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musiqueOn a rencontré Arielle Dombasle et Nicolas Ker, et forcément, ça ne s'est pas du tout passé comme prévu

Par Aurélien Martinez le 19/06/2020
Arielle Dombasle

Pour la sortie le 19 juin de l’album Empire, nous avons rencontré Arielle Dombasle, accompagnée du musicien et chanteur Nicolas Ker avec qui elle collabore depuis presque six ans. Récit d’une interview hors du temps et, par moments, proche du chaos – mais du chaos glamour à mort.

Il faudrait remettre une médaille à Arielle Dombasle. Tout de suite. Une belle, à la hauteur de sa force et de son abnégation pour s’être de nouveau lancée dans une tournée promotionnelle en duo avec le musicien Nicolas Ker, avec qui elle sort l’album Empire (après le précédent La Rivière Atlantique en 2016). « Je crois qu’il est bourré, un peu, non ? » demande-t-elle discrètement en fin d’interview à l’attachée de presse qui les accompagnait tout du long. Tout à fait, même si, visiblement, « ça allait, là, aujourd’hui ».

C’est que le musicien français d’origine cambodgienne, chanteur du génial groupe Poni Hoax, est souvent comparé à Gainsbarre pour la façon destroy dont il gère (ou plutôt ne gère pas du tout) son image publique, notamment lors des rendez-vous médiatiques. « Il est la figure ultime du rockeur, ce n’est pas un fake. Il y en avait d’autres comme lui avant, mais ils sont morts – je pense à Daniel Darc par exemple, ou Gainsbourg. Je dirais même qu’il fait partie de ces figures héroïques qui auraient dû mourir à 27 ans. Il est en sursis depuis ce temps, et vit comme un suicidé, dans l’univers de l’excès » nous assure Arielle Dombasle en début d’interview, lorsqu’on leur demande de se présenter mutuellement.

Ladyboys thaïlandais

Lui ne répondra pas vraiment à la question, comme à beaucoup d’autres d’ailleurs – par contre, il a visiblement pris énormément de plaisir à digresser sur l’homosexualité quand on lui a appris qu’on venait pour TÊTU, entre monologues difficiles à suivre (sur les ladyboys thaïlandais par exemple, « au sommet de la beauté » et qui l’ont visiblement beaucoup intrigué) et questions familières voire vulgaires voire carrément déplacées (« t’es gay ? tu les préfères comment ? »). Mais peut-être que, comme beaucoup, il ne sait tout simplement pas qui est vraiment Arielle Dombasle, femme difficile à cerner du fait de ses nombreuses casquettes – chanteuse, comédienne, réalisatrice, égérie de mode, people…

« Ce ne sont pas des casquettes. C’est la correspondance des sens baudelairienne, il y a comme des transfusions sanguines entre les arts » nous arrête-t-elle, avant de se faire elle-même arrêter par Nicolas Ker : « Oui mais bon, quand même, à un moment, vous vous êtes un peu trop perdue dans Un indien dans la ville et Astérix », des aventures sans doute pas assez baudelairiennes à son goût. Sourire poli, presque tendre, d’Arielle Dombasle qui montre bien que ces remarques ne la touchent pas. Elle est au-dessus de tout ça.

« Quand il faut, je deviens un petit garçon soldat »

Diva éthérée

Car Arielle Dombasle, sous son image de diva éthérée avec laquelle elle s’amuse constamment (même si elle le nie – « non, je ne ris pas de mon image. Mais je laisse les autres en rire ! »), que ce soit en musique avec Philippe Katerine (le génial album Glamour à mort en 2009, dans lequel elle assume son côté Extraterrestre, fait l’amour avec BHL À la Neandertal et ne souhaite mourir qu’En Saint Laurent), au cinéma (le marivaudage Pauline à la plage d’Éric Rohmer en 1983 en meilleur exemple) ou, grand écart ultime, à la radio avec Les Grosses têtes de Laurent Ruquier (elle campe le rôle de la bourgeoise hors de la vie réelle qui « rêve de faire ses courses au supermarché »), tient solidement la barque de sa carrière.

« Quand il faut, je deviens un petit garçon soldat et j’arrive à avoir une espèce d’autorité. Je me suis battue avec mon frère pendant toute mon enfance, c’est comme ça que j’ai compris que les filles aussi pouvaient être des soldats. » Ce fut discret, mais on a pu, entre deux gorgées de thé lapsang souchong, apercevoir ce côté soldat lors de brefs regards réprobateurs adressés à Nicolas Ker en mode : c’est bon, on a compris, passons à autre chose. Tout ça sans ne jamais perdre sa classe détachée. Puisqu'on vous dit qu'elle mérite une médaille.

