chanson françaiseOn a parlé de rupture, de sexe et de Grindr avec Marie-Flore

Par Romain Burrel le 19/10/2019
Marie-Flore

Le deuxième album de Marie-Flore, mais son premier en Français, sort cette semaine. Et ce n'est pas un disque pop. C'est une déflagration. Rencontre avec celle qui va braquer la rentrée.

"Tu vas devenir la nouvelle icône gay !", aurait glissé Pascal Nègre à Marie-Flore. L'ex-patron d'Universal Music, copain de Mylène Farmer, s'y connait en fabrique des idoles. Mais à l'écoute de Braquage, ce deuxième album de la chanteuse, on se dit que c'est un destin possible pour cette jeune française, ex-mannequin pour Kitsuné.

Tressé de mélodies ouateuses, porté par une voix suave et une production fine échaffaudée par Antoine Gaillet, OMOH et Robin Leduc, Braquage est le plus beau disque de cette rentrée en Français. Quelle époque exaltante pour la musique, où les femmes, auteures-compositrices et interprètes, comme Clara Luciani, Angèle ou Juliette Armanet, se réapproprient un terrain trop souvent labouré par les hommes : le désir, le sexe, la rupture.

Il ne s'agit que de cela sur "Braquage", grand disque de séparation composé en pleine gueule de bois amoureuse. Quand, malgré l'absolu certitude qu'il faut partir, le corps de l'autre continue à nous manquer terriblement.

Il y a deux ans, on découvrait Marie-Flore avec un EP délicat et une chanson sublime, Passade Digitale, ode à nos plans coeurs négociés sur applications. Cette fois, elle revient avec douze titres. Douze preuves que les histoires  ̶d̶'̶a̶m̶o̶u̶r̶  de cul finissent mal. En général.

"Braquage" un disque douloureux où il est beaucoup question de rupture amoureuse. Il a été difficile à écrire ?

Marie Flore : C’est vrai que c'est un album né d'une douleur. Mon écriture est très personnelle. Il y a forcément une base autobiographique dans mes chansons. Est-ce qu’inconsciemment, j’entretiens une sorte de flou émotionnel dans ma vie pour pouvoir écrire ? J’irai peut-être pas jusque là dans l’analyse ! (rires). Mais c’est vrai aussi que lorsque je suis heureuse, j’ai moins de choses à dire. Pour ce disque, les étoiles du malheur se sont alignées. J'avais à la fois un projet d’album et un projet amoureux qui partait en couilles. (rires)

Qu'est-ce qui t'arrive en premier, les  textes ou les mélodies ?

Toujours les textes. Ça démarre par une phrase qui vient tout installer. C’est là que je trouve le ton. Ensuite seulement je me mets au piano. Je brode. J’essaie de trouver une mélodie qui va. Et s’il y a un match entre les premières lignes que j’ai écrite et la mélodie, ensuite, c'est l’autoroute. Pour QCC, par exemple, j’ai écrit 18 couplets. Pour la version album, j’ai dû couper la mort dans l'âme mais j’étais vraiment insatiable ! (rires)

Le Français n’est pas ta première langue d’écriture. Tu as commencé par l’Anglais. Comment s’est opéré ce glissement ?

On m’a suggéré de me mettre au Français… comme on l'a suggéré à des tas de chanteuses, je pense. (rires) A cette époque, j'étais en train de finir un disque en Anglais. Je comprenais pas cette demande. Mais je m’y suis mise un peu pour la blague. Je crois que je voulais prouver que ça n’était pas mon truc. J’ai commencé à écrire une chanson qui allait devenir Palmiers en Hiver. D’ailleurs, la première ligne, c’est « Des palmiers en hiver, qu’est-ce qu’on va bien pouvoir en faire ? ». C'était littéralement, la question que je me posais devant cette rime. (rires) 

Ecrire en Français a changé mon rapport au texte. J’ai supprimé une barrière. En Anglais, personne ne me comprenait. En tout cas, pas grand monde. Désormais les gens sont dans l’empathie et s’identifient même parfois à mes chansons. C’est assez jouissif. Mais tu peux aussi avoir l'air débile quand tu chantes en Français. Ça n'est pas une langue lyrique. Si tu tentes des vocalises à la Ariana Grande, tu peux très vite être parcourue par le frisson de la honte (rires).

