Après une longue période d'introspection, la chanteuse Sarah Walk partage les leçons apprises dans un second album, Another Me, enfin disponible. TÊTU l'a rencontrée.
Engagée, talentueuse et indéniablement queer, Sarah Walk est de ces artistes qu'il faut guetter de près. Diplômée du Berklee College of Music – une école de musique prestigieuse située à Boston –, cette native du Minnesota jouit d'une carrière florissante. Presque trois ans après son disque inaugural où s'entrelaçaient espoirs et pannes de cœur, la musicienne passe la seconde avec Another Me. Un album d'indie pop surprenant, entre mélancolie et empowerment.
Another Me s'impose comme un opus musical riche et référencé, avec une résonance universelle . Ici, Sarah Walk brasse des thématiques liées à la santé mentale, de l'anxiété à la marginalisation, tout en s'assurant de véhiculer un message positif. "Mon premier album parlait surtout de moi à travers mes relations, avance-t-elle. Avec ce nouvel album, je me regarde directement en face". Afin de mieux cerner cette artiste maintes fois comparée à Fiona Apple ou Joni Mitchell, TÊTU l'a contactée en visio – crise sanitaire oblige.
Alors Sarah, comment ça va ? Ca a été le confinement ?
Sarah Walk : Plutôt bien. J'habite à Los Angeles, où les choses allaient mieux avant qu'elles n'empirent. Ce pays... On ne sait pas ce qu'on fait. C'est assez gênant. Je réfléchis à retourner au Minnesota, là où mes parents habitent.
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Tu t'es formée au Berklee College of Music, une école réputée à Boston. Quel souvenir gardes-tu de tes années là-bas ?
Que de bons souvenirs ! Je sais que beaucoup de personnes quittent cette école et en disent du mal ensuite, mais c'était incroyable pour moi. J'étais constamment entourée de musiciens qui m'ont aidée à m'améliorer. En tant que pianiste, j'ai appris à faire moins parce qu'on me reprochait de surjouer. Ils m'ont remis les pieds sur Terre, musicalement parlant. Mais ça m'a surtout aidée au niveau de mon écriture. J'ai progressé parce que j'écrivais tous les jours, dans un environnement où personne ne pensait que c'était dingue de vivre de sa musique. Au Minnesota, je me disais qu'il me fallait un plan B, mais grâce à Berklee, j'ai enfin pu trouver ma voie.
Tu chantes, tu composes, tu écris... C'est quoi le plus important ?
Pour moi, les meilleures chansons sont celles qui te tombent presque du ciel, comme si elles devaient absolument être écrites dans l'instant. Mais je commence presque toujours par l'instrumental, à la guitare ou au piano. Ensuite, je vais chanter par-dessus de manière phonétique, juste pour cerner une mélodie. Et à partir de là, ça m'amène à un contexte ou un concept. C'est très abstrait, au final.
Sur Internet, bon nombre de fans te comparent à Fiona Apple, Joni Mitchell ou encore Feist. Que penses-tu de ces comparaisons ?
J'en suis flattée ! Ces trois personnes font partie de mes icônes. Je comprends ces comparaisons, même si je pense qu'on a aussi des qualités très différentes. Je n'essaie pas de ressembler à qui que ce soit quand je chante, en tout cas. Mais Fiona Apple a eu une influence énorme sur moi quand j'étais plus jeune. Je n'avais jamais entendu une femme avec une voix aussi grave et éraillée. Et elle est en colère ! J'adore quand une femme reconnaît sa colère et en fait quelque chose.
Y a-t-il d'autres artistes auxquels tu t'identifies ?
J'ai longtemps été une grande fan de Radiohead et de Jeff Buckley. Il y a beaucoup d'hommes qui m'ont influencée, en réalité. À bien des égards, je me reconnaissais davantage dans des artistes qui avaient une apparence plus masculine.
Tu sors ton deuxième album. C'est un disque où tu as l'air de réaliser beaucoup de choses sur toi-même, sur ton genre aussi, sur tes relations amoureuses... C'est un album de femme ? De femme lesbienne ? Rien de tout ça ?
Cet album est très introspectif. Je voulais affirmer avec ce disque qu'il y a énormément de choses que les femmes ressentent au-delà de leurs relations amoureuses. Cet album, ce n'est pas moi par rapport à ma partenaire, mais moi par rapport à moi-même. C'est une façon de fixer des limites et apprendre à occuper l'espace et avoir confiance en moi. Quand tu es une femme ou une personne queer ou tout simplement une personne marginalisée, c'est facile d'avoir l'impression de subir les choses et de ne pas pouvoir les contrôler. Dans "unravel" par exemple, je parle du fait que tu ne peux pas être en colère quand tu es une femme. Si tu essaies de te défendre en prenant la parole, on te fait te sentir mal, comme si tu n'avais pas à t'exprimer.
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Et toi, qu'est-ce qui te met en colère ?
C'est une bonne question ! Pendant longtemps, j'avais l'impression de ne pas avoir le droit d'exprimer mes sentiments. Je me sentais comme rapetissée. Je ne voulais pas m'imposer ou bien je me sentais coupable quand je disais non. Et quand tu réalises que ça n'est pas normal, c'est là que vient la colère. Et c'est une colère légitime, elle fait partie d'un processus de guérison. C'est vital d'en arriver là pour ensuite gagner en confiance et changer. La colère peut amener à de la force.
Beaucoup de choses ont eu lieu ces dernières années aux États-Unis, avec les mouvements #MeToo, Black Lives Matter et les errements de l'administration Trump sur les questions LGBT+. Dirais-tu que ta musique est influencée par le climat politique ?
Oui, je le pense. Avec cet album en particulier, je trouve qu'il y a un angle touchant à la justice sociale et à la prise de conscