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santé mentalePourquoi les gays sont-ils davantage victimes de solitude ?

Par Jérémy Patinier le 28/04/2017
solidarité dans la communauté gay solitude

C’est un article qui a résonné dans beaucoup de têtes, comme un signal d’urgence. Un pavé dans le Marais. Les gays sont – plus que les hétéros – victime de solitude et de ses conséquences psychologiques et comportementales qui les mettent en danger, qui les rend malades et les tue.

À côté de l’image des gays festifs et heureux en ménage (et encore merci, ils existent et par milliers), il y a une « épidémie de solitude gay » (comme se nomme l’article qui se penche sur la question) que personne n’avait jamais aussi bien pointé du doigt. Une longue étude qui met à jour les contradictions, les clichés et les besoins d’une communauté gay en perpétuelle évolution. L'auteur Michael Hobbes raconte ses discussions avec de jeunes gays aux États-Unis, des histoires qui pourraient « avoir lieu partout dans le monde ». À n’en pas douter. À les lire, on a même l'étrange impression qu'ils parlent de chacun d'entre nous....

Là-bas, comme en France, la grande majorité du grand public est en faveur du mariage entre personnes de même sexe, de l’adoption, de la PMA… En 20 ans, on est passé de 27% d'opinions favorables en 1996 à 61% en 2016 chez nos cousins américains. S’il est indéniable que la communauté LGBTQ a fait plus de progrès du point de vue légal, de la représentation dans la culture et de l'acceptation sociale que tout autre groupe démographique au cours de l'histoire, tout ne semble pas pour autant très rose "pour tous".

Les taux de dépression, de solitude et d'abus de toutes sortes dans la communauté LGBTQ n'ont pas bougé d'un iota depuis des décennies. Aujourd'hui :

- Les gays sont de 2 à 10 fois plus susceptibles de se suicider que les hétérosexuels;
- Nous avons deux fois plus de chances de vivre un épisode de dépression majeure;
- Dans un sondage auprès des hommes gays récemment arrivés à New York, les trois quarts des personnes interrogées souffraient d'anxiété ou de dépression, abusaient de l'alcool et des drogues ou avaient des comportements sexuels à risque, ou une combinaison de tout ça;
- Les gays ont moins d'amis proches que les hétéros ou les femmes lesbiennes;
- Aux Pays-Bas, où le mariage entre personnes de même sexe est légal depuis 2001, les homosexuels sont encore aujourd'hui trois fois plus susceptibles de souffrir d'un trouble de l'humeur que les hétéros, et 10 fois plus susceptibles d'avoir des gestes d'«automutilation suicidaire»;
- En Suède, qui permet les unions civiles de même sexe depuis 1995 et le mariage en bonne et due forme depuis 2009, les hommes mariés à un homme ont un taux de suicide trois fois plus élevé que les hommes mariés à une femme.

Ces constats tragiques faits, corrélés à des analyses que réalisent d’autres associations sur le terrain depuis longtemps, Michael Hobbes a interviewé de nombreux experts. Comme Travis Salway, chercheur au Centre de soins médicaux de Vancouver. Ce dernier a passé les cinq dernières années à tenter de comprendre pourquoi les hommes gais se suicident autant : "Auparavant, la principale caractéristique des homosexuels était la solitude ressentie "dans le placard". Aujourd'hui, des millions de gais s'affichent ouvertement, mais ils ressentent autant d'isolement."

Il a découvert que les gays, partout, peu importe leur âge, affichaient des taux plus élevés de maladies cardiovasculaires, de cancer, d'incontinence, de dysfonction érectile, d'allergies et d'asthme. Salway a découvert qu'au Canada, plus d'hommes gays mourraient par suicide que du sida, depuis de nombreuses années.

Les conséquences d'une culture du rejet

Selon Alex Keuroghlian, directeur du centre de santé LGBT de Boston, les homosexuels sont «conditionnés à anticiper le rejet». Le concept utilisé par les chercheurs pour décrire ce phénomène est celui du «stress minoritaire». Le concept est simple : être membre d'un groupe marginalisé requiert beaucoup d'efforts. Lorsque vous êtes la seule femme dans une réunion d'affaires ou le seul homme noir dans votre dortoir à l'université, vous pensez différemment des membres de la majorité. Globalement, on anticipe tellement les réactions en fonction de sa particularité (noir, femme, gay, handicapé, gros…), qu’on en développe une forme de stress qui nous pénalise. « Même si vous n'êtes pas stigmatisés ouvertement, penser constamment à ces possibilités devient usant, à la longue », analyse Hobbes.

