documentaire"Dream boat" : Un documentaire brillant à bord d'une croisière gay

Par Adrien Naselli le 27/06/2017
Dream boat Tristan Ferland Milewski

Rencontre avec le réalisateur allemand Tristan Ferland Milewski qui nous embarque avec son Dream boat pour une croisière gay dont vous ne reviendrez pas indemne.

3.000 gays sont sur un bateau. Ils sont partis pour une semaine de croisière au large des côtes espagnoles à bord de The Cruise, organisée par l'agence bruxelloise La Démence. Si un torrent de clichés déferle dans les esprits sur ces vacances entre mecs, le documentariste Tristan Ferland Milewski a souhaité les dépasser : quelles motivations poussent ces hommes – exceptée la promesse de fête et de sexe – à se retrouver en huis clos sur les flots ? Il a braqué sa caméra sur cinq moussaillons. Embarquez aux côtés du Polonais Marek, à la recherche du grand amour, de l’Indien Dipankar, qui se sent très seul dans la foule, du Français Philippe, en fauteuil roulant, du Palestinien Ramzi, qui a fui les persécutions de la police pour la Belgique, et de l’Autrichien Martin, séropositif qui proclame : « Je suis gay, j’ai pas eu le choix – j’ai eu de la chance ».
 

Dream boat Tristan Ferland Milewski
┬® gebrueder beetz filmproduktion

 
TÊTU. Qu'alliez-vous chercher en tant que documentariste sur ce bateau ?
Tristan Ferland Milewski. Je suis intéressé par les microcosmes. Ces hommes viennent de 89 pays différents, avec leur vécu personnel, passer une semaine complètement coupés du reste du monde. Ce huis clos est un formidable révélateur des sujets importants de notre société. Une tension incroyable se concentre sur ce bateau.
Comment avez-vous fait pour obtenir l’autorisation de filmer ?
La première étape a été de faire ma demande à l’organisateur de la croisière. Il avait déjà été approché par des équipes de télévision, mais il ne voulait pas de voyeurisme… Il préférait un regard plus artistique, comme le mien.
Est-ce que votre film est une manière de parler de la solitude des gays ?
Le sujet du film n’est pas vraiment la solitude des gays car on voit aussi des histoires d’amour magnifiques, des couples longue durée qui ont traversé beaucoup de choses ensemble. Mais d’un autre côté, la superficialité des selfies, des diktats du corps, des gens qui ne s’ouvrent pas aux autres saute aux yeux. Cela débouche immanquablement sur un sentiment de vide. La question que tous se posent sur le bateau est : qui ai-je vraiment envie d’être et qu’est-ce que je recherche dans la vie ?
Comment avez-vous mené votre casting pour trouver ces cinq garçons ?
Je voulais qu’ils soient différents du point de vue de la religion, de l’âge, mais surtout qu’ils aient senti un besoin impérieux de se rendre sur le bateau. Je les ai rencontrés plusieurs fois avant pour installer la confiance. J’avais eu des conversations avec un nombre incroyable de mecs avant de trouver ces cinq diamants. Ensuite, nous nous sommes tous embarqués pour cette catharsis de sept jours ensemble.
 

Dream boat Tristan Ferland Milewski
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En tant qu’homme gay, auriez-vous participé à ce genre de croisière si vous n’aviez pas réalisé ce documentaire ?
Avant de travailler sur le film, non. Je vis dans une grande ville où il y a beaucoup de bruit, une offre de sorties infinie, des soirées gays partout. En vacances, je suis donc plutôt à la recherche du silence… Nous ne devons pas sous-estimer notre privilège de vivre dans des grandes villes avec des modèles gays très divers. Or comme on le voit dans le film, certains hommes ont carrément fui leur pays car ils ne pouvaient pas vivre librement.
On voit des hommes très différents du point de vue de la classe sociale alors que la croisière est chère. Comment expliquer cela ?
Ce n’est pas non plus hors-de-prix, mais quelqu’un qui serait pauvre ne pourrait pas se la payer. Les plus défavorisés préparent leur voyage pendant de longs mois ! C’est très émouvant de voir qu’ils pensent à leurs costumes, se jaugent auparavant sur un groupe Facebook… Certains viennent seuls, beaucoup entre amis. Il y a aussi des couples qui sont dans des relations ouvertes.
Il y a beaucoup d’humour dans votre film. Je pense aux deux Français qui s’aiment mais n’arrêtent pas de s’engueuler…
Je voulais garder de la lumière, et faire en sorte qu’on puisse rire ensemble les uns des autres. Le respect de mes personnages était plus important que tout. À la fin, je voulais qu’on quitte le cinéma avec le sourire, même si on pleure au milieu.
 

Dream boat Tristan Ferland Milewski
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Ces montagnes de muscle s’adonnent à des « courses en talons ». Étiez-vous surpris de voir que la culture drag queen s’invitait dans ce milieu très codifié ?
La soirée drag est un vrai moment de libération. Ces hommes ont souvent une manière très masculine de se comporter. Ils performent une hyper masculinité, travaillent leur corps au quotidien… Mais la ladies night est une nuit où ils n’ont pas peur de montrer leur part féminine. C’est comme une permission, puisque tout le monde doit le faire. Ils prennent conscience que le genre n’est qu’une performance…
Qui vous a le plus ému parmi vos cinq personnages principaux ?
Tous ! Impossible de choisir.
Il y a aussi des filles sur le bateau !
Oui, la plupart sont des amies qui viennent pour pouvoir s’amuser sans être convoitées sexuellement. Mais j’ai aussi rencontré un homme qui avait emmené sa mère avec lui !
Votre montage est surprenant. Quelles émotions vouliez-vous déclencher ?
C’était un travail très intense, car il fallait respecter la chronologie : ils changeaient de tenue chaque jour ! J’ai voulu jouer sur deux plans : un aspect de conte de fée dans les scènes collectives, et des moments très intimes qui révèlent ce que les personnages ressentent… D’ailleurs, Claude [son mari, ndlr] a travaillé de manière très étroite avec moi. Je voulais une musique poétique.
Claude, comment avez-vous composé la bande-originale du film ?
Claude [son nom d'artiste est My name is Claude, ndlr]. Dans mon studio, on travaillait tout le temps, le jour, la nuit… Je connais bien la scène techno. Je me suis inspiré de la musique très commerciale et rapide qu’ils diffusent sur le bateau pour la rendre plus intéressante. Je voulais créer de l’harmonie.


Dream boat de Tristan Ferland Milewski, en salles le 28 juin 2017.