"Je n'ai pas du tout réfléchi à l’aspect sexuel des punchlines. C’est sorti tout seul. Mais ça fait du bien d’entendre ces mots-là dans la bouche d’une femme."

Dans l'album, il y a de corps qui se "cambrent", des "pipes que [tu] tailles"... Bref, il y a une vraie mise en scène de la sexualité. C'était un parti pris ? 

(Rires) Ça s’est fait naturellement. L’histoire d’amour dont je parle sur ce disque était emprunte de sexe. C'était une histoire passionnelle, très destructrice. Donc, écrire sur cette histoire induisait une dimension charnelle. Quand tu te sépares, le corps est toujours là pour te rappeler que tu appartiens à l’autre. Il y a un lien qui doit se défaire mais qui reste très fort. C'est quasi-chimique. 

Mais je n'ai pas du tout réfléchi à l’aspect sexuel des punchlines. C’est sorti tout seul. Après coup, j’ai eu des appréhensions. Comment ça allait être reçu par le public, la famille, les amis ? Et effectivement, il y a des moments où j’ai un peu serré les fesses. (rires). Mais ça c’est très vite évanoui. Je crois que ça fait du bien d’entendre ces mots-là dans la bouche d’une femme. Personne me m'a dit "c’est vulgaire".

On a parlé de rupture, de sexe et de Grindr avec Marie-Flore

Tu parles de punchlines, il y a chez toi un phrasé et une densité des paroles qui rappelle beaucoup le rap. Tu es amatrice de hip-hop ?

J’ai plutôt été bercée aux musiques des années 70 : Leonard Cohen, Velvet Underground… Mais j’ai commencé à écrire ce disque à Paris en plein aout… et je me faisais vraiment chier ! (rires) Je suis allé me perdre sur Youtube. Je suis tombée sur « Macarena » de Damso. Je me suis d'abord dit : "C’est quoi ce truc ?" J’ai écouté une fois. deux fois. mille fois... Puis finalement, j'ai "poncé" tous ses albums. Je ne sais pas si ça infusait mon écriture mais j’ai adoré son ton, son débit, la manière dont il parle… Si tu t’arrêtes à la première lecture de son rap, tu te dis: « C’est ultra misogyne ! » Mais il y a une seconde lecture. Je pense qu’il garde une certaine distance avec ce qu’il chante. C'est beaucoup de provoc’, de posture.

"Il n’y a pas de "posture" sur ce disque parce que lorsque je l'ai écrit, j’étais à terre."

Mais tes chansons ressemblent davantage à une mise à nu dans les règle de l'art, non ?

C'est vrai. Mais il y a de la défiance vis-à-vis de l’être aimé. Mes textes rassemblent tout ce que je n'ai pas réussi à dire mon ex. Il n’y a pas de provocation gratuite. Je n'ai pas pensé au public, c’est une adresse à une personne en particulier.Il n’y a pas de "posture" sur ce disque parce que lorsque je l'ai écrit, j’étais à terre.

Le disque ne parle que de ton ex ?

Oui. Mais ce qui est magique avec la musique c’est qu’il y aune forme de distance qui se crée. Ces douze titres sont un peu comme douze photos : plus je les regarde, plus la distance se crée entre les faits et ce que je suis en train de devenir.

