PREMIUM. La nouvelle adaptation de "Tales of the city", la saga queer d’Armistead Maupin, est disponible sur Netflix. TÊTU a rencontré l’auteur de légende et Murray Bartlett, l’interprète de Michael Tolliver.
(Cet article est d'abord paru dans le nouveau numéro de TÊTU, le magazine, actuellement disponible chez votre marchand de journaux.)
“Qu’est-ce que cela fait d’être le pape de la culture gay?” demande-t- on, un brin lèche-cul, à Armistead Maupin, l’auteur des “Chroniques de San Francisco”, dont une nouvelle adaptation arrive sur Netflix. L’écrivain de 73 ans part dans un rire caverneux : “Vraiment ? s’étrangle- t-il. Mais je n’ai pas postulé pour ce job! Plus sérieusement, je suis vraiment fier d’avoir fait partie de la révolution de ces quarante dernières années. Quoi de mieux que d’avoir bâti une œuvre parlant de l’essence même de qui je suis ?”
Toujours moderne
L’Américain joue les modestes : sa saga littéraire, démarrée en 1974 dans un canard local, est sûrement la plus importante de la culture gay. Ce cycle de neuf livres a déjà été adapté à la télévision, à la radio et en comédie musicale. L’histoire de la communauté queer du 28 Barbary Lane, dirigée par la matriarche trans Mrs Madrigal, a accompagné des générations entières de lecteurs et de lectrices LGBT+. “Tales of the City”, son titre en anglais, demeure à ce jour l’une des plus belles incursions de la culture queer dans l’univers mainstream.
Cette nouvelle adaptation par Netflix est un soap malin situé quelque part entre Queer as Folk, Orange is the New Black et Looking. Dans cette fausse suite aux allures de reboot des mini- séries (1993, 1998, 2001), une jeune lesbienne (May Hong) accompagne la transition de son petit ami latino (Josiah Victoria Garcia), Shawna (Ellen Page) est en quête de ses origines et Mrs Madrigal voit son passé resurgir.
La série, qui réussit son ancrage dans les années 2020, “chronique” adroitement notre époque : sa fluidité sexuelle et de genre, ses tensions intergénérationnelles ou encore les effets des nouveaux modes de prévention comme la PrEP. Surtout, elle refuse d’idéaliser San Francisco, personnage principal de l’œuvre de Maupin, et montre parfaitement comment la ville – naguère capitale de la libération sexuelle, aujourd’hui dévorée par l’industrie de la Tech – est en train de perdre son âme queer, effaçant par là même une partie de la mémoire des luttes LGBT+.
Pour réussir cette nouvelle version, Netflix a fait appel à Lauren Morelli, l’ex-scénariste de la série Orange is the New Black. “Cette fois, je ne suis que le producteur exécutif, ajoute Armistead Maupin. J’ai suivi l’écriture, mais c’est Lauren qui a orchestré ces dix nouveaux épisodes. Pour les autres miniséries, je le faisais moi-même, je tapissais le sol de mon appartement avec des post-it. C’était un enfer, dit-il en riant. Cette fois, il y a dix auteurs queer impliqués dans l’écriture. Tous ont ajouté leurs expériences pour créer ces histoires.” Ambition affichée : rajeunir le public.
“Beaucoup de jeunes ne connaissent pas la saga, reconnaît l’auteur. Mais il n’y a aucune raison que l’histoire ne les séduise pas eux aussi ! J’ai mis mon récit entre les mains des bonnes personnes. J’ai veillé à ce que les auteurs maintiennent l’ADN de mes personnages originaux. Ils ont désormais leur propre histoire. Finalement, le seul autre écrivain à qui je peux me comparer est, je crois, George R. R. Martin, l’auteur de « Game of Thrones » !” s’amuse-t-il.
