cinémaIl faut qu'on parle de la romance lesbienne dans "Qu'est-ce qu'on a encore fait au bon Dieu"

Par Alexis Patri le 30/01/2019
qu'est-ce qu'on a encore fait au bon dieu romance lesbienne

Après les asiatiques, les noirs, les juifs et les arabes, les lesbiennes deviennent l'un des nouveaux ressorts "comiques" de la suite de "Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu". Un élément de scénario atterrant, même si le premier volet laissait imaginer bien pire.

Les acteurs avaient interdiction d'en parler lors de la promo du film. La bande-annonce ne fait pas apparaître ces deux personnages. Seule l'affiche laissait imaginer cet arc narratif. "Qu'est-ce qu'on a encore fait au bon Dieu", la suite du film à succès vivement critiqué pour son traitement du racisme, raconte notamment l'histoire d'amour entre Vivianne (Tatiana Rojo) et Nicole (Claudia Tagbo). Soyez prévenus : on va spoiler.

Mais les deux personnages de femmes lesbiennes et noires servent surtout à renouveler un comique de discriminations qui répète la recette du précédent film. Le nouveau gag du film est donc résumé dans cette réplique : "Le futur marié n'est pas un homme". Penser en 2019 que l'homosexualité de deux femmes et les réactions intolérantes des proches soient en soi un motif comique est atterrant.

"Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu" parvient à faire à la fois moins bien et mois drôle sur l'homosexualité que "Gazon Maudit" et "Pédale Douce". Des comédies françaises sorties en 1995 et 1996. Chapeau.

https://www.youtube.com/watch?v=VZ7GmeNv6oQ

Une présence limitée

La faiblesse du contrat comique de départ force le réalisateur Philippe de Chauveron à étaler l'arc narratif de Vivianne et Nicole. Deux minutes en tout début de film pour expliquer que les deux femmes vont se marier. Puis plus rien jusqu'à quelques courtes scènes, passé la moitié du film. Au point qu'on pense avoir halluciné la scène qui les présente au spectateur. C'est finalement la fin du film qui parle le plus d'elles, entre gags lourds et traitement narratif superficiel.

Petite précision sur les deux personnages. Vivianne est ivoirienne, Nicole est française. Elles se sont rencontrées à Paris mais vivent à des 5.000 kilomètres d'écart. Pour que Vivianne puisse venir et rester en France, Nicole lui propose de l'épouser. Et elle accepte. Les deux femmes se connaissent depuis peu et n'ont jamais vécu ensemble. Un étrange mélange entre mariage d'amour et mariage blanc qui met mal à l'aise. D'autant plus qu'il rappelle certains discours tenus lors des débats sur le mariage pour tous.

Ou bien s'agit-il d'un référence à la blague selon laquelle tout va plus vite dans les histoires d'amour lesbiennes ? Mais, on en doute. Et même dans ce cas, il aurait fallu au moins l'expliquer au public non-averti.

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Vivianne, à gauche (crédit photo : UGC Distribution)

Subtilité, je crie ton nom

Lourd sur tous les sujets, "Qu'est-ce qu'on a encore fait au bon Dieu" l'est aussi sur l'homosexualité féminine. Un plan en particulier nous a achevé. Celui de Vivianne, debout dans une salle d'attente, dos aux toilettes, avec d'un côté de sa tête un pictogramme homme et de l'autre un pictogramme femme. Subtil.

Lourdeur encore dans la composition du couple. D'un côté, Tatiana, cheveux longs, corps de magazine, toujours en robe, bien maquillée. De l'autre, Nicole, qui est appelée Nicolas tout au long du film, les cheveux plutôt courts, toujours en costume. A croire que le grand public français a encore besoin qu'on lui montre un couple qu'il puisse rapprocher facilement d'un modèle hétéro cliché sur lequel il pourra calquer ses fantasmes stupides de "elle fait l'homme, elle fait la femme". Un manque de subtilité tel qu'on en arrive à être étonné de voir que les scénaristes ont mis les deux mariées en robe.

"Taubira, ma soeur, tu nous sauves la vie."

Si le personnage de Vivianne se dit "lé-lé" dès le début du film, les autres multiplient les périphrases : "Elle aime les femmes", "le futur marié n'est pas un homme"... Pour enfin finir par utiliser le mot lesbienne. Une victoire, puisque de nombreux films et médias ont encore du mal à utiliser ce mot. Le vocabulaire raciste, employé sur le ton de l'humour, est omniprésent. On se réjouit que "Qu'est-ce qu'on a encore fait au bon Dieu" nous épargne un traitement de l'homosexualité similaire.

Mauvais, le film nous extirpe quand même un sourire. Une fois. Lorsque Vivianne découvre la loi sur le mariage pour tous et le rôle de Christiane Taubira. Elle s'écrit alors : "C'est une noire qui a crée cette loi ! Ma soeur, tu nous sauves la vie !".

Occasion manquée

Sûrement en réaction aux nombreuses critiques du premier volet, le film tente d'aborder des sujets d'actualité : les agressions des personnes asiatiques, la crise de l'accueil des réfugiés, la condition des femmes à l'heure de "balance ton porc", les "blackfaces"... Des questions abordées au détour d'un dialogue, mais jamais dénoncées. Alors que l'humour serait pour cela un outil formidable. Les rares fois où le scénario s'attarde sur l'un de ces sujets, c'est pour nous servir un gag lourd.

Dans plusieurs scènes, les quatre beaufs-frères se plaignent des discriminations subies en France par leur communauté (racisme, antisémitisme et islamophobie). Le réalisateur ne trouve pas une seule occasion d'aborder l'homophobie. Dommage quand on se targue de faire un film qui rit de l'intolérance. Pas un mot non plus sur les discriminations spécifiques aux femmes lesbiennes et noires. Mettre à l'écran des personnes que le cinéma français ne montre jamais, pour finalement ne pas parler de leur vie : il fallait en avoir le culot, "Qu'est-ce qu'on a encore fait au bon Dieu" l'a fait !

"Qu'est-ce qu'on a encore fait au bon Dieu" sort en salles ce mercredi 30 janvier.

Crédit photo : UGC Distribution.