Les États-Unis fêtent le LGBT History Month depuis plus de vingt ans. Un illustrateur français essaie de l'importer dans l'Hexagone. En ce mois d'octobre, bienvenue dans nos propres souvenirs.
On l'interviewait l'année dernière pour sa première exposition consacrée au visage masculin et ses diversités. "C'était un premier pied dans une vision un peu plus militante de mes dessins", se souvient Florent Manelli. Originaire de Perpignan, il a rapporté de ses valises canadiennes l'envie de dessiner. Aujourd'hui à Paris, il importe des États-Unis celle de se souvenir des aîné·e·s qui ont tissé l'histoire de la lutte LGBT, à travers le mois de l'histoire LGBT.
J'ai découvert ça l'année dernière, en tombant sur une publication Instagram du chanteur de Years & Years, Olly Alexander, qui a aussi signé un très beau documentaire sur le fait de "Grandir gay".
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C'est dans l'esprit d'un prof d'histoire du Missouri qu'est née cette idée de commémoration. En 1994, Rodney Wilson convainc plusieurs activistes de se réunir en comité et lance le premier mois de célébration. Le choix du mois d'octobre est arrêté parce qu'il coïncide tant avec à la Journée internationale du coming out qu'avec l'anniversaire de la "Great March" sur Washington. Depuis, un site américain célèbre chaque année une icône par jour pendant un mois. L'initiative a fait des émules chez nos voisins britanniques, allemands ou hongrois, qui le célèbrent eux en février, mais toujours pas l'ombre d'une festivité en France.
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"C'est un mois de souvenir pour tous ceux qui se sont battus, qui me permettent moi de vivre ma sexualité, de me marier, d'adopter, salue Florent Manelli. Mais pas encore de donner mon sang sans douze mois d'abstinence ou de faire une PMA quand on est un couple de femmes." Pour définir le History LGBT Month, le dessinateur paraphrase le sous-titre d'un ouvrage de Frédéric Martel, La Longue marche des homosexuels, pérégrination de cinq ans à travers 45 pays et cette question : comment vivent les homos, les trans et les bis à travers le monde ? Global gay, titrait alors Frédéric Martel. Global comme le projet de Florent Manelli en ce mois d'octobre : réaliser 20 portraits de personnes LGBTQ, qu'elles soient activistes ou artistes, méconnues ou super-populaires, vivantes ou décédées. Parmi elles, les figures américaines incontournables, comme Marsha P. Johnson, vedette pendant les émeutes de Stonewall, ou Brenda Howards, bisexuelle, qui a organisé la première Marche des fiertés.
Mais aussi des militants moins connus, comme Jean Chong, femme lesbienne qui milite à Singapour pour les droits des homosexuels où elle risque la prison à vie; l'avocate Alice Nkom qui se bat au Cameroun; Bamby Salcedo qui est une personne trans latino; ou les nouveaux chantres d'une culture queer, comme Mykki Blanco, OFNI sur la scène musicale, ou Anohni, ancienne leadeuse du groupe Anthonys and the Johnson dont les paroles dépeignent la transidentité. "Je voulais mettre à l'honneur une personne de chaque continent", explique Florent Manelli. À chaque portrait une biographie courte mais incisive, née des lectures, des films, ou des conférences auxquelles il a assisté. Une remise en contexte, voire une réinterprétation, comme dans le cas de Keith Haring dont les œuvres "ont dépassé le graff ou le musée - aujourd'hui il y a des montres Keith Harring, des sacs, des t-shirts... - son art vit dans la rue, mais beaucoup de gens ignorent son militantisme."
J'ai eu de grosses réflexions sur comment j'allais définir les contours de mes portraits : LGBT ? LGBTQ ? LGBTQIA+ ? Et puis quand on m'a demandé : "Mais en fait il signifie quoi queer ?", je me suis dit qu'il fallait commencer par le début. Je voulais que les gens sachent pourquoi ils brandissent un drapeau arc-en-ciel, avec ces couleurs en particulier. J'ai pris le parti de faire quelque chose qui s'adresse au grand public.
Florent Manelli souhaite donner des exemples hors de la communauté, mais aussi pour elle-même et en particulier pour les plus jeunes. "J'aurais aimé découvrir ces personnes avant mon coming out, ça aurait pu m'aider à comprendre ma sexualité ou tout simplement à me sentir moins seul", analyse Florent Manelli. Surtout dans une période post-mariage pour tous, où la tendance à la normalisation incite la communauté à "rentrer dans un moule hétéro, avec toutes les discriminations que ça engendre contre les mecs féminins, les gros, les personnes racisées..." Florent aimerait aussi contrer la déperdition de la mémoire LGBT, pour laquelle la promesse d'un centre d'archives LGBT a mis vingt ans à percer. "On fait cet effort de mémoire pour la communauté juive, pour les personnes noires. Pourquoi pas pour les personnes LGBT ? Je n'aime pas parler de minorités, parce que c'est un mot qui me fait mal, mais on a une histoire commune, on n'est pas une sous-culture." Lui qui partage son temps d'illustrateur avec la fondation GoodPlanet de Yann Arthus-Bertrand aime l'allégorie du colibri cherchant à éteindre un feu de forêt qui affirme : "Au moins j'ai fait ma part. Je trouve que c'est important d'agir à son échelle. Ceux que je portraiture aussi ont agi à leur échelle. Certains diront que je fais du militantisme doux... Je les laisse juger."
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Bien que circonscrit à un mois de célébration, cet instant de souvenir intervient pour Florent comme une fenêtre de tir pour dépasser les seuls cercles LGBT :
C'est vrai qu'il y a un certain confort, et une compréhension partagée et évidente, à rester dans l'entre-soi; voire une nécessité à s'exprimer en tant que LGBT pour certains sujets comme la PMA. Mais d'autres doivent être entendus au delà. Il est des sujets que tout le monde doit s'approprier.
En plus de ses dessins postés sur son compte Instagram et sa page Facebook, Florent Manelli envisage de déployer son projet sous d'autres formes, comme celle de l'exposition ou de l'ouvrage, pour continuer de faire vivre la mémoire LGBT tout au long de l'année.
Retrouvez ses œuvres sur son site officiel.
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