Nous sommes donc là, un mardi après-midi ensoleillé, à deux pas des Champs-Elysées (d’où la citronnade à 15 euros) ; elle haut et foulard chamarrés surmontés d’un petit sac rose Barbie assorti à son vernis à ongles, lui dandy décadent tout en noir (la décadence venant peut-être du fait qu’il avait passé une partie de la nuit sur le trottoir, ayant oublié le code de son immeuble) ; réunis pour parler de musique. Enfin, tenter de parler musique, et de cet album, Empire, à paraître le 19 juin. Un album presque entièrement en anglais, placé « sous le sceau du romantisme noir que nous aimons tous les deux » comme le définit Arielle Dombasle. Et un petit bijou, entre rock et chanson.

« C’est comme ça que j’imagine l'endroit où vivait Arthur Rimbaud »

La curiosité d'une rencontre

Flash-back : nous en sommes en septembre 2014, à Paris, au Cirque d’Hiver, lors d’une soirée autour de l’art de l’effeuillage burlesque. Arielle Dombasle et Nicolas Ker ont chacun été invités à venir se produire sur scène, aux côtés des artistes vues dans le film Tournée de Mathieu Amalric. C’est leur première rencontre. En amont, elle s’était penchée sur le cas Nicolas Ker dont on lui avait tant parlé, en regardant le bien nommé documentaire Drunk in the House of Lords sur Poni Hoax. Lui la connaissait depuis plus longtemps, non grâce à la musique (« — Je n’avais rien écouté de sa discographie. Je n’allais quand même pas me taper Era et Arielle Dombasle… (rires gras) — Mais vous ne savez même pas ce que c’est, vous n’avez jamais daigné écouter. — J’ai tenu cinq secondes ! ») mais à travers son activité moins connue de réalisatrice. Adolescent, il a ainsi regardé de nombreuses fois son film Les Pyramides bleues (1983), sur une femme mariée à un homme riche et plus âgé et exilée dans un couvent.

Nicolas Ker : « Je lui ai dit lors de notre rencontre, elle avait carrément halluciné car elle pensait que personne ne se rappelait de ce film ! » Arielle Dombasle : « Je ne mets jamais en avant les films que j’ai tournés, c’est comme une sorte de jardin secret. D’apprendre ça m’a tout de suite mis sur un fil de correspondance secrète avec Nicolas. » La soirée se passe, la curiosité de l’un envers l’autre croît.

« Après le spectacle, elle m’a dit qu’elle m’appellerait. Elle l’a fait une semaine après alors que je n’y croyais pas du tout. Elle voulait même que je l’invite dans mon quartier, la Goutte d’Or [à Paris], un truc pas du tout pour elle. Mais elle est quand même venue et m’a dit : c’est comme ça que j’imagine l'endroit où vivait Arthur Rimbaud. » Classe. Ensemble, ils discutent cinéma, littérature ; Pasolini, Fassbinder, Mishima… Se trouvent de nombreuses références communes. De là émerge petitement l’idée d’une collaboration, qui commencera par Arielle Dombasle faisant des chœurs sur l’album solo de Nicolas Ker, passera ensuite par la sortie d’un morceau commun (Carthagena), pour finir par la sortie en 2016 d’un album baptisé La Rivière Atlantique. Une réussite composée par Nicolas Ker, qui connaîtra un beau succès critique. Et dont sortiront plusieurs clips réalisés par Arielle Dombasle – I'm Not Here Anymore, Carthagena et Point Blank.

 

« J’aurais dû mettre six pages de photos de bites à la place »

Cinéma et hôpital

La machine est lancée, le duo inattendu (le dossier de presse du nouvel album surjoue ce contraste, les intégrant avec humour à la liste d’autres paires iconiques comme Starsky et Hutch, Joey Starr et Kool Shen, Tristan et Iseult, Simon and Garfunkel, Jacquie et Michel, Laurel et Hardy, Thierry Roland et Jean-Michel Larqué…) va poursuivre sa route côte à côte. Main dans la main. D’abord en 2019 avec Alien Crystal Palace, film ovniesque entre œuvre arty et nanar gênant réalisé par Arielle Dombasle avec, dans un rôle-titre et à la bande originale, Nicolas Ker. «— Franchement, je doutais au début mais en fait le film est bien. Le seul problème, c’est moi, comme on ne comprend rien à ce que je dis. Il aurait fallu mettre des sous-titres. On aurait dit un mec de l’émission Strip-tease! — Comme vous étiez passablement ivre sur le tournage, c’est normal. Mais ça allait avec le personnage" répond Dombasle du tac au tac. 