William Elder, un chercheur et psychologue en traumatismes sexuels explique également : "Pour les hommes gais, le traumatisme provient d'une exposition constante au stress. Lorsque vous vivez un traumatisme, vous aurez le genre de trouble du stress post-traumatique qui se guérit avec 4 à 6 mois de thérapie. Mais lorsqu'il est dû à des années et des années d'exposition à de petits facteurs de stress — des petites choses qui vous font constamment vous demander "est-ce que c'est à cause de ma sexualité?" — ça peut être encore pire."

En fin de compte, grandir en tant que gay, serait aussi néfaste pour la santé que de grandir dans une extrême pauvreté.

Une étude de 2015 a démontré que les gais produisent moins de cortisol, une hormone reliée au mécanisme du stress. Leurs systèmes sont tellement constamment activés, à l'adolescence, qu'ils en deviennent amorphes à l'âge adulte, affirme Katie McLaughlin, l'une des auteures de l'étude. Dans une autre étude, en 2014, les chercheurs ont comparé les risques cardiovasculaires des adolescents gays et hétéros. Ce qu'ils ont découvert, c'est que les jeunes homosexuels ne subissent pas plus d'«événements stressants» (en d'autres mots, les hétéros ont eux aussi des problèmes), mais les événements stressants qu'ils vivent infligent plus de dommages à leurs systèmes nerveux. Une étude publiée en 2015 a démontré que les taux d'anxiété et de dépression étaient plus élevés chez les hommes qui s'étaient récemment affichés que chez ceux qui étaient encore dans le placard.

Pour finir de dresser un portrait un peu dramatique - mais utile - de la situation, on note en parallèle que Grindr, l’application de rencontre la plus populaire chez les gays, affirme que ses utilisateurs passent en moyenne 90 minutes par jour sur l'appli. 90 minutes !!! C’est devenu pour de nombreux hommes, le premier mode d'interaction avec d'autres gays. Plus facile, plus rapide, plus déceptif aussi… Ces "réseaux sociaux" participent à un certain sentiment d'exclusion. Car ils surlignent les opinions négatives que nous entretenons parfois déjà à notre propre sujet. Lors des interviews que William Elder a mené, il a découvert que 90% des gays affirmaient vouloir un partenaire qui soit grand, blanc, musclé et masculin. Pour la vaste majorité d'entre nous qui répondons parfois à un seul de ces critères, « ces applis de rencontres deviennent une excellente façon de nous sentir laids ». Même lorsque cela marche, certains plongent parfois dans une consommation sexuelle désincarnée.

Sur le Huffington Post, Adam témoigne : "C'est tellement plus facile de trouver quelqu'un pour une rencontre sur Grindr que de se rendre dans un bar. Surtout si vous venez tout juste de vous établir dans une nouvelle ville; rien n'est plus simple que de laisser les applis de rencontres remplacer totalement votre vie sociale. Il devient de plus en plus difficile d'aller au-devant d'une situation sociale où vous devrez faire un effort."

On a intégré une mauvaise image des gays, via une homophobie, un patriarcat et une misogynie insidieuse de la société (renforcée régulièrement des prises de parole et des actes de violence). Même en couple, les gays se sentent souvent seuls. Ils n’osent pas toujours se tenir la main. Puis, les gays ne se sentent pas toujours représentés, ni par les magazines gays (TÊTU y compris, et nous y travaillons), ni par les soirées, ni par les associations militantes, ni par les phénomènes qui effraient ou maintiennent de nombreux gays dans une relative solitude : drogues, sexe, masculinité exacerbée, culte du corps, gay pride…

Des conséquences graves... à dangereuses

Comme le disait Erik Kaktus, Tim Joanny Madesclaire, Fred Bladou en février sur TÊTU : "La société actuelle promeut la vitesse, la performance, le dépassement de soi. Elle anéantit la faiblesse et le doute. Et elle entraîne chez beaucoup un culte du corps, de la perfection, une volonté de correspondre à des canons de beauté des magazines, des films pornos qui se traduit par une surconsommation des salles de sport. L’excès produit une forme de dépendance. Et le corollaire, pour ceux qui ne peuvent pas atteindre ces objectifs est autant un surcroît d’isolement qu’un sentiment de rejet de ses pairs de ne pas entrer dans ces canons supposément dominants."

Il semble qu’un phénomène d’accélération s’opère, et qu’entre autre, les drogues, notamment en contexte sexuel (le chemsex) soit pour certains une réponse, une aide, avant de devenir une mise en danger. Pour les mêmes ou d’autres : dépressions, suicides, problèmes d’image de soi et culte du corps émaillent les quotidiens, loin des cercles de solidarités habituelles.

Qui a dit que nous avions tout acquis avec le mariage pour tous ? Si le texte n'apporte pas de solution, c'est bien une prise de conscience qu'il s'agit de provoquer, déjà. Quels liens retisser, comment palier le délitement ou l'évitement de certaines populations dans la communauté, comment véhiculer moins de clichés tout en se faisant "plaisir" aux yeux...