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musiqueMort de Yann-Fañch Kemener, figure du chant breton : "On ne doit pas avoir honte d’être soi-même"

Par Youen Tanguy le 19/03/2019
Kemener

[PREMIUM] Yann-Fañch Kemener, figure emblématique du chant breton, est décédé samedi 16 mars à 61 ans. Il avait accordé une interview à TÊTU en 2002, où il était notamment revenu sur son coming-out dans les années 80.

C’était une grande voix de la musique bretonne. C’était aussi un homosexuel engagé. Yann-Fañch Kemener est décédé des suites d’un cancer, samedi 16 mars à Trémeven, dans le Finistère. Il avait 61 ans. En novembre dernier, il avait diffusé un message sur son site internet expliquant mettre en suspens toutes ses activités "pour des raisons de santé".

« C’est une grande perte pour le monde culturel breton », s’est ému auprès de l'AFP Roger Colas, le maire de la commune. Une perte pour la communauté LGBT, aussi. Car l’homme, décoré de l'Ordre de l'Hermine et de l'ordre des Arts et des Lettres, n’avait jamais fait mystère de son homosexualité, même si les médias en faisaient rarement mention.

« Son homosexualité a apporté de l'empathie à son art. »

"Je n'ai jamais revendiqué mon identité gay"

« Les gens ont du mal à comprendre que son homosexualité a apporté une certaine profondeur et de l'empathie à son art, confie son amie militante et journaliste Hélène Hazera, jointe par téléphone. Il était passionné par la culture des autres. » 

Elle l'avait d'ailleurs interrogé pour le journal Libération en 1996. Kemener y confiait avoir voulu monter sur scène vers 12-13 ans pour "faire danser les gens d'abord", puis par soucis de "transmettre". "Quand je chante, je veux restituer la subtilité de la langue, aller à l'essentiel du mot...", disait-il.

En 2002, six ans plus tard, Yann-Fañch Kemener avait accordé une interview à TÊTU à l’occasion de son concert au Stade de France pour la Nuit celtique. Il y racontait n’avoir « jamais revendiqué » son identité gay, mais ne pas avoir « éludé » la question non plus. « J’ai répondu présent quand il a fallu le faire : la couverture de Gai Pied dans les années 80, la ‘Nuit gay de Canal+’. »

Hélène Hazera se souvient bien de cette couverture de Gai Pied, en 1981. « Le magazine était tous les kiosques à journaux et avait fait un gros scandale en Bretagne », s'amuse-t-elle aujourd'hui. Suite à cette publication, Yann-Fañch Kemener avait d’ailleurs été interdit de participer au Festival Interceltique de Lorient pendant sept ans, comme nous l'a expliqué la journaliste passionnée de musique française. 

"Le goût de la vérité"

« Ce qui l’a motivé à le faire, c’est le goût de la vérité (elle réfléchit) et de la provocation aussi (rires). Il vivait mal de cacher son homosexualité. » Il avait d’ailleurs évoqué l’impact de son coming-out en Bretagne dans son interview à TÊTU. « Je pense que cela a aidé certaines personnes à se définir, nous confiait-il alors. Il faut espérer et travailler pour que ce millénaire nous apporte l’humanité. »

Mort de Yann-Fañch Kemener, figure du chant breton : "On ne doit pas avoir honte d’être soi-même"

« Son rêve, c'était de trouver un compagnon bretonnant. »

En Bretagne, il avait "son petit cercle d’amis homos ruraux", sourit Hélène Hazera. « Il a eu des amoureux aussi. Mais son rêve, c'était de trouver un compagnon bretonnant, quelqu’un avec qui il puisse porter les douze jupons (ancienne tradition des mariages bretons, NDLR). »

Son amie se souviendra avant tout d’un homme doté d’une « sensibilité extrême, presque magique ». Elle retiendra aussi sa voix unique, son humour éclatant, et sa générosité débordante. Il avait notamment été le premier à organiser des fest-noz (fêtes bretonnes) pour la lutte contre le Sida.

"Je suis un homme debout sur ses deux pieds"

Dans son interview à TÊTU, le chanteur avait enfin livré un beau message d'acceptation, qui résonne encore avec beaucoup de justesse aujourd'hui : « Surtout, arrêtons de prendre les régionaux pour des ploucs, disait-il. Il n’y a pas qu’un modèle gay, qui serait le modèle parisien que l’on tente de nous imposer. L’identitarisme gay est un 'isme' de plus et les 'isme' m’emmerdent ».

Et de conclure : "La société est faite de beaucoup de gens différents. Rencontrons-les. On ne doit pas avoir honte d’être soi-même. Je suis un homme debout sur ses deux pieds".

Crédits photos : Wikimedia commons.