Si les actrices Olympia Dukakis et Laura Linney retrouvent leurs rôles des adaptations précédentes, respectivement Anna Madrigal et Mary Ann Singleton, le reste du casting est totalement renouvelé et majoritairement constitué de comédiens et de comédiennes LGBT+. Outre Ellen Page, on y croise Bob the Drag Queen, le vainqueur de la saison 8 de RuPaul’s Drag Race. Le rôle de Michael Tolliver, héros gay de la saga, a été confié à Murray Bartlett. “J’étais très familier du travail d’Armistead Maupin. Lorsque je suis venu à San Francisco pour la première fois dans les années 1990, l’ami chez qui je vivais avait la première minisérie en VHS. Et je l’ai dévorée, se souvient l’acteur australien. Je suis devenu obsédé par cette histoire. La série s’est mélangée avec ma première impression de San Francisco.”
Pour le comédien de 48 ans, l’opportunité d’incarner ce personnage culte était une chance qui ne se refuse pas : “J’adorais Michael dans les livres et dans la série. Mais, en quelques décennies, il a traversé beaucoup de choses. Il est devenu séropositif, il a traversé la crise du sida, il a perdu beaucoup d’amis et cru qu’il al- lait mourir. Faire face à la mort et finalement réapprendre à vivre d’une manière totalement différente grâce à l’arrivée des trithérapies vous fait forcément gagner en sagesse et en maturité. Mais je voulais qu’il garde cet esprit juvénile.”
Nouvelle génération
Murray Bartlett incarnait déjà un personnage gay, Dom, dans Looking, la série gay de HBO. Ouvertement ho- mosexuel, il n’a pas hésité à interpréter Michael Tolliver, sans craindre que ce type de rôles ne lui colle à la peau : “C’est une chance incroyable d’entrer dans le monde d’Armistead Maupin. Et le casting et l’équipe sont fabuleux. J’aurais été idiot de dire non. En tant qu’acteur, on a tou- jours peur d’être catalogué. Mais j’ai adoré jouer dans Looking et j’adore Tales of the City. Il faut juste regarder ses opportunités et faire confiance à son intuition.”
Selon l’acteur, les deux séries partagent, au-delà de leur thème et de leur décor (San Francisco), quelques liens filiaux : “Quand on tournait Looking, Tales of the City était notre inspiration première. C’était le show jusqu’alors le plus repré-sentatif de cette communauté. Mais l’histoire de 'Looking' était plus ramassée. Elle se concentrait sur trois personnages. Cette nouvelle adaptation implique différentes générations de personnages trans, gays, lesbiens... Le spectre est plus large.”
Le personnage de Michael sort désormais avec un garçon plus jeune, Ben Marshall, incarné par l’acteur Charlie Barnett, déjà remarqué dans la série Russian Dolls, toujours sur Netflix. La différence d’âge est souvent source de friction : “On n’a pas intellectualisé cette relation, explique Murray Bartlett à TÊTU. D’abord, parce que c’est un fait, je suis plus vieux et Charlie est plus jeune. On s’est laissé porter par cette dynamique. On est conscients d’être de générations différentes. Mais Michael est un éternel adolescent. Il se connecte immédiatement avec les mecs plus jeunes, notamment avec le personnage que joue Charlie qui, sur bien des plans, est plus mature que lui !”
Attachant
À travers ce couple si attachant, la série décrit habilement la difficulté des générations précédentes à interagir avec celle des millennials dont les principes et le vocabulaire, certes plus inclusifs, peuvent parfois passer pour des leçons de morale et de politiquement correct. “J’ai moi-même connu ce genre d’histoires, confie Murray Bartlett. J’ai été amoureux de mecs plus jeunes et plus âgés que moi. Au début, tu ressens une intense connexion. C’est ce que Ben et Michael partagent. Le show démarre six mois après leur rencontre, un moment intéressant dans une relation. Je ne dis pas que la lune de miel est terminée, mais c’est le moment où tu te demandes : « OK. On en est où? »”
Les aficionados de la saga retrouveront avec bonheur ses personnages emblématiques. Mais que les autres se rassurent : ils pourront sauter à pieds joints dans cette série parfaitement accessible sans avoir lu les livres ou visionner les séries précédentes. D’ailleurs : ne vous privez pas de ce plaisir.
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