La chanteuse ouvertement lesbienne Pomme est de retour avec "Les Failles", un deuxième album à la grâce intemporelle. TÊTU l'a rencontrée pour parler de musique, bien sûr, mais on n'a pas su s'empêcher de parler de son orientation amoureuse... D'habitude, ça l'agace, mais comme on est TÊTU, ça passe.
Pour son deuxième album, Pomme a voulu montrer ses "failles". L'album, réalisé par Albin de la Simone, a été enregistré en cinq jours, et écrit en à peine un peu plus alors que l'autrice -compositrice-interprète, s'était réfugiée dans une maison isolée de la campagne canadienne après une rupture. Elle y a concocté un opus élégant, sensible, et loin du r'n'b à la mode des artistes qui trustent les plateformes de streaming. Et ça marche : elle cumule déjà plus d'un million de vue sur le clip de son premier single, "Je Sais Pas Danser", et s'installe confortablement dans les voix de la chanson française sur lesquelles il faudra compter.
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Comme "les oiseaux", l'un des titres de l'album, Pomme laisse envoler son vibrato vers les sommets, plus haut encore que "les séquoias" centenaires. Elle chante l'amour perdu que l'on veut à tout prix retrouver, la difficulté à accepter son corps, et se livre sur ses angoisses - notamment sa peur de la mort - avec la voix aussi claire que son prénom. Des balades, pour la grande majorité, des déambulations même, où l'on marche avec elle dans la neige du grand nord canadien, son pays d'adoption. Le verbe est poétique, les cordes très cinématographiques, et ponctuellement un vocodeur ou un synthé viennent apporter juste ce qu'il faut de modernité à ses chansons hors du temps.
Fille cool
Ce qui étonne, quand on rencontre Pomme, c'est qu'hors du temps, elle ne l'est pas du tout. Tee-shirt oversize, jean dit "boyfriend", collier ras-du-cou en retour de mode, Claire aka Pomme a toute la panoplie de la fille cool de 2019. Elle ponctue toutes ses phrases ou presque par "ouais" et "genre", comme tout le monde, et cite volontiers Billie Eillish, la nouvelle idole de la génération Z (et la nôtre).
L'artiste de 23 ans, ouvertement lesbienne depuis la parution de "on brûlera" sur son précédent opus, assume son végétarisme, et nous donne rendez-vous dans un nouveau spot vegan à côté du parc de Belleville, à Paris. "Bonjour, je suis ici pour rencontrer l'amour" lâche-t-elle en riant, lassée déjà d'une matinée à voir les journalistes défiler face à elle en mode speed-dating. Elle commande un risotto aux champignons - "désolée, j'ai pas encore mangé, tu veux un truc ?" - et l'entretien peut commencer...
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TÊTU : Salut Pomme ! Dans ton album, tu as une chanson qui s'appelle "soleil soleil", qui traite de la dépression saisonnière... C'est le début de l'hiver, donc on se sent un peu obligé de te demander comment tu vas ?
Pomme : Ca va plutôt bien. J'étais à Montréal il y a peu. Il y fait froid mais grand soleil. Alors qu'ici il fait noir... Je me suis mise à aimer le soleil récemment. J'ai besoin de mettre mes paumes au soleil, comme une folle. J'ai l'impression que ça a un vrai impact sur mon état d'esprit. Attend je vais juste... (elle se lève), j'ai mis mon portable à charger et y'a plein de gens... J'avais oublié qu'on était à Paris, la ville du vol. Je me suis fait tirer mon portefeuille en avril dans le métro. Depuis j'ai acheté une banane.
Dans cet album, tu parles donc de dépression saisonnière, mais tu personnifies aussi ton anxiété chronique dans le titre éponyme, un peu à la manière de "La Solitude" de Barbara...
Y'a plein de gens qui m'ont dit ça ! J'ai beaucoup écouté cette chanson bien sûr mais je n'y ai pas du tout pensé en écrivant "anxiété". Je n'aurais pas pu parler autrement de ça, je ne pouvais pas dire simplement "je suis anxieuse"... Se mettre dans ce personnage de l'anxiété, c'était beaucoup plus fluide. Ca me permettait de me détacher de mon anxiété à moi et de parler plutôt de l'anxiété en général.