Puis vient maintenant le deuxième album, nommé Empire et accouché dans des conditions particulières, la santé de Nicolas Ker étant mise en danger pas sa consommation excessive d’alcool. Arielle Dombasle : « Ces deux dernières années, on a passé beaucoup de temps aux urgences, car c’était l’hôpital ou la mort. Et pendant ces moments, comme pendant ceux plus de rehab, Nicolas composait. Il compose toujours. Il y a donc l’imprégnation sourde de tout ça… Le morceau Just Come Back Alive vient des gens, dont son addictologue, qui lui disaient de rester en vie. »

"Même BHL a dit que vous alliez trop loin"

Message écolo

Musicalement, Empire est à placer dans le sillon de monstres comme David Bowie, Nick Cave (sans doute la référence la plus évidente à l’écoute), Jim Morrison – c’est assumé par Nicolas Ker. En découle un album intemporel qui fait la jonction entre plusieurs époques, plusieurs mondes, plusieurs styles, dans lequel les obsessions noires de l’auteur-compositeur Nicolas Ker (qui, pour Arielle Dombalse, a « la voix de Ian Curtis de Joy Division, c’est fou ») et l’univers a priori plus léger de l’interprète Arielle Dombasle se fondent, à l’image du titre We Bleed For The Ocean qui clôture l’aventure : les vocalises aigües d’Arielle Dombasle parsèment ce duo au message écolo qui est visiblement plus l’idée de l’une que de l’autre.

Surtout les visuels et le clip l’entourant, avec une Arielle Dombasle transformée en sirène pour inciter les humains à ramasser le plastique polluant les océans. « — C’est une chanson merveilleuse Nicolas —Mouais, elle n’est pas si merveilleuse, je l’ai faite en dix minutes. Et puis toutes ces sirènes, non, c’est pas possible. On a quand même six pages de photos de sirène avec marqué à la fin "Pick up the plastic par Arielle Dombasle ". Même BHL vous a dit que vous alliez trop loin ! Franchement, c’est mon disque quand même… J’aurais dû mettre six pages de photos de bites à la place, voilà ! »

 

« En live, on est vraiment le Velvet Uderground »

Carrière protéiforme et icône gay

Il faut écouter La Rivière Atlantique et Empire pour le croire : le tandem Arielle Dombasle – Nicolas Ker a accouché de deux albums grandioses (« — Ce sont les meilleurs de votre carrière Arielle ! Franchement, de très loin… Ils sont beaucoup mieux que Amor Amor… — Mais celui-là non plus vous ne l’avez jamais écouté Nicolas. ») et, dans le cas du premier, d’un écrin passé malheureusement trop inaperçu. La tournée qui avait suivi sa parution en 2016 n’avait effectivement compté que quelques dates (alors que Nicolas Ker l’assure, « en live, on est vraiment le Velvet Uderground »). Les écouter, et ainsi constater une fois de plus qu’Arielle Dombasle construit depuis 40 ans et ses premiers rôles chez Éric Rohmer une carrière protéiforme remarquable dont encore trop peu de monde ne mesure la juste valeur – là, c’était le passage "Fan de", on ne peut plus objectif bien sûr !

Après 45 minutes d’interview menées tant bien que mal, on va pour se quitter. Juste avant de passer à un autre journaliste, Arielle Dombasle, icône gay à sa façon (on pense notamment à sa photo culte pour Pierre et Gilles, à son morceau très homoérotique Saint Sébastien sur l’album Glamour à mort ou encore à son film Opium sur la relation passionnelle entre Jean Cocteau et Raymond Radiguet – « d’ailleurs, je suis entourée de gays, tous mes amis sont gays. Je n’ai comme ami pas gay que Nicolas ! »), nous glisse un mot pour Têtu, dont elle a apprécié la renaissance l’an passé, elle qui avait très bien connu Pierre Bergé, directeur de Têtu pendant 18 ans. « Il faut absolument que Têtu résiste et reste, parce que c’est un bastion de liberté et d’intelligence. » Fin de la rencontre, fin de cette bulle hors du temps ; retour à la vie normale et au métro, mais avec Le Grand Hôtel d’Arielle Dombasle et Nicolas Ker dans les oreilles.

 

Empire
Sortie le 19 juin chez Barclay
En concert le 17 septembre à la Maroquinerie (Paris) avant une tournée nationale qui sera annoncée plus tard du fait de la situation sanitaire.