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cinéma"120 battements par minute" : confidences d'Adèle Haenel, Nahuel Pérez Biscayart et Arnaud Valois

Par Cy Lecerf-Maulpoix le 23/08/2017
120 BPM Act Up Adèle Haenel Nahuel Pérez Biscayart Arnaud Valois

D'une génération qui a grandi sur les acquis des mouvements de lutte anti-sida, Adèle Haenel, Nahuel Pérez Biscayart et Arnaud Valois étaient encore enfants lorsqu’Act Up-Paris recouvrait l’obélisque de la Concorde d’une capote rose géante. Nous retrouvons les trois acteurs du film de Robin Campillo, 120 battements par minute, pour une discussion sur leur rapport au cinéma et au militantisme, et bien sûr quelques confidences sur le tournage.

Aviez-vous entendu parler d’Act Up avant de faire le film ? Que connaissiez-vous de la lutte contre le sida ?

Nahuel. Je suis né en Argentine, il n’y avait pas Act Up. J’avais vu des images d’archives mais j’étais très jeune à cette époque-là. Je n’étais pas vraiment au courant.

Adèle. Moi, j’étais enfant dans les années 90. Concernant le sida, notre génération a été bien plus prévenue des risques. Plus récemment, j’ai commencé à en parler avec des personnes qui m’ont raconté cette époque.

Arnaud. Gamin, j’avais vu la capote sur l’obélisque, ça m’avait interpellé. Je ne savais pas que c’était Act Up à l’époque. Je me souviens aussi des Sidactions sur toutes les chaînes de télé qui étaient très impressionnants. Comme le disait Adèle, l’importance de se protéger, c’est un truc qui nous accompagne depuis le début de notre sexualité. Notre génération a sans doute moins conscience de la dangerosité du VIH.

Comment vous êtes-vous préparés pour vos rôles de militants au sein de l’organisation ?

Adèle. Robin [Campillo, le réalisateur, ndlr] nous avait donné à tous le livre de Didier Lestrade [le co-fondateur d’Act Up-Paris, ndlr].

Nahuel. On avait les comptes-rendus de chaque commission. Il y avait aussi le documentaire Portrait d’une présidente [documentaire de Brigitte Tijou sur le président Cleews Vellay, ndlr].

Adèle. Au-delà de la théorie, on a beaucoup regardé les images d’archives de l’INA pour comprendre comment les corps étaient engagés dans la lutte. Car c’était un engagement physique, pas uniquement intellectuel.

Nahuel. Robin était beaucoup dans le physique quand il nous expliquait les situations, son corps entier parlait. Et puis il voulait qu’on apporte quelque chose de nous.

Adèle. Sur le tournage, Philippe [Mangeot, ancien président d’Act Up-Paris, ndlr] recontextualisait chaque situation, nous reparlait de l’atmosphère d’urgence : « Nous, on était comme ça, on faisait ça ». À partir du moment où tu t’engageais dans la lutte contre le sida, le désespoir, c’était ton fond d’écran. Il fallait donc créer un climat nourri d’énergie, de colère aussi.

Comment avez-vous abordé le fait d’incarner des personnages inspirés de personnes réelles ? Nahuel, ton personnage Sean ressemble à l’un des présidents emblématiques d’Act Up, Cleews Vellay, mort en 94, et dont les cendres ont été jetées lors d’un congrès de l’Union des assurances de Paris.

Nahuel. Je n’ai jamais cherché à faire un travail d’imitation, il s’agissait au contraire d’en sortir et d’incarner quelque chose de plus vivant en prenant nos distances vis-à-vis de ce qui avait été prévu. Finalement, on essayait de sortir Robin de ce qu’il avait vécu en créant quelque chose d’autre pour et avec lui.

Adèle. Et puis j’ai l’impression que Robin ne pouvait pas vraiment prévoir la façon dont nous allions nous emparer des rôles.

Comment ça se passait sur le tournage entre vous ?

Nahuel. Sean est un personnage à bout de forces. Je suis toujours sur le point de partir. J’étais dans un rapport un peu particulier avec le groupe, même avec Antoine Reinartz qui joue Thibault [le président d’Act Up, ndlr]. En plus de cela, je suis étranger : arriver dans un débat collectif de francophones qui parlent à 100 km/heure, c’était complexe pour moi au début.

