[PREMIUM] La chorégraphe new-yorkaise Elizabeth Streb, ouvertement lesbienne, a présenté son nouveau spectacle ce vendredi 13 septembre au Théâtre du Châtelet. Elle s'est confiée à TÊTU.
Elle défie les lois de la gravité. La chorégraphe américain Elizabeth Streb a présenté son nouveau spectacle ce vendredi 13
septembre au Théâtre du Châtelet : une performance vertigineuse où ses "acrobates de l'extrême", étaient accompagnés par une création de Pierre-Yves Macé. Sur la scène : un portique en métal de plus de six mètres du haut duquel se sont élancés ses danseurs pour se jeter dans le vide.
La danseuse de 69 ans, qui a ouvert sa compagnie "Extreme Action" à New-York en 1985, est connue pour la dangerosité de ses chorégraphies, mélangeant des mouvements du cirque, du rodéo et de danse contemporaine. Nous avons rencontré Elizabeth Streb en mars dernier dans les couloirs encore en travaux du Théâtre du Châtelet. Elle nous a parlé de ce spectacle, surnommé "la moulinette", de son goût du risque, de sa petite amie et de Trump.
TÊTU : Considéreriez vous votre art comme dangereux ?
Elizabeth Streb : Si l'on parle uniquement des actions physiques, oui, c'est dangereux. Mais tout ce que je fais depuis que j'ai quitté l'université au début des années 80, toutes les décisions que j'ai prise, avaient pour but d'explorer le temps, l'espace et les forces. Sans la force, on montre simplement la technique apprise en ballet ou en moderne. Certaines personnes s'inquiètent avant même d'avoir fait un effort physique. Mais si votre première réaction en entrant dans une pièce est de fou tenir à distance de tout ce qui peut vous faire mal, vous ne ferez rien du tout. Vous vous pavanerez simplement.
C'est à dire ?
En musique, vous ne pouvez pas simplement utiliser votre voix, il vous faut des instruments. C'est pareil pour la danse. Vous avez besoin d'instruments pour étendre le vocabulaire du mouvement et explorer l’espace. Vous embarquez à bord de ses machines et vous explorez de nouveaux territoires, de nouveaux mondes. Alors oui, bien sûr que c’est dangereux, mais c’est la nature. La découverte est dangereuse.
Mais il y a des limites à ce que le corps peut faire…
Je ne crois pas. Pour dépasser ces "limites", il existe une technique que l'on peut développer pour se protéger de ce qu'on imagine. Mais vous ne pouvez pas vraiment l'imaginer avant de l'avoir fait. C’est presque comme si… (elle sort son carnet de dessins et nous montre ses travaux). A chaque fois, j'essaye de m'imaginer ce qui pourrait mal tourner. Si jamais mon danseur se déplace comme ça, il risque de tomber et de casser la jambe... etc. Mais c'est impossible de le prévoir.
Est-ce que ça vous fait peur ?
Je ne sais pas quoi répondre... Oui ! Bien sûr que ça me fait peur. Et je dois dire que c'est pire de regarder que de participer. En quarante ans, j'ai vu mes danseurs et danseuses se faire très mal. Vous portez constamment le poids de leurs blessures avec vous...
Qu'est-ce qui vous a donné envie de faire ce type de danse ?
J'ai commencé la danse quand j'avais 17 ans, ce qui est considéré comme très tard. Mais du coup, toutes les filles savaient déjà dansé et ne pensaient qu'à ça. Moi, je me posais d'autres questions : 'Pourquoi y’a-t-il des miroirs dans cette pièce ? Pourquoi le sol est-il si dur ?'... Je faisais aussi du basket-ball et du base-ball et j'adorais les instruments. Alors, dans la danse, je trouvais plus intéressant de travailler avec des instruments justement que de simplement représenter de manière abstraite des émotions.
Vous étiez un peu une 'outcast' ?
Sûrement oui (rires). Mais je m'en fichais complètement !
Vous avez connu le succès sur le tard. Avez-vous déjà pensé à tout arrêter ?
Non, jamais. Je savais que je n’avais pas de succès, mais je n’ai jamais baissé les bras. Une fois que vous avez trouvé ce que vous aimez vraiment faire, vous réussirez si tu vous avez la bonne idée et que vous n’abandonnez pas. En revanche, beaucoup des mes amis avaient des doutes et ne croyaient pas que j'y arriverai. Mais il n'est pas nécessaire de convaincre le monde entier, juste soi-même.
Vos instruments (des grandes roues, des gigantesques poteaux...) doivent être installés au millimètre près. Est-ce que c'est difficile d'imposer ça aux salles de spectacle ?
Oui, et c’est toujours la même chose. Avant, je faisais carrément des trous , mais c’était très impopulaire (rires) donc j’ai arrêté. Je ramène des choses, qui d'ailleurs vont mettre six ou sept semaines à faire le trajet entre New-York et Paris, qui peuvent se poser directement sur la scène. Mais on exerce tellement de forces que les éléments auxquels mes instruments sont accrochés ne peuvent pas bouger.
En 2012, vous avez dit au journal britannique Evening Standard 'Je suis une personne gay (aux Etats-Unis, gay peut être utilisé pour les hommes et les femmes) qui est restée dans le placard la majeure partie de ma vie parce que je ne voulais pas être définie par mon orientation sexuelle'. Est-ce que vous pensez toujours la même chose ?
Je ressens exactement la même chose, sauf que maintenant tout le monde sait que je suis lesbienne (rires). Je n’étais pas particulièrement féminine, mais je ne ressemblais pas à une femme lesbienne, ce qui était embêtant car je n’ai jamais été hétéro non plus. J’ai beaucoup aimé les hommes, mais pas de cette façon. On nous pousse toujours à nous définir, mais je me souviens m’être dit 'non je ne ferai pas mon coming-out', et la communauté LGBT me l’a reproché. Je ne pensais pas que c’était mon boulot de faire franchir à mon travail cette ligne jaune, de parler de ma vie privée. Ca ne m’intéressait pas et je ne voulais pas qu'on se dise : "c’est une 'gouine' qui se jette contre les murs (elle parle de ses chorégraphies, NDLR), c’est quoi la nouveauté". Donc aussi longtemps que j’ai pu éviter d'avoir cette discussion, je l'ai fait.
Mais ne pensez-vous pas qu’étant connue, vous pourriez être un modèle pour d’autre femmes comme vous ?
C'est exactement que me dit ma petite amie me dit depuis... Nous sommes ensemble depuis 26, 27 ans...
Je dirais 28 ans non ?
Oui c'est ça (rires). Mon dieu, vous savez tout ! Mais oui, je pense que je suis un modèle pour certaines femmes. Si on me pose la question désormais, je dis que je suis lesbienne. Je me dis juste que ça n’a rien à voir avec ça (elle montre son carnet). On ne vit qu’une fois et plus le temps passe, moins vous en avez et on se demande ce qu’on veut accomplir avant la fin.
En tant que femme et en tant que lesbienne, comment vivez-vous la présidence de Donald Trump ?
Oh... que dire. J'étais surprise qu'on ne puisse pas empêcher les personnes hors de contrôle comme lui d'accéder à la présidence. C'est un homme malade, à tous les niveaux. On ne peut pas se comporter comme lui et être à la tête de la plus grande puissance mondiale (elle marque un silence). J'aimerais lui casser la gueule dans une allée sombre... Je gagnerais sûrement (rires).
Crédit photo : Thomas Amouroux/Ioulex.