cinéma"Haut perchés", une habile comédie "drama" et queer

Par Romain Burrel le 19/08/2019
Haut perchés

Avec "Haut perchés", Olivier Ducastel et Jacques Martineau reviennent avec un huis clos inversant le rapport entre victimes et manipulateur pervers. Un quintette d’acteurs rafraîchissants portent cette comédie drama et habile.

Le film "Hauts perchés" sera présenté ce mardi 20 août à 19h45, en présence de l'équipe du film, lors de la séance "Gay Friendly" du cinéma Gaumont Opéra Premier, à Paris.

On va les faire hurler. Mais, si le cinéma homosexuel français existe, Olivier Ducastel et Jacques Martineau comptent parmi ses tauliers. Le couple de cinéastes a créé, dès la fin des années 1990, une œuvre cohérente et gay faite de comédie musicale sur fond de sida ("Jeanne et le Garçon formidable", 1998), d’éveil homosexuel en province ("Ma vraie vie à Rouen", 2003), de comédie familiale sur fond de coming out ("Crustacés et Coquillages", 2005) ou d’amour naissant en sex club ("Théo & Hugo dans le même bateau", 2016).

Avec "Haut perchés", leur nouveau long métrage, le duo s’attaque à l’un des sujets préférés des magazines féminins : les pervers manipulateurs. L’histoire de cinq personnes, quatre garçons et une fille, qui découvrent qu’elles sont toutes sorties avec le même homme, un menteur pathologique, et décident de se venger. Ils le séquestrent dans une pièce où la caméra ne pénètre jamais et où ils se succèdent pour le confronter.

Gang des ex

Il y a au moins deux façons d’interpréter le titre du film. L’une littérale  : le tournage s’est déroulé chez Olivier Ducastel, dans une immense tour du 19e  arrondissement de Paris, d’où l’on toise toute la capitale (et où TÊTU retrouve l’équipe le temps d’une interview chorale). L’autre plus allusive  : le plan échafaudé par ce gang des ex est totalement branque, perché.

D’où vient-elle cette histoire, d’ailleurs? "De la vie d’Olivier!” balance Jacques Martineau. Son double de cinéma (et ex-compagnon) ne nie pas  : “J’ai rencontré coup sur coup trois garçons manipulateurs, raconte-t-il. À 50 ans passés, je pensais être protégé de ce genre de personnages. Mais en fait, non. Je me suis un peu comporté comme un ado qui ne se rend pas compte qu’il est en train de se faire manipuler. Après coup, j’ai trouvé ça intéressant. J’ai commencé à penser à ce que ça pouvait devenir en tant qu’objet de cinéma.”

Mais pas une seconde le réalisateur ne songe à accorder plus d’importance au rôle du manipulateur : “Ça ne m’intéressait pas de filmer ces personnes. Je préférais me concentrer sur celles et ceux qui ont été confronté·es à sa perversion et qui vont, par le biais de la parole et de la rencontre, tenter d’avancer.”

"Haut perchés", une habile comédie "drama" et queer

Perversion

Dans sa forme, le film reprend les codes du théâtre filmé, notamment le lieu unique, ici l’appartement d’une des victimes où ce petit monde est réuni. On pense à 8 femmes de François Ozon. “J’ai dit à Jacques : « Pourquoi on ne filmerait pas cette pièce de théâtre que l’on n’a jamais écrite quand on était jeune ? »” précise Ducastel. "Haut perchés" est donc conçu sur un mensonge, un subterfuge. “Ce film est une sorte de puzzle. Il manque une chambre. Il manque un personnage”, acquiesce Martineau.

Dans ce huis clos vrillé où chacun tente de guérir de sa blessure amoureuse (ou narcissique…) par la parole, chaque rôle a son moment ; chaque acteur, son monologue. Ces personnages, qui n’ont en commun qu’un amant, se séduisent, se frôlent et s’engueulent pour exorciser la douleur de la trahison. Avant finalement de se fissurer et de tomber en morceaux. “C’est ça qui est passionnant à jouer : des personnages qui s’écroulent. Parce qu’il y a une trajectoire à montrer, argumente l’acteur François Nambot. Mon personnage est celui qui reçoit les autres chez lui. D’apparence, il est très en contrôle. Mais, en fait, pas du tout. Moi aussi je prends parfois de grands airs, mais je peux m’effondrer comme un château de cartes.”

Au-delà de son habile dispositif, l’atout du film réside dans la force et la fraîcheur de son casting. On y retrouve François Nambot et Geoffrey Couët, les deux héros du précédent film des cinéastes, "Théo & Hugo dans le même bateau" ; Simon Frenay (aperçu dans la web-série "Les Engagés") et un jeune acteur tout droit sorti de la Femis, Lawrence Valin.

