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musiqueRencontre avec Lara Fabian : "Depuis mon enfance, j'ai toujours vécu avec la communauté gay"

Par Alexis Patri le 07/03/2019
Lara Fabian

[PREMIUM] Début février 2019, une grippe l'avait empêchée d'assurer la promotion de son nouvel album, "Papillon", avant sa sortie. Un mois plus tard, TÊTU a finalement rencontré Lara Fabian. Une artiste engagée de longue date contre l'homophobie, à la sincérité désarmante. Interview.

Il y a des interviews que l'on fait sans attentes particulières. Sûrement par crainte de se retrouver face à une machine trop bien huilée, à des réponses policées et sans saveur. Lara Fabian pourrait faire partie de ces artistes trop rodés à l'exercice. Même inconsciemment, l'image peu reluisante qu'a donné d'elle la télé des années 1990 et 2000 (Thierry Ardisson et "Les Guignols" en tête) imprègne encore l'idée que l'on peut se faire d'elle. A coups d'éclats de rires, de réponses réfléchies et avec une sincérité désarmante, la chanteuse belgo-canadienne a explosé tous les clichés que nous pouvions avoir sur elle. Nous sommes repartis chamboulés, et allégés de pas mal d'idées reçues.

Nous l'avons rencontré pour la sortie de "Papillon", publié le 8 février. Un nouvel album qui mêle avec cohérence la voix de la chanteuse à une électro éthérée. Il s'agit de son premier en français depuis 2015. Son album "Camouflage", sorti en 2017, était en effet intégralement en anglais. Lara Fabian est également coach à "La Voix" (le "The Voice" québécois). La chanteuse est revenue pour nous sur l'impact qu'ont eu "La Différence" et "Deux Ils, Deux Elles", ses deux chansons sur l'homosexualité. Celle qui se dit "une emmerdeuse", parce qu'elle mange sans gluten et peu sucré, a également évoqué avec nous le groupe d'hommes gays siciliens avec lesquels elle a grandi, et son amie Maurane, disparue en mai 2018.

 

En plus de ce nouvel album, tu prépares "50", une tournée pour fêter tes 50 ans qui commencera à janvier 2020. A quoi faut-il s'attendre ?

J’avais envie de célébrer ce chouette cap des 50 ans avec les gens qui m’ont permis depuis 30 ans d’avoir une carrière. C’est une façon de les remercier. Cette tournée est un récit en musique de toutes les chansons qui ont nourri cette relation avec mon public. Il y a aura évidemment les classiques : « J’y Crois Encore », « Immortelle », « Je T’aime », etc. Mais aussi d’autres plus confidentielles qui, à mon insu, sont devenues importantes pour le public, comme « Pas Sans Toi », « Caruso » et « Relève-toi ».

Ton album "Papillon" est plus électro. Parce que c'est dans l'air du temps ou parce que c'est ce que tu écoutes ?

Un peu les deux. L'électro permet une chose intéressante : préserver mon ADN compositrice-auteure-interprête, tout en l’enveloppant dans ce univers musical plus planant et plus hypnotique. C’est ce que j’avais déjà un peu fait sur "Camouflage" [son précéden album, en anglais, ndlr]. Je m’étais déjà entourée d'une équipe qui connaît bien ces sonorités, et je voulais le faire à nouveau, cette fois en français.

Tu avais participé à l'Eurovision en 1988 avec "Croire". Qui vas-tu soutenir cette année ?

C'était l’année où Céline [Dion, ndlr] avait gagné pour la Suisse ! J’adore cette émission, mais je suis au Québec et je n’ai pas encore pris le temps de m’y intéresser cette année. Je ne voudrais pas dire quelque chose à côté de la plaque. J’ai entendu parler de Bilal Hassani, par exemple, mais je ne connais pas l’artiste. Il est bien ?

[On lui explique sa musique, sa personnalité, son âge, ses perruques, le harcèlement en ligne]

Donc il en a une "paire "magnifique pour aller faire ça ! C’est génial, parce que c’est une grosse prise de risque. Sur le harcèlement, aujourd’hui les réseaux sociaux traduisent la haine de manière immédiate. Mais cette méchanceté a toujours existé. Les gens condamnent les réseaux sociaux, mais avant la même chose se passait de bouche à oreille, d’un village à l’autre. Il ne faut surtout pas s’arrêter à cette haine.

Quels sont les artistes que tu écoutes ?

J’ai une passion pour Brendon Urie de Panic At The Disco. C’est un génie absolu, un espèce de polymorphe imbibé de talent. Il me rappelle un peu Freddie Mercury et George Michael. Il a le génie de Kate Bush. Je l’écoute en boucle. J’aime aussi beaucoup Chris. Que ce soit dans la vocalité ou dans l’intelligence de sa présentation, il y a toujours quelque chose à l’avant-garde et, dans le même temps, complètement introspectif. J’aime ce mélange d’intimité et d’extériorité.

Que des artistes très queer finalement...

Oui c’est vrai, je n'avais pas réalisé ! (rires) Il faut croire que j’ai un côté profondément attiré par le queer.

Dans ta carrière, il y a deux chansons qui ont marqué plus que les autres le public de TÊTU : "La Différence" et "Deux Ils, Deux Elles".  Comment est né cet engagement ?

Ça vient d’une histoire personnelle, d’une histoire d’amitié avec un garçon, qui était aussi d’une certaine façon une grande histoire d’amour. Avoir été témoin de sa souffrance, de l’homophobie qu’il a subie, m’a donné envie d’écrire pour témoigner de cette injustice et de cette condamnation inacceptable.

Tu pourrais encore écrire sur le sujet aujourd’hui ?

