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spectacleMarina Foïs dans "Les Idoles" : "Le spectacle montre que le sida était une maladie politique"

Par Romain Burrel le 11/01/2019
Marina Foïs

[PREMIUM] Dix ans après le film "Non ma fille, tu n’iras pas danser", la comédienne retrouve Christophe Honoré pour une pièce sur des auteurs (et un réalisateur) morts du sida. Dans "Les Idoles", l’ex-Robin des bois se glisse dans la peau de l’écrivain homosexuel Hervé Guibert, un rôle surprenant et difficile. Du sur-mesure, pour celle qui passe du rire au drame, du cinéma au théâtre, avec une experte facilité.

Comment joue-t-on un homme quand on est une femme ?

C’est le fantasme de beaucoup d’actrices. Peut-être pour qu’il ne soit jamais question de nos attributs... Et c’était un peu le mien aussi. Il y a plein de moments dans la vie où j’aimerais être un homme. Pas pour le registre sexuel, ne vous en déplaise. Si j’étais un homme, je m’habillerais très bien. Dans le spectacle de Christophe Honoré, il n’est pas du tout question de faire un biopic. Donc on s’en fout que des femmes jouent des hommes. En relisant Guibert et À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, je me suis trouvé des points communs avec lui. Ce qui me touche, c’est le paradoxe entre la violence des sentiments qui l’animent et le fait que ça soit un grand sentimental. C’est un amoureux. Il y a chez lui une douceur dont il essaie de se défaire tout le temps. Comme lorsqu’il décrit l’agonie de Michel Foucault en disant: "Je pris longuement sa main…" Dans la bouche d’un autre, ce serait mièvre. Dans la sienne, comme ça vient entre deux descriptions de chiasse et de trou dans la colonne vertébrale, c’est bouleversant.

 

 

Vous aviez une intimité avec la littérature de Guibert ?

J’en avais un souvenir à la fois très vague et très familier. Ça faisait partie de ma jeunesse. Christophe Honoré et moi, on est les seuls avoir vécus ces années 1980 et 1990 et ça, ça change tout. C’est hyper intéressant de juxtaposer nos regards sur cette histoire à ceux d’Harrison [Arevalo, qui joue le rôle de Cyril Collard, NDLR] et de Youssouf [Abi-Ayad, interprète de Bernard-Marie Koltès] qui ont entre 25 et 30 ans. Moi, je n’ai pas à imaginer la peur et la sensation d’urgence de ces années-là. Je les connais. Je me souviens de l’angoisse des premiers tests. On y allait vraiment en tremblant. Il y avait un délai avant d’avoir les résultats. C’était une peur très concrète. Nous sommes une génération qui a enterré ses amis. Ce n’est pas rien. Je ne suis pas gay mais j’ai dû enterrer quatre personnes, entre 20 et 25 ans, c’est beaucoup. J’ai hébergé un ami comédien, gay, dans le placard, que j’adorais et qui était malade, sans qu’on n’évoque jamais le sida. Ce que montre le spectacle, c’est que la sida était une maladie politique. C’est pour ça qu’elle est intéressante trente ans plus tard. Aujourd’hui, on peut la regarder différemment parce qu’on en meurt moins, en tout cas en Occident.

"À 16 ans, j’ai quitté mes parents pour aller vivre dans une maison communautaire où il n’y avait que des gays et des lesbiennes."...