Pascal Mannaerts, 39 ans, parcourt le monde depuis l'an 2000. 50 pays et des centaines de photos plus tard, il publie un gros et beau livre, Parchemins d'ailleurs, ou comment un aventurier a fait de ses rencontres avec les gens le but de son existence.
Il est né à Bruxelles, a pris des photos pour les quatre derniers numéros de TÊTU, traîne souvent ses guêtres à Paris depuis la sortie de ses Parchemins d’ailleurs aux éditions Hachette, mais c’est depuis Saïgon, au Vietnam, qu’il nous skype pour raconter sa vie. Ou plutôt pour répondre à nos questions indiscrètes, tant le quotidien de Pascal Mannaerts fait marcher l'imagination...
15h dans un grand parc du centre de Saïgon, 9h du matin en France. Pascal Mannaerts prend l’air mais il voulait surtout nous faire entendre les bruits de la ville dans laquelle il n’avait pas remis les pieds depuis 16 ans. Cette fois-ci, ce n’est pas pour un reportage qu’il est là, mais pour se ressourcer. Les derniers mois ont été plutôt intenses pour celui qui adore flâner le museau en l’air.
Parchemins d’ailleurs, son beau livre sorti à l’automne (et aussi le nom de son site internet), est le signe d’une reconnaissance pour son travail de voyageur humaniste et discret, qui ne laisse pas de traces sauf dans le cœur de celles et ceux qui croisent sa route : « Voir ce livre, c’est un sentiment d’accomplissement de plusieurs années de travail car il reprend mes meilleures photos. Je ne les avais jamais vues toutes ensemble ! » Son histoire avec Hachette remonte à déjà longtemps, quand il partageait ses photos sur le forum du Guide du routard…
La bougeotte
Tout a commencé avec l’Inde, en l’an 2000, où il part avec une copine et deux sac-à-dos. Un déclic pour le voyage et pour la photo en même temps : « C’est cliché, mais le pays m’a transcendé, pour le meilleur et pour le pire », se souvient Pascal.
Si sa famille voyageait déjà beaucoup, jamais il n’avait envisagé qu’il en ferait son métier. Surtout pas lorsqu’il essuyait les bancs de la fac de droit dans les années 90, et encore moins quand il bossait derrière un bureau de ministère pour l’accueil des demandeurs d’asile en Belgique : « J’avais la satisfaction d’essayer d’aider les gens, philosophe-t-il. Mais je n’avais pas la flamme de la créativité. Ma passion était ailleurs. Je me suis dit : tu passes à côté de toi-même ».
Or devenir photographe, comme Rome, ne se fait pas en un jour : « Ça demande de la patience, de la persévérance, et il faut savoir garder la tête haute malgré les silences. Ce livre, c’est trop beau pour être vrai car en 2007 j’ai bien failli abandonner. En me disant que ça ne mènerait à rien. Dans ces moments, tu commences à devenir nihiliste ». Et puis vient une petite crise existentielle en 2012, accompagnée d’une meilleure organisation, et Pascal travaille avec National Geographic, la BBC, Géo, The Guardian, Médecins sans frontières... et TÊTU.
Humains et humaines
Un fait marquant dans le travail de Pascal Mannaerts est que ses photos sont saturées de gens : des portraits d’enfants, seuls ou en bande, jouant, de femmes, vieilles, ridées, sublimes, apprêtées, travaillant, d’hommes, croulant sous les années, dans la force de l’âge, virils, maigres, glabres, barbus, de sourires, de regards intenses, très intenses. Rares sont les photos de paysages. Le premier chapitre de son livre s’appelle tout naturellement « La Rencontre » : « Le face-à-face est ce qui m’intéresse le plus. À la base, je voyais la photo comme un simple témoignage de mes expériences de voyages, et donc de mes rencontres. Avec le temps, je glisse vers une photo plus documentaire ou journalistique ».
Comment s’y prend-il pour photographier les gens de si près ?
Je crois que je n’ai pas de recette. Il y a quelques différences selon les pays. En Iran, c’est difficile de photographier des femmes d’un certain âge. Mais les jeunes filles se font prendre en photo sans problème. Au Vietnam, dans le vieux Saïgon ce matin, j’abordais les vieilles au coin des rues, elles posaient pour moi en mangeant leur soupe. Dans certains pays d’Afrique, tu ne sors pas ton appareil comme ça dans les rues n’importe où, sinon tu vas te prendre une tarte. Pour les portraits, je me laisse aller à la spontanéité. Le point commun c’est moi, c’est ma manière d’être. L’humour aide beaucoup.
Et on veut bien le croire tant les gens sourient à Pascal. Récemment, il a retrouvé avec émotion une femme qu’il avait rencontrée en 2001 : « J’ai retrouvé la ruelle où elle vivait. Rien n’a changé. Je trouvais ça fou, 16 ans après, rien n’a changé ! Je pensais que la dame était décédée, elle était déjà vieille, et en fait je reconnais la maison vert d’eau, je vois la télé, le même temple dans l’entrée. Maintenant elle a 80 ans ». C’est ce genre de récompenses qui pousse Pascal à continuer.
Qui veut épouser mon aventurier ?
Dans ses voyages sur les cinq continents, Pascal Mannaerts rencontre des personnes LGBT. Gay lui-même, il ne s’en cache pas sauf quand le contexte pourrait s’avérer dangereux pour lui. En Asie centrale par exemple, « où j’ai senti que le sujet de l’homosexualité était un concept très lointain. C’est très différent au Maghreb où c’est tabou, mais où tu sais très clairement quand tu es en présence d’un gay, par les regards ».
Au Vietnam, où il passe ses vacances, les gens sont « hyper open sur la chose ». Au moment de notre Skype, il vient de croiser une jeune femme qui lui a dit : « Tu aurais dû aller dans l’hôtel que tient mon frère, il est gay comme toi ! ».
Dès que tu croises un gay, tu as une espèce de spontanéité qui se crée, comme si tu retrouvais la famille. Voyager me permet de voir le courage et la détermination des LGBT dans d’autres pays. En Inde, j’ai rencontré des hijras. Je les ai suivies à la Trans Pride à Delhi pour un reportage photo, il y avait 25 personnes, des flics partout… Quel courage elles ont.
Pascal voyage seul, mais il lui arrive d’embarquer un mec ou une amie avec lui. Le petit copain idéal, ce serait celui avec qui il pourrait partager un projet autour du voyage. « Mais je crois que j’aime bien ma liberté aussi. On ne peut pas tout avoir. Quelque part, c’est un défi que je me suis lancé à moi-même ». Go on, Pascal !
Parchemins d'ailleurs, Hachette
208 pages, plus de 200 photos, 30€
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