Bien sûr, mais il faudrait que ce soit en phase avec quelque chose que je n’aurais pas déjà dit. « Deux Ils, Deux Elles » était lié aux débats sur le mariage pour tous. Mais je n'écrirais pas une nouvelle chanson sur l'homosexualité uniquement parce que c'est l'un de mes sujets de chanson, ça n'aura pas d'intérêt.

"L’amour que mes parents portaient à ces garçons homos d’origine sicilienne m’a ouvert l’esprit."

Avec le recul, comment perçois-tu la manière dont "La Différence" a été reçue à sa sortie, en 1997 ?

J’ai vu des gens de milieux hyper-croyants, psychorigides et complètement hermétiques changer du tout au tout parce que cette chanson avait résonné en eux avec quelque chose plus grand que leur inquiétude. Cette intolérance vient au final d’une peur pour la "perpétuation de l’espèce". Evidemment, que lorsque cette crainte devient une haine, c’est inacceptable. Je ne vais pas commencer à faire de l’anthropologie, mais quand on discute longtemps avec eux, c’est cette peur qui ressort. « On n’aura pas de petits-enfants », c’est une phrase que j’ai entendu tellement souvent !

Ce sont ces chansons qui ont fait venir un public gay à toi ou ce public qui t'a inspiré ces chansons ?

Qui de l’oeuf ou de la poule ? Et que faisons-nous du coq ! Les deux sont trop mêlés pour savoir. Cette communauté a toujours été dans ma maison. Quand j'étais petite, les meilleurs amis de mes parents étaient une bande de garçons. Des peintres et un ingénieur. Ils étaient tous gays. J’avais huit ans, c’était en 1978, donc une tout autre époque. L’amour que mes parents portaient à ces garçons d’origine sicilienne - avec qui on faisait la fête et partait en vacances - m’a ouvert l’esprit très jeune. Cet attachement vient de là. Encore aujourd’hui, 80% de mes proches sont homos.

Rencontre avec Lara Fabian : "Depuis mon enfance, j'ai toujours vécu avec la communauté gay"
Crédit photo : Genevieve Charbonneau

Parlons de ton nouvel album. Sur ce disque, la chanson "Superman" raconte l'histoire d'un homme qui rêve d'une autre vie. Il y a des choses que tu changerais dans ton passé ?

Non, la volonté de changer ce qui a été est très stérile. Si je changeais même un tout petit élément de mon passé, je ne serais pas la fille que je suis aujourd’hui. Mais cette chanson parle de ce que vivent beaucoup de gens : on naît dans une boîte, on vit dans une boîte, on meurt dans une boîte. « Superman » raconte la vie de celui où celle qui, dans son confinement, rêverait d’un quotidien plus glamour, plus extraordinaire.

Tu as dédié le titre "Alcyon" à Maurane. Que retiens-tu d'elle ?

[Elle marque une pause] Tout le respect et tout l’amour qu’on a partagé.

Pourquoi lui avoir dédié un titre écrit avant sa disparition, plutôt que de lui en écrire un spécifiquement ?

Je l’ai fait avec « Tu es mon Autre ». C’est la chanson qui cristallise pour la vie ce que nous étions. "Alcyon" est davantage une manière de raconter l’extraordinaire animal qu’elle était. Maurane était capable de faire son nid ailleurs que dans son propre milieu, sans s’en détacher. 

"Avec l’expérience de coach à "La Voix",  j’ai découvert une joie immense : celle de se mettre au service d’un jeune artiste."

Tu expliquais en 2017 que tu aimerais travailler avec Sia. Un contact a été établi ?

Non. J’avoue que j’ai été beaucoup occupée, entre la tournée mondiale, le rôle de coach à "La Voix" ["The Voice" Québec, ndlr] et l’écriture de l’album. Mais Sia fait partie des gens avec qui j’aimerais travailler, c’est certain. En France il y a un jeune mec dont j’adore le travail, qui s’appelle Nazim. Il écrit pour Amir. C’est un petit génie qui sait tout faire. J’aime aussi beaucoup Vitaa, la fraîcheur qu’elle dégage.

Tu as toujours un projet d'école de chant à Bruxelles ?

Bruxelles, non. Enfin Bruxelles ou Montréal, on verra. J’ai appris la transmission, avec l’expérience de coach à "La Voix". Et j’ai découvert une seconde satisfaction immense. Comme ce que je ressens lorsque je chante. Se mettre au service d’un jeune artiste, voir ses yeux s’illuminer quand tu lui transmets une astuce que tu utilises dans ton métier, c’est ce que j’ai vécu de plus fort depuis longtemps. Mais ce projet d’école de chant, ce sera pour plus tard, après la tournée "50".

Tu es aussi maman de Lou, 12 ans. Ta fille est toujours aussi passionnée par la pâtisserie ?

Toujours. Quand je rentre à la maison, il y a des gâteaux partout. La cuisine est inondée d’une pluie blanche de farine. C’est dingue la manière dont ça la passionne : elle fait des recherches, elle observe... Elle sait déjà ce qu’elle veut faire et où elle veut le faire. C’est assez stupéfiant. Mon amie Massayo, une pâtissière japonaise émérite, lui a appris à faire ses premiers biscuits à l’âge de deux ans. A trois, quatre ans, elle était déjà fourrée en permanence dans la cuisine. Aujourd’hui elle en a 12 ans et elle a déjà un gâteau « signature » : un fraisier (sans gluten car j'y suis allergique, à mon grand désespoir), qu’elle a créé à 10 ans, pour mon anniversaire. Elle a élaboré une génoise qui est assez dingue, comme un nuage, et qu’elle fait en plus presque sans sucre, car j'en mange peu, je suis une emmerdeuse ! (rires)

Crédit photo : Genevieve Charbonneau