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C'est quoi tes anxiétés ?
C'est une anxiété de la performance, surtout. Il faut que je sois parfaite, partout où je vais. Il faut que rien ne dépasse. C'est aussi pour ça que j'ai appelé mon album "Les Failles". Je me suis rendue compte que je devenais dingue à vouloir être parfaite tout le temps. Mon angoisse de la réussite est tellement intense que ça n'a plus aucun sens. Y'a des jours où je suis incapable d'écouter la personne qui est en train de me parler tellement je suis dans ma tête.
Est-ce que tu es artiste parce que tu es anxieuse, ou est-ce que tu es anxieuse parce que tu es artiste ?
J'ai toujours été anxieuse. Mais c'est probablement pire à cause de ce métier qui nous expose sans cesse à l'avis des autres. Mais c'est la vie que j'ai choisie, et les bonnes choses compensent suffisamment pour que je ne sois pas malheureuse. Cet album est une tactique aussi, pour me débarrasser de l'anxiété : en révélant mes failles, mes dysfonctionnements, je me protège. Si tout le monde le sait, ça ne peut plus m'atteindre. Et si en plus le public y est réceptif, ça me permettra peut-être de me soigner un peu, même si je dois beaucoup utiliser les réseaux sociaux, et qu'ils sont un peu contre-productifs...
"Depuis 4 ans, mon combat, c'est de faire comprendre aux gens que je ne suis pas creuse."
Les réseaux sociaux provoquent aussi un rapport au corps compliqué non ? C'est très présent dans tes chansons, comme dans "je sais pas danser" où tu dis "Je vois mon corps partout, je le compare surtout"...
J'ai un rapport totalement ambivalent avec Instagram. Je désinstalle et réinstalle l'application tous les deux jours. Y'a des moments où j'y vais trop, où je me demande pourquoi telle photo a pas eu autant de likes que la précédente, où je remets tout en question. En étant artiste, tu montres que t'es obligée d'afficher ta gueule tout le temps, c'est aussi ça qui fait venir les gens vers ton disque ou qui les encourage à prendre des places de concert. Mais si t'as pas trop confiance en toi, Instagram peut être complètement destructeur.
Il faut savoir exactement qui on est et l'image que l'on veut véhiculer...
Exactement. Depuis 4 ans, mon combat c'est de faire comprendre aux gens que je ne suis pas creuse. Je suis arrivée très jeune dans le business, j'étais maquillée comme une poupée, je chantais les chansons des autres... Je ne me sentais pas bien, parce que ce n'était pas l'image que j'avais de la féminité. En tant que meuf, dans la société t'es beaucoup plus réduite à ton corps et à ton image. C'est la raison pour laquelle je ne voulais pas une photo de moi sur la pochette. Cette illustration, c'est un moyen de me détacher de mon image.
https://www.instagram.com/p/B20K6g8BbX2/
C'est quoi la féminité pour toi ?
Je me suis jamais vraiment sentie femme. Je suis une sorte d'hybride entre une ado et une fille. Mon modèle c'est ma mère et elle ne s'est jamais maquillée, jamais épilée et elle n'a jamais porté de soutien-gorge. Et quand je me suis confrontée à la vraie vie, je me suis rendue compte que tout le monde se maquillait, s'épilait, et portait des push-ups. Et en fait j'avais pas du tout envie de faire ça. Je vois peu de femme qui me ressemblent dans les médias, et dans la société en général. Peut-être que s'il y en avait davantage, je pourrais dire que je me sens femme.
Est-ce que c'est pas à toi justement de devenir cette femme là, cette représentation ? En tant que porteuse d'une féminité différente, et en tant qu'artiste ouvertement lesbienne ?
