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cinémaDjanis Bouzyani, la révélation du premier film de Hafsia Herzi

Par Félicien Cassan le 11/09/2019
Djanis Bouzyani

Lumineux et hilarant dans « Tu mérites un amour », premier film de Hafsia Herzi en tant que réalisatrice, cet acteur queer venu du monde de la danse pourrait bien être la révélation des prochains Césars.

Lorsqu’on rencontre Djanis Bouzyani, chez lui, quelques jours avant la sortie de « Tu mérites un amour », on est d’abord presque déçu de découvrir une « vieille âme », loin de l’exubérance d’Ali, son rôle de meilleur ami dans la première réalisation de Hafsia Herzi. L’acteur de 25 ans, artiste multi-facettes repéré dix ans plus tôt, dégage une impressionnante maturité, doublée d’une gravité inattendue.

Hafsia Herzi, une "grande soeur"

« J’ai clairement sacrifié une partie de ma jeunesse, ça m’a parfois manqué de ne pas avoir une bande de potes avec qui traîner. J’ai l’impression d’être déjà vieux. Mais même aujourd’hui, j’invente parfois des mensonges pour ne pas sortir, prétextant un rendez-vous alors que je suis dans mon lit en train de regarder des vieux films des années 30. »

Paradoxal pour quelqu’un qui officiait déjà à la direction artistique du Crazy Horse (sous la houlette d’Ali Mahdavi et Philippe Decouflé), à l’heure où ses congénères polissaient encore les bancs de la fac. Danseur de formation, l’artiste originaire de Colombes (92) rencontre Hafsia Herzi à 15 ans sur le doublage du « Chat du Rabbin », de Joann Sfar, dans lequel il prête sa voix à l’un des personnages.

« Elle est aussitôt devenue comme une grande sœur pour moi, très protectrice. On se parle tous les jours, on est très fusionnels. » Après avoir réalisé ensemble un court-métrage, ils se promettent de collaborer à nouveau. « Elle fera toujours partie de ma vie, elle a intérêt à me donner encore des rôles après celui-ci », éclate-t-il de rire.

« Pas une caricature »

Dans « Tu mérites un amour », donc, bijou de retenue où Hafsia Herzi joue Lila, amoureuse au cœur brisé peinant à se reconstruire en errant de lit en lit, Djanis Bouzyani est Ali, presqu’anagramme et contrepoint parfait à la lourdeur du personnage principal. Le long-métrage, malgré une sensualité farouche, figure la douleur de l’absence avec une formidable acuité. Et le personnage d’Ali, générateur de punchlines toutes plus hilarantes les unes que les autres sur l’amour et ses dérives, fait respirer le film. A tel point que l’on pense ses répliques improvisées.

« J’aurais aimé, mais je n’ai pas cette facilité, explique-t-il. Cette énergie n’est pas la mienne dans la vraie vie. Je ne m’interdis rien, mais je suis plus réservé. (…) Hafsia voulait quelque chose de très intense et exubérant, sans tomber dans la caricature. Elle souhaitait que le personnage garde quelque chose de touchant. »

Pour parvenir à ses fins et obtenir une certaine gravité, non contente d’utiliser son débit particulier, avec une pointe de zozotement, Hafsia Herzi se sert du corps de Djanis Bouzyani comme d’un outil. Plusieurs fois, notamment dans deux scènes de chant/danse qui devraient lui valoir une nomination aux Césars, on est subjugué par la fluidité de ce corps fin et élastique. Et pourtant… « Elle me disait constamment qu’il ne fallait pas que ça fasse trop danseur, mais simplement que ça ressemble au bon pote qui aime bouger. Que ce ne soit pas conscient. » Chassez le naturel…

Celui qui aurait rêvé d’être une rock star « façon David Bowie ou Prince », ne tient pas trop à parler ouvertement de sa vie privée, estimant qu’elle est intime : « Le milieu du cinéma n’est pas si ouvert qu’on le dit, j’ai subi tellement de réflexions », abonde-t-il, soucieux de lisser son image.

En revanche, s’il est loin de se faire le porte-parole des banlieues, il reconnaît la montée d’un sentiment d’acceptation, d’une vague queer venue de la périphérie : « La banlieue souffre d’une sorte de complexe d’infériorité, insufflé par une certaine élite, que ce soit sur la représentation des LGBT+ ou du sexe. Mais les gens y sont en fait plutôt ouverts. Ça peut être un milieu dur, mais il y aussi énormément de solidarité. »

Des airs de Kechiche

Le beau film de Hafsia Herzi, tourné en deux semaines avec un budget dérisoire, rappelle le cinéma d’Abdellatif Kechiche, sa vérité crue, sa douleur feutrée et sa sensualité, le male gaze en moins. C’est d’ailleurs lui qui avait révélé l’actrice marseillaise en 2007 dans « La Graine et le mulet ». Déjà encensé par la critique et récompensé par un prix de la mise en scène au Festival du film francophone d’Angoulême il y a quelques semaines, « Tu mérites un amour » devrait ouvrir de nombreuses portes à Djanis Bouzyani.

Ce dernier sera d’ailleurs bientôt à l’affiche de « Madame Claude », de Sylvie Verheyde, où il jouera le seul prostitué masculin d’une maison close. « J’ai la chance de côtoyer des metteurs en scène qui ne sont pas aseptisés », conclut-il, prêt à conquérir le monde.

Un changement de cap qu’il compte bien maîtriser, mettant de côté son ancienne vie pour désormais plaire à des réalisatrices et réalisateurs venus d’horizons variés. Lassé d’être une muse, Djanis Bouzyani est passé à l’action, et vous allez entendre parler de lui.

« Tu mérites un amour » sort le mercredi 11 septembre en salle.