Abo

Figure des nuits lesbiennes parisiennes, celle qui a inspiré la chanson "Joe le taxi" est décédée

Par Marion Chatelin le 05/03/2019
Joe le taxi

[PREMIUM] Véritable figure du milieu lesbien parisien et des nuits de Pigalle, celle qui a inspiré le tube "Joe le taxi", Maria-José Leaos Dos Santos, plus connue sous le nom de "Joe", est décédée ce dimanche 3 mars à l'âge de 64 ans.

Joe le taxi était une femme et elle s'appelait Maria-José Leaos Dos Santos. "Maria-José c'était trop féminin pour elle, lance Johanne Dumoutier, sa compagne, contactée par TÊTU. Alors elle a raccourci en Joe, et on l'appelait Joe le taxi." Elle est décédée ce dimanche 3 mars d'un cancer "fulgurant", selon Johanne, qui a accepté de revenir sur la carrière hors norme de celle qui partageait sa vie.

D'origine portugaise, Joe a fui son pays en 1974, année de son arrivée à Paris. Celle qui a "toujours aimé les femmes", précise Johanne, débute une carrière de conductrice de taxi en 1981. Au volant de son opel Ascona blanche, vêtue d'un perfecto, d'une cravate et d'un chapeau, elle était reconnaissable entre mille.

Clubs lesbiens

Maria-José a toujours officié uniquement la nuit et n'allait pas en banlieue. Son terrain de jeu ? Les boîtes de nuit, et surtout celles à destination d'un public lesbien. "Elle a très vite été intégrée dans le milieu lesbien parisien des années 1980. Elle y a activement participé et ne l'a plus jamais quitté", explique celle qui a partagé sa vie pendant 18 ans. Et de poursuivre :

"Elle allait au Privé ou au Katmandou (deux clubs lesbiens de l'époque, ndlr). Elle ramenait les princesses saoudiennes, qui, soit dit en passant, étaient souvent bisexuelles, à leurs hôtels", confie Johanne, dans un rire.

Et la chauffeure avait ses petites habitudes dans plusieurs clubs, comme Chez Moune, où elle sortait très souvent. "Elle buvait souvent un café à la Champmeslé (un bar lesbien qui existe toujours, ndlr) aux alentours de deux heures du matin avant de repartir. C'est d'ailleurs comme ça que je l'ai rencontrée", explique sa veuve, remplie d'émotion.

"On demande Joe, Joe le taxi"

Elle prenait clientes et clients dans les boîtes de nuit, où elle "trainait pas mal ses baskets", confie Johanne, et les ramenaient à leur domicile. "Elula (Elula Perrin la directrice du Katmandou, ndlr) passait une annonce au micro lorsqu'un.e client.e voulait rentrer et que Joe était dans la boîte. Elle criait 'on demande Joe ! Joe le taxi !'", se souvient sa compagne âgée de 48 ans. Et de poursuivre : "C'est comme ça qu'un soir, le parolier Etienne Roda-Gil s'est retrouvé dans sa voiture". 

Installé à l'arrière de l'opel, le parolier et la conductrice discutent. Joe n'a aucune idée de l'identité de la personne qui se trouve sur la banquette de sa voiture. Il lui demande notamment ce qu'elle boit, ou encore si elle va jusqu'en banlieue. "Je ne bois que du Coca", lui répond-elle selon nos confrères de l'Obs.

"Y march’ pas au soda", écrira par la suite le parolier dans le titre que cette rencontre lui a inspiré. "À la fin de la conversation, Etienne lui a demandé s'il pouvait utiliser son histoire pour une chanson, relate Johanne, et elle n'y a vu évidemment aucun inconvénient." Le tube est né.

Genrée au masculin

1987. Le morceau inonde les stations de radio françaises et étrangères. Il est chanté par Vanessa Paradis, âgée de 14 ans et alors inconnue à l'époque. De son côté, Maria-José reconnait son histoire, mais n'en parle pas particulièrement. "Sauf autour d'un comptoir, dans le but de faire consommer", lâche Johanne dans un rire. Certaines personnes du milieu de la nuit à Pigalle, des soirées lesbiennes ou encore du milieu des taxis parisiens, savent que c'est elle qui a inspiré l'écriture de la chanson.

Pourtant, le parolier la genre au masculin. "Il n'y avait que très peu de femmes taxis à l'époque, et encore moins qui officiaient la nuit. Il l'a écrite au masculin pour que l'histoire soit crédible", tranche sa veuve. Certainement aussi pour faire de ce titre un tube.

Le disque s'écoulera à 1.300.000 exemplaires en France et atteindra la première place des ventes seulement trois mois après sa sortie. Il se hissera dans le top 10 des ventes en Allemagne, Norvège, Suisse, Israël, aux Pays-Bas, au Danemark et au Canada dans la foulée. Avant de sortir, deux ans plus tard, aux États-Unis.

Oiseau de nuit

Âgée de 64 ans, Joe a pris sa retraite il y a deux ans. Dynamique, elle a eu "beaucoup de mal à quitter le métier", assure sa compagne. C'est ainsi que les deux femmes ont ouvert, au milieu des années 2010, plusieurs établissements lesbiens comme le Fox Club et le Calamity Joe à Pigalle. Ils ont depuis fermé à cause du voisinage. Mais qu'importe, elles continueront jusqu'en janvier 2019 à organiser des soirées lesbiennes "Joe & Johanne" dans différents bars dansants de la capitale.

"C'était clairement un oiseau de nuit. Elle ne se couchait jamais avant cinq heures du matin, y compris lorsqu'elle était à l'hôpital", confie Johanne.

Celle qui réunissait le milieu des taxis parisiens, celui de la nuit à Pigalle et la communauté lesbienne, sera inhumée le samedi 9 mars dans son village natal au Portugal. Une cérémonie en son honneur aura lieu jeudi 7 mars 2019 dans l'église St Germain de Pantin.

Crédit photo : compte Facebook Johanne Gabriel - P.Kovarik/AFP.