porno"La parole de Despentes est politique" : Vanessa Larré met en scène King Kong Théorie

Par Marion Chatelin le 28/09/2018
King Kong Théorie

La metteuse en scène Vanessa Larré reprend son adaptation de "King Kong Théorie", livre culte de Virginie Despentes, cette fois au Théâtre de l'Atelier.  Sur les planches, trois comédiennes lumineuses, Anne Azoulay, Marie Denarnaud et Valérie de Dietrich, se donnent la réplique et font vivre un texte crû et violent, parfois drôle mais toujours percutant. Pour TÊTU Vanessa Larré accepte de revenir sur la genèse de cette pièce, tout en donnant sa vision de la place des femmes et des minorités dans la société.

S'attaquer à un texte mythique comme "King Kong Théorie", le manifeste coup de poing écrit par Virginie Despentes, en 2006, pour l'adapter en pièce de théâtre, c'est comme tenter de gravir l'Himalaya en tongs : c'est difficile. Voire carrément casse-gueule.

Car cet essai autobiographique dans lequel l'auteure revient sur son viol, son expérience de la prostitution et explore les milieux pornographiques, est une oeuvre au premier abord inadaptable.

Tout ça, en interrogeant crument et sans détours la sexualité féminine et la définition de l'Être féminin. Téméraire, Vanessa Larré ? La metteuse en scène a décidé, en 2014, d'adapter sur scène ce chef d'oeuvre d'humanité. Quatre ans après une première version, présentée au Théâtre de la Pépinière, à Paris, elle récidive dans une mise en scène plus épurée.

Sur les planches, le texte présenté comme « un Manifeste pour un nouveau féminisme » prend vie, dans un spectacle inventif. Pensée comme une sculpture, en relief, la pièce permet au spectateur, placé au centre de l'oeuvre, d'observer et remodeler un essai brûlant d'actualité.

"La parole de Despentes est politique" : Vanessa Larré met en scène King Kong Théorie
À gauche, Anne Azoulay, à droite Marie Denarnaud. Crédit Photo : Stanley Woodward.

TÊTU : Pourquoi avoir choisi d'adapter ce texte de Virginie Despentes ? 

Le théâtre de la Pépinière nous a proposé, à Valérie de Dietrich et moi-même, de produire King Kong Théorie. Je connaissais Virginie Despentes pour ses prises de paroles dans les médias et j'avais lu Baise-moi (son premier roman paru en 1992, ndlr). Mais je n'avais pas lu King Kong Théorie et, pire encore, j'en avais jamais entendu parler, c'est dire ! J'ai appris plus tard que cet essai a marqué toute une génération d'hommes et de femmes confondus. De mon côté, j'ai toujours voulu traiter de sujets liés à la condition féminine et son histoire. Je m'interroge en permanence pour tenter de comprendre pourquoi les femmes se sentent contrôlées, enfermées. Une autre thématique récurrente de mon oeuvre est la sexualité. Alors forcément, quand j'ai lu le texte j'ai été sonnée. Ça m'a tellement parlé en profondeur ! Ça a été comme une révélation, un grand coup de foudre, une évidence. Tout a raisonné en moi. 

La langue de Virginie Despentes n'est pas radicale mais vraie. Elle va droit au but, elle s'épargne les fioritures et les détours inutiles. Il y a ce côté très vivant puisqu'elle n'invente pas une histoire mais parle de son expérience, son vécu. C’est un témoignage précieux. C'est surtout une démarche d'être humain, un processus de conscientisation qu'elle mène de la première à la dernière ligne. En faisant ça, elle lève le voile sur des choses que tout le monde sait ou a intériorisé et sur lesquelles on ne revient pas. Elle fait pour moi une véritable analyse du monde dans lequel on vit. 

« La langue de Virginie Despentes n'est pas radicale mais vraie. »

Diriez-vous que c'est un texte queer ?