Certains titres ont été prémonitoires. Six mois avant, j’ai vu en écriture ce qui allait se passer entre nous. Il y avait une dimension quasi-prophétique. Et j’ai compris des choses sur moi. « M’en veux pas », par exemple est un titre qui a changé ma vie personnelle. Pendant que je l’écrivais, j’étais en larme. Détruite. Et Suite à cette chanson, j’ai pris de grandes décisions pour ma vie. Je me suis dit : "Ah ben oui, c’est ça que tu penses en fait ma petite !" Mais tous les titres de l'album ne sont pas aussi plombés !

"Aujourd'hui, nos rencontres sont éphémères, dématérialisées. Il y a un consumérisme du corps de l’autre."

On t’a découverte avec « Passade Digitale », un titre qui parle des amours qui démarrent sur applications. Tous ceux qui ont un jour trainé sur Grindr se sont reconnus dans ce texte…

Tant mieux ! (Rires) C'est une chanson qui parle d’amour moderne. Pour le coup, cette chanson est assez loin de moi. Je ne vais pas sur les applis, ça me fait un peu peur. En l'écrivant, je ne pensais pas qu'il parlerait autant aux gens. Aujourd'hui, nos rencontres sont éphémères, dématérialisées. Il y a un consumérisme du corps de l’autre. La chanson parle de ça mais aussi du fait qu’on n’en sort jamais indemne. Les applications facilitent la rencontre. Mais il y a aussi quelque chose de triste dans cette façon de faire. Quand je chante « rouge et le pétale sur mon lit d’hôpital », c’est pour dire qu’on est parfois léger dans ces rencontres mais qu’elles peuvent aussi finir très mal finir.

Il y a un titre un peu à part sur l’album, « Sur la pente »…

Il a failli ne pas se retrouver sur le disque. C’est une chanson désillusionnée mais aussi lumineuse. Elle parle d’abandon de l’autre, de tromperie… Mais elle parle aussi de la confiance qu’on garde dans l’amour. A chaque fois qu’on retombe amoureux, on y recroit. C’est ce que je trouve exceptionnel dans ce sentiment. C’est inépuisable en terme de songwriting. Quel que soit la destruction qu'on a pu subir, j’ai la conviction qu’on renait toujours de ses cendres. Et quand ton coeur se remet à battre, c’est fou comme sentiment. Finalement, on n’a très peu la mémoire des traumas.

En ce moment, ce sont les filles qui occupent le mieux le terrain de la chanson. De Juliette Armanet, à Angèle en passant par Clara Luciani ou toi. Comment tu l'expliques ?

Il y a enfin chez nous une liberté de ton. Je ne sais pas à quoi c’est dû. Sûrement à l’air du temps. C’est important de s’emparer des codes qui ont toujours été ceux de la scène masculine. Et pas dans que dans la chanson mais dans le rnb, aussi. Regarde, Aya Nakamura, elle fait ça admirablement !

"Je crois même que je préfère écrire pour les garçons. J’aime bien leur mettre des mots dans la bouche."

Tu pourrais écrire pour une artiste de rnb ?

Bien sûr ! Bon, Aya a son propre vocabulaire et elle n’a vraiment pas besoin de moi. Mais j’ai déjà écrit pour des artistes de rnb et rap, "Comme Un Signe", pour Sofiane. J’adore écrire pour les mecs. Je crois même que je préfère écrire pour les garçons. J’aime bien leur mettre des mots dans la bouche. (rires).

Il y a des artistes avec qui tu rêverais de travailler ?

Leonard Cohen... mais c’est trop tard ! Je n’ai pas le gêne de la fan. Mais j’adorerais travailler avec. Lomepal, Damso ou pourquoi pas PNL...

PNL, ça serait une grande idée mais y’a du boulot pour rendre leur texte moins homophobe…

T’as raison, on va les mettre au pas, chéri. T’inquiète !

"Braquage", l'album de Marie-Flore est sorti sur le label du 6&7. Disponible en streaming et version physique. La chanteuse sera scène les 25, 2 et 9 décembre aux Etoiles à Paris.

 

Crédits images : Label 6&7