Adèle. C'est vrai qu'à cause de ton rôle, il y avait un certain isolement. C’est cliché mais nos personnages affectent les relations hors-plateaux.

Arnaud. Au début du film, Nathan débarque, ne connaît personne et se fond au groupe au fur et à mesure. Mais il est très focalisé sur Sean. Je faisais partie du groupe mais un peu moins que ses membres emblématiques.

Adèle. À l’inverse, je suis constamment dans le collectif, je n’avais pas vraiment de relation privilégiée avec quiconque. Je joue une responsable d’action dans le film : j’étais censée gueuler pour lancer l’action. C’était très beau de voir chacun se déployer à sa manière et prendre confiance lors du tournage. J’ai rencontré des gens qui m’ont beaucoup touchée.

Quelle est la scène qui vous a le plus marqués ?

Nahuel. La scène de la paille. Deux jeunes qui se portent secours. Mais je n’en dis pas plus.

Adèle. Moi je ne peux pas dire sans spoiler !

Arnaud. Pour moi, une scène où Sean se retrouve à l’hôpital, il est dans un couloir et échange un regard avec un malade. Je la trouve bouleversante.

Qu’est-ce que le tournage de ce film vous a appris sur Act Up ?

Adèle. Ça m’a sensibilisée à la lutte politique, à sa nécessité.

Nahuel. Et au fait que dans la lutte, rien n’est acquis.

Arnaud. Je n’avais jamais réfléchi à la manière dont des individus consacrent leur vie entière à la lutte quitte à sacrifier le reste. C’est quelque chose qui m’a beaucoup marqué, cet engagement collectif, total.

Est-ce que cela vous donne envie de vous engager différemment, de devenir militants ?

Adèle. J’ai l’impression que l’engagement politique ne prend pas toujours la même forme. Je ne récuse pas le terme de militant mais j’ai l’impression que notre but en tant qu’acteur n’est pas seulement de crier « réveillez-vous ». L’idée c’est notamment de toucher l’autre en jouant, de l’inspirer, de le réveiller à lui-même. Ça peut être politique. Et puis, on ne peut pas endosser tous les rôles, on ne peut pas avoir tous les visages.

Le coming-out pour un acteur, vous en pensez quoi ?

Adèle. Moi, je crois que j’ai été assez claire quand même, j’ai fait ce que j’avais à faire [en référence à son « Je l’aime » à propos de la réalisatrice Céline Sciamma, ndlr]. C‘était important. Je suis très fière de ça.

Nahuel. J’ai n’ai aucun souci par rapport à ça, il faut le normaliser et voilà. Evidemment, c’est bien de garder un peu de mystère, je ne veux par exemple pas parler de ma famille ni de mes goûts.

Adèle. Mais quand même, se positionner, c’est important.

Arnaud. Faire un film comme ça, c’est se positionner, c’est endosser toutes ses valeurs. Si on le fait, c’est qu’on est en adéquation et personnellement j’en suis très fier.

Nahuel, pourquoi l’anonymat est-il si important pour toi ?

Nahuel. J’adore les visages d’inconnus. Voir des acteurs qui me font penser à des…

Adèle. … des voitures !

Nahuel. Oui, ou des marques de fringues, ça ne m’intéresse pas.

Adèle. Et puis, à partir d’un certain niveau de notoriété, tu cours le risque de devenir la citation de toi-même.

Nahuel. Adèle, quand je te voyais jouer, je te voyais justement déconstruire tes particularités. Tu ne renvoies jamais l’image de la comédienne qui est en train de jouer un personnage. J’aime ça.

Arnaud, tu avais mis le cinéma entre parenthèses avant ce film. Cette expérience va-t-elle changer quelque chose ?

Arnaud. Disons que ce n’est pas un besoin vital ou essentiel pour moi car je peux me réaliser dans autre chose professionnellement [il exerce en tant que masseur thaï et sophrologue, ndlr]. Ce ne sera pas un besoin frénétique mais plutôt une question de rencontre. Bien sûr que cela donne envie d’y regoûter… mais il faudra retrouver la bonne recette.

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Crédit photo : SMITH pour TÊTU