cinéma"Toutes les vies de Kojin": le docu qui interroge le rapport des Kurdes à l’homosexualité

Par Martin Zerr le 11/02/2020
Kojin

Homophobe jusqu’à ses 18 ans, le réalisateur iranien Diako Yazdani entreprend dans sa jeunesse une réflexion sur la sexualité. Accompagné de son ami Kojin, il confronte sa famille et des représentants de la société kurde à l’homosexualité dans un documentaire à la première personne.

Diako Yazdani vit à Paris depuis 2011. Kurde iranien, il a fui son pays où il ne peut plus se rendre. En 2014, il retrouve en Irak un ami kurde et iranien, qui lui confie être gay. Diako prend alors conscience de la double oppression que vit son ami, renié par sa famille et réfugié en Allemagne, en raison de son appartenance ethnique et de son orientation sexuelle. C’est ainsi que le sujet de l’homophobie dans la société kurde s’impose au réalisateur.

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Obscurantisme

Quelques années plus tard, Diako s’empare d’une caméra et se rend en Irak pour retrouver Kojin, 23 ans, qu’il a rencontré à l’aide d’une application. Il est le seul Kurde homosexuel qui accepte de lui livrer son témoignage. Les deux hommes vont d’abord à la rencontre d’un imam. La désinformation est totale. Il peut guérir le sida autant qu’il peut sauver les gays. L’homosexualité est une maladie psychologique qui se soigne en chassant le "djinn" (esprit malveillant) qui habite le patient. Il faut donc se taper le dos – où le "djinn" se cache chez les homosexuels – et réciter le Coran pendant quelques heures pour se soigner. Car c’est du dos que provient le sperme de l’homme avant de passer par le testicule droit (le testicule gauche est quant à lui rempli d’urine – sic). Un homosexuel attrape la syphilis, le sida ou encore Ébola. Il ne peut plus « retenir ses saletés et pète tout le temps. » L’imam conclue son discours en annonçant qu’il faut tuer les hommes qui résisteraient à son traitement.

Après cette séquence d’obscurantisme ahurissante, Diako Yazdani met en scène la rencontre de sa famille avec Kojin. Car pour faire la critique de la société kurde, il doit aussi faire son autocritique. A nouveau la discussion s’annonce complexe. La mère de Diako annonce qu’elle préfèrerait mourir plutôt que d’avoir un enfant homosexuel (ou bien tuer l’enfant pour sauver l’honneur de la famille). On évoque aussi la création d’un État-Nation pour ces individus afin d’éviter que ceux qui les observent ne deviennent comme eux. Puis c’est à Kojin de livrer son témoignage glaçant : il confie avoir été violé à plusieurs reprises par plusieurs hommes. La famille de Diako est sincèrement émue par son histoire. Le père lui souhaite finalement de trouver le bonheur, et de réussir à être fier de lui un jour. 

Liberté d'aimer

Grâce à ce documentaire, Kojin ouvre à son tour une réflexion sur lui, sur l’homosexualité et sur les histoires des homosexualités. Lors d’un entretien réjouissant avec un intellectuel progressiste, il comprend que les langues kurdes ne permettent pas de parler de sexualité convenablement. L’intellectuel lui rappelle les mots du poète syrien Adonis : « si l’on retire de la poésie arabe les métaphores homosexuelles, que reste-t-il ? » Un an plus tard, Kojin est épanoui, réalise qu’il n’a pas besoin de devenir une femme pour continuer à aimer les hommes… Il découvre que lui aussi peut prétendre à la liberté d’aimer.

Toutes les vies de Kojin est un objet cinématographique étrange et beau, à la fois angoissant et débordant d’humanisme, et qui porte haut la volonté de son réalisateur de comprendre et de défendre des minorité opprimée au sein d'une communauté kurde elle même asservie. En novembre 2019, il remporte le Prix du Jury de la Compétition Documentaires du festival Chéries-Chéris. Après Luciérnagas de Bani Khoshnoudi, c’est le deuxième film qui sort en salle cette année d’un cinéaste hétérosexuel iranien à se saisir de la question de l’homosexualité. Une nouvelle génération d’artistes et intellectuels est-elle en train d’ouvrir la voie à l’acceptation plus large des minorités sexuelles au Moyen-Orient ?

 

Sortie en salle le 12 février