C'est une question que je me suis beaucoup posée avant de sortir cet album. Je savais que les gens m'en parleraient. Je me suis dit "si je dis que je suis lesbienne, ça va être le titre de l'article, et je suis en promo pour mon album, pas pour mon orientation sexuelle". Que TÊTU titre comme ça, c'est une chose, mais les médias généralistes... (elle soupire) Et d'un autre coté, j'ai pensé à ces petits gars ou ces petites meufs de 13 ans qui m'écrivent du Maroc ou d'ailleurs pour me dire "heureusement que tu existes et que tu écris des chansons de lesbienne". Je me suis dit que ce serait archi-égoïste de ne pas en parler du tout. J'ai donc décidé de le dire, pas pour étaler ma vie privée, mais pour qu'il y ait des lesbiennes dans l'espace public.
On t'en parle beaucoup ?
Oui, les gens me posent des tas de questions là-dessus, mais c'est aussi parce que j'en parle dans mes chansons. Mais c'est toujours un peu gênant, parce qu'à une fille hétéro, on lui demande jamais pourquoi elle écrit des chansons hétéros. Moi j'écris des chansons lesbiennes parce que c'est ma vie, pas pour brandir le drapeau LGBT. Je tombe amoureuse de filles, et dans mes chansons, comme beaucoup d'artistes, je raconte ce qu'il m'arrive. C'est aussi simple que ça.
Dans la chanson "Grandiose", tu dis "depuis que je n'ai pas le droit, je veux un enfant dans le ventre". C'est depuis que tu as découvert ton orientation amoureuse ?
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Complètement. Tout le monde me dit "tu parles de la PMA", mais ce terme de droit au départ, c'était plutôt un droit que je m'accordais à moi-même plutôt qu'un droit que m'offrait - ou non - la société. Quand je suis tombée amoureuse d'une fille, j'ai eu l'impression que je ne pouvais plus avoir d'enfant parce que c'était pas ce que la société attendait de moi en tant que femme lesbienne - pardon j'arrête pas de cracher sur ta feuille (Pomme a du risotto vegan plein la bouche, ndlr) -. La maternité est une pression dingue pour les femmes. Aujourd'hui j'ai fait la paix avec ça, mais déconstruire ça a été plus difficile que de déconstruire l'hétérosexualité.
Ca a changé beaucoup de choses de faire ton coming-out ?
J'ai pas fait de coming-out. Je n'ai même pas dit "je suis lesbienne" parce que dire le mot "lesbienne" ça m'a pris des années. J'ai juste dit à tout le monde "je sors avec une fille", mais j'étais en panique totale à l'intérieur. Je voulais pas être amoureuse d'une fille, en fait. Je voulais tomber amoureuse d'un garçon parce qu'être lesbienne ne correspondait pas avec l'image de petite meuf qui porte du rouge à lèvres dont on parlait tout à l'heure. Je me suis dit "Ma musique devient plus sombre, et en plus je sors avec une meuf ?" C'était trop pour moi, pour ce que je pensais vouloir représenter. Je voulais être une fille comme toutes autres, qui sort avec un mec, qui a un dalmatien et un kid. J'ai cru que ma vie allait être un enfer. Alors que finalement, ma vie est géniale.
Tu avais peur que ça puisse avoir un impact sur ta carrière ?
Je n'avais pas vraiment d'inquiétude par rapport au milieu de la musique. C'est un endroit assez ouvert, et mon entourage est plutôt très friendly. Mais j'avais peur de la réaction du public. Mais je me suis dit que si les gens ne voulaient plus entendre mes chansons parce que je suis avec une fille, alors je préférait qu'ils n'écoutent pas ma musique. Et finalement ça a fédéré encore plus autour de mon travail.
Et dans ta musique, ça a joué un rôle ? Tu sembles plus libre dans ce second opus...
C'est un album où j'ai tout écrit, et dans lequel j'ai assumé plein de choses que j'assumais pas. Je me suis jeté volontairement dans la gueule du loup. Je me suis dit "ça passe ou ça casse". Sur le premier disque je savais pas trop ce que je voulais faire, je voulais plaire à tout le monde, et ça a donné un album plus lisse. Là, j'ai vraiment vomi ma vie. Y'a des imperfections, des trucs sombres. C'était soit je faisais ça, soit j'allais faire pousser des légumes au Québec.
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"Les Failles" de Pomme est paru chez Polydor et disponible depuis le 1er novembre.
Elle est en tournée dans toute la France, toutes les dates sont sur son site internet
Crédit photo : Emma CORTIJO/DR.