Je pense qu'il est question avant tout de l’individu en tant qu’être qui n'est pas déterminé, ni par son sexe, ni par ses origines, ni par son orientation sexuelle. C’est vraiment ce qui me marque dans ce texte et dans la parole de Virginie, en général. Elle érige selon moi la liberté individuelle en valeur fondamentale bien avant le féminisme. Ce qu'elle veut dire, je pense, c'est que nous sommes des êtres à part entière avant tout, en dehors de tout déterminisme. Il veut décloisonner. Personne ne devrait être enfermé dans une définition. En ce sens c'est un texte profondément queer. 

Commet avez-vous créé trois personnages à partir d'un texte qui n'en contient aucun ?

Je pars du principe qu'on est tous multiples, c'est-à-dire qu'on a tous différentes facettes. Je ne voyais pas l'intérêt de faire un monologue ou un dialogue à deux. Les trois personnages sont différents les uns des autres. Mais ils représentent une seule entité, en lien avec Virginie Despentes puisqu'il s'agit d'un récit autobiographique. On a développé avec les comédiennes plusieurs personnalités : une femme blessée, qui se débat avec sa culpabilité, son sentiment de victime, sa colère et sa tristesse, une autre plus mature qui a un processus de réflexion déjà bien entamé et enfin une femme plus juvénile, très lumineuse, voire joyeuse, parce que dans un sens, le texte de Virginie est joyeux.

Le fait d'avoir trois personnages intimement liés entre eux mais aussi au texte, lui donne un relief impressionnant. Une fois clamé sur les planches, le texte se transforme en sculpture, il apparait en 3D. L'acteur est un matériau qui rend cet essai vivant.

« Il y a une forme de honte à jouir très présente dans la société. »

Comment avez-vous abordé la thématique de la pornographie ?

C'est ce qui m'a donné le plus de fil à retordre ! Virginie Despentes se dit elle-même consommatrice de porno. Mais elle dénonce aussi la bêtise des personnes qui en consomment, tout en méprisant ces actrices qui leur permettent d'obtenir du plaisir. Il y a une forme de honte à jouir très présente dans la société. C'est ce qu'on a voulu dire dans un premier temps.

C’est aussi un moment ludique, car on s'amuse sur l'imagerie du porno en puisant dans le texte. Je m'explique : Virginie cite des objets, des types d’images véhiculées dans le porno, des pratiques sexuelles, etc. Quand on emploie des mots comme 'bite', 'vagin', 'éjaculation' ou 'masturbation', le public rigole et se sent gêné. Alors forcément on s'est dit que, quitte à se marrer, autant donner dans la dérision la plus totale ! Non pas pour rendre le porno ridicule mais pour rendre la honte de ceux qui regardent, qui voudraient regarder ou qui ne regarderont jamais, ridicule.  

Vous avez créé la pièce en 2014, vous la rejouez en 2018. Pourquoi ?

C'est extrêmement important de jouer cette pièce. Elle est évidemment toujours d'actualité, l'affaire Weinstein le prouve ! La parole de Virginie Despentes est éminemment politique. C'est une parole coup de poing, libératrice, qui permet de cracher la souffrance. Parce qu'on a besoin que ça sorte, que les tabous explosent et l'auteure nous permet de le faire.

Ce texte permet aussi une explosion de joie. Je le constate après les représentations. Les réactions des spectateurs, qu'ils connaissent le livre ou pas, sont incroyables. Ce qui est étonnant ce que le public reste longtemps sur la place devant le théâtre et parle, débat, débriefe. On voit clairement la parole circuler. C'est ça, la puissance de Despentes. 

Désormais, j'aimerais vraiment que la pièce tourne un peu partout en France et pas seulement à Paris. Que l'on puisse aller dans des villes où ce n'est pas si évident d'entendre ce texte. Et de permettre de réveiller les consciences, de voir le public le recevoir et y réfléchir par la suite. Ou même courir s'acheter le livre en sortant !

La pièce King Kong Théorie, co-adaptée par Valérie De Dietrich, sera jouée au théâtre de l'Atelier à Paris, à partir du jeudi 4 octobre 2018.

Crédit Photo : Marion Chatelin.