"Haut perchés", une habile comédie "drama" et queer

Mâles blessés

Et, au beau milieu de cette clique de mâles blessés : un rôle féminin qui, forcément, détonne : “L’un des garçons que l’on avait envisagé pour le rôle n’était pas disponible pour le tournage, explique Olivier Ducastel. "J’avais très envie de retrouver Manika Auxire, avec qui j’avais travaillé l’été précédent au conservatoire. Jacques m’a fait une crise en hurlant" : 'C’est complètement absurde ! C’est une histoire de pédés ! Y’a pas de rôle de fille !' Au bout de 24 heures, il s’est rendu compte que ce n’était pas idiot.”

“J’ai réécrit le rôle, mais finalement pas tant que ça, précise Martineau. C’était rigolo de se dire qu’une fille avec quatre garçons pouvait avoir le même type de relation qu’un garçon avec d’autres garçons gays."

Chaque rôle a été écrit sur mesure pour son interprète. Mais si, à l’exception évidente de Manika Auxire, la plupart des membres du casting sont des garçons gays. Ce n’est pas le cas de Lawrence : “Mon rôle est plus mystérieux. Peut-être que Jacques a eu plus de mal à me cerner. Peut-être parce que je ne suis pas homo. Mais je ne voulais pas passer pour un intrus. Il y avait des blagues que je ne comprenais pas. Des choses que je n’arrivais pas à dire. Par exemple, le mot 'pédé' était impossible pour moi à prononcer. C’est une insulte. Alors que le reste de l’équipe l’a dit à longueur de journée. Pendant les répétitions, je me disais qu’il fallait que j’arrive à aller dans cette liberté-là.”

"Haut perchés", une habile comédie "drama" et queer

Une vraie tension entre les comédiens

Homos ou hétéros, le tournage, ramassé sur dix jours, a ébranlé les certitudes des comédiens. “Une sorte de séduction à cinq s’est installée entre nous, confie Geoffrey Couët, récemment à l’affiche des 'Crevettes pailletées'. Lors du tournage, on a tous un peu flirté. Il y a une scène où je viens me coller contre Lawrence. Pendant la prise, on a ressenti une vraie tension entre nous. Sans plus savoir si cela se jouait entre les acteurs ou entre les personnages. Lawrence était très déstabilisé que je vienne me planter ainsi dans ses yeux.”

"Dans un bon huis clos, soit on s’entretue, soit tout le monde finit par baiser." Jacques Martineau

Par bien des aspects, "Haut perchés" est une réponse à "Théo & Hugo dans le même bateau". Si le film précédent des cinéastes montrait tout, notamment une scène de sexe explicite de quinze minutes, avec celui-ci, le duo passe son temps à dissimuler, par vice ou par jeu, certains détails au spectateur :

“Et voilà! s’agace Jacques Martineau. On ne fait pas comme d’habitude, on va nous reprocher d’être inconstants. C’est vrai qu’au fond de nous-même, il y a un côté mauvaise tête. Cette fois, on a pris un malin plaisir à ne rien montrer. On s’est presque interdit tout contact physique entre les personnages. Le film s’ouvre même sur un baiser refusé par celui de François. Dans un bon huis clos, soit on s’entretue, soit tout le monde finit par baiser.”

"Haut perchés" agit sur le spectateur tel un miroir. Sommes-nous du côté du manipulateur ? Ou des manipulés ? Du corrupteur devenu victime ? Ou des victimes devenues bourreaux ? Il fait parfaitement écho à nos paranoïas contemporaines. Ces trahisons rendues possibles par les applications de rencontres et les réseaux sociaux, lorsque plusieurs vies s’accumulent dans nos téléphones portables.

On s’en voudrait de ne pas demander au scénariste de "Jeanne et le Garçon formidable" (et ancien militant d’Act Up) s’il a vu "120 battements par minute".

“Avais-je seulement le choix ? plaisante Jacques Martineau. C’était étrange. En tant qu’ancien militant, j’étais terrifié à l’idée de me reconnaître. Mais je ne me suis retrouvé nulle part. Je connais Robin depuis trente ans. Je le vois beaucoup plus depuis que son film est sorti. Ça a recréé quelque chose de joli entre nous. 'Jeanne et le Garçon formidable' était un film d’Act Up, à l’humour très actupien. '120 battements par minute est un film sur Act Up'." Et c’est très bien ainsi.

Haut perchés, d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, avec Manika Auxire, Geoffrey Couët, Simon Frenay, Lawrence Valin et François Nambot. En salle.

Crédit photo :Epicentre