelles les agresseurs agissent de façon répétée -, nous ne nous attendions pas à tant de retours.
De nombreux témoignages d'agressions ponctuelles, mais aussi de ce que l'on peut considérer comme un harcèlement répété :
X : (nous avons choisi de ne pas donner son nom, X étant en ce moment même victime) Je suis harcelé en ce moment même par mon supérieur. Je suis en CDD, ils me renouvellent à chaque fois. Il est connu pour être un véritable tyran avec l'équipe, il est gay et tout le monde est au courant. Un jour il m'a convoqué dans son bureau sous prétexte d'en savoir un peu plus sur un client La conversation finit par tourner des sujets intimes, et il m'a invité à boire un verre. Entre temps il a fini par trouver mon 06 et m'envoie des SMS, m'appelle... Il me fait plein de sous entendus. Il se sent en position de supériorité, il sait que ma situation professionnelle est ultra précaire et je pense qu'il joue avec…
Romain : Quand j’étais plus jeune j'ai bossé chez Zara (comme tout bon pédé qui veut des réducs sur les escarpins) mais le directeur du marketing régional (un cadre important donc) me harcelait complètement (mains, mots etc.). Il est même allé jusqu'à venir dormir chez moi un soir en prétextant un problème de réservation d'hôtel... il a gratté à ma porte tout la nuit ! J'ai démissionné peu de temps plus tard, mais pas pour cette raison, je l'ai bien cherché aussi avec mon petit cul rebondi et ma bouche à pas tomber enceinte…
Certains mettent ça sur le compte de la maladresse, d’un problème de communication (un échange de regards mal interprété), ou d’un manque de savoir dans la drague.
Ils évoquent également facilement de nombreuses agressions, dû à leur "homosexualité assumée", aussi bien dans les bars / clubs que dans l'espace public :
Dédé : Il y a toujours des situations où un mec un peu relou te met une main aux fesses, voire directement dans le caleçon (une fois c'est arrivé dans le métro...) mais personnellement, ça ne me traumatise pas vraiment.
Jules : Vu que j'ai un look assez dingue et que je danse mieux que Beyoncé, des gens pensent que je suis une sorte de jouet. Un jour, un gars m’a attrapé les couilles et a rigolé. Il m'a juste répondu : "Mais c'est pour rire" en tentant d'attraper pour la troisième fois en 30 secondes mes testicules. Suis rentré dans une rage un peu folle je l'ai poussé plusieurs fois et j'ai failli le castrer en gueulant toute ma haine contre lui. À la fin de ma tirade, il m'a dit : "Mais pourquoi tu es si violent ?" Comme si ce n’était pas violent de toucher quelqu'un comme ça ! Et encore il y a deux semaines des gens m'ont mis des claques au cul et touché les tétons. Cette fois en milieu queer. Je vis ça vraiment comme des agressions, je me sens complètement objectifié et utilisé par ces nazes. J'adore qu'on me touche en vrai, j'adore les caresses, même avec des inconnus. Mais le consentement quoi ! C'est vital, primordial, la base.
Fernando : Quand j’habitais à Dublin, j'étais dans un club gay. J'étais en train d’embrasser un Espagnol et un Irlandais est venu et a commencé à balader sa main partout. Je lui dis stop, il m'a frappé et cassé un verre dans le bras. Résultat, je suis allé à l'hôpital pour mon deuxième jour dans le pays.
Le consentement avant tout
Pour d’autres, c’est même dans des lieux équivoques où la promiscuité sexuelle devient possible (toilettes, backroom…) qu'ils se considèrent victime d'une absence de limite. Ils rappellent que le consentement, même dans les lieux de consommation sexuelle, reste la base. On n’est pas forcément là pour s’offrir à tous.
Luka : Je pense que l'on a intégré le harcèlement sexuel dans le comportement gay. Quand je suis arrivé à Paris, je me faisais harceler, toucher, et subissais pas mal de remarques désobligeantes comme "tu pues vraiment le cul toi". Il y a les mecs qui me suivaient aux toilettes pour me mater la bite, un jour même il y en a un qui m'a supplié de le pomper alors que je pissais, je n'arrêtais pas de dire non mais il insisté au point de me la saisir et de tirer dessus... j'ai eu droit à des "Tu dis non mais tu ne vas pas le dire longtemps"… Aujourd'hui ça va mieux, j'en rigole, j'ai fait un travail thérapeutique où j'ai pris pas mal de distance avec ça. J'évite aussi de me mettre dans des situations ou de me coller à des personnes qui se sentent un peu trop proches de moi… J’ai eu aussi une expérience où on te fait bien boire (entre autres choses avec d'autres substances) pour te rendre plus docile. Je me suis toujours dis que pénalement c'est répréhensible, mais que cela n'était pas possible chez nous en tant que gays. Tant que ce n'était pas un viol....
D’autres temporisent sur les lieux spécifiques en précisant qu’une certaine culture du consentement existe peut-être ici plus qu’ailleurs :
Jules : Je fréquente les espaces de cruising en plein air et le concept de consentement là-bas est carrément magique ! Enfin il y a toujours des remous, mais en général personne ne vient te toucher. Puis si tu dis non, eh ben c'est non.
Mais pas toujours :
Matthew : J'adore faire la fête, danser, boire, rigoler, je suis un grand fêtard du samedi soir. Et dans le milieu gay bien sûr. Il m'arrive souvent d'aller faire un tour en backroom, pas pour essayer mais souvent pour faire visiter l'endroit à mes amis curieux. Une fois je m'amusais à me cacher pendant que mes amis me cherchaient. J’ai demandé à trois mecs de me cacher derrière eux. J’ai dit "merci" mais ils m'ont dit "c’est pas comme ça qu'on nous remercie". Ils ont commencé à me toucher alors que je me débattais, faisant part de mon mécontentement. Je me sentais prisonnier, humilié, j'ai alors hurlé, et mes amis se sont précipités en entendant ma détresse. C'est la première fois que j'en parle. Je me suis senti agressé sexuellement.
Pourquoi dans ces lieux permissifs deviendrions nous la propriété de tous ?
Au sein même de la communauté, une chose choque particulièrement un de nos lecteurs, c'est celui de certaines filles qui considèrent certaines gays comme si libérés que leurs corps sont en "self service" :
Dédé : La chose la plus insupportable, c'est la façon dont certaines filles-à-pédé se croient tout permis sous prétexte que les mecs sont homos. J'ai une sensibilité accrue au toucher car j'ai été violé par une femme quand j'étais adolescent. Récemment, j'ai vu une fille dans un bar homo se jeter au cou de tous les mecs en leur disant "Vous êtes tellement beaux, j'ai envie de vous embrasser" et qui trouvait ça normal d'embrasser des mecs qu'elle ne connaissait ni d'Eve ni d'Adam sur la bouche. Et pire : les mecs n'osaient pas l'envoyer bouler. Tu imagines un mec qui fait ça à des hétéras dans un bar ? Il finit au poste de police ! (Et tant mieux). C'est comme si à partir du moment où tu es pédé, ton corps cesse d'être privé…
Des gays et des femmes (donc) traitent parfois aussi mal les gays que les hommes traitent les femmes.
Des chiffres éloquents, malgré le silence
Les gays sont, certes moins que les femmes - et les lesbiennes donc - toujours plus victimes de cas de harcèlement que les hommes hétérosexuels. Peu d’études sur le sujet en France, mais aux Etats Unis, des chercheurs ont estimé que 26% des hommes gays et 37% des hommes bisexuels ont eu une expérience de viol, de violence physique ou de harcèlement par un partenaire, contre 29% des hommes hétérosexuels. En France, selon SOS Homophobie, les cas de harcèlement sont en hausse en un an (de 7 % à 12 % des cas) et surtout dans les contextes du quotidien : voisinage (un cas sur deux), milieu scolaire (un sur trois), travail (plus d’un sur quatre) et famille (un sur cinq).
On imagine bien les effets sur l'estime de soi et les potentiels dégâts dans les relations à venir, sans pouvoir vraiment quantifier au niveau national ces violences psychologiques ou physiques.
Quelques minutes notre premier échange, X. me recontacte :
X : Je viens de recevoir un message équivoque de mon chef... Moi qui me réjouissais de ne rien avoir reçu aujourd'hui...
Le harcèlement concerne tous ceux qui se sentent agressés contre leur gré, et les gays - qu'il soient jeunes, folles ou virils - n'y échappent pas pour autant.
Plus d’infos :
- La ligne d'écoute SOS homophobie : 01 48 06 42 41
- Une brochure en ligne : le consentement, un truc de pédé ? revient sur des histoires de constructions sociales de genre et de rapports de domination. Lire le texte sur le site
- Le site pour déclarer une agression ou un harcèlement
Pour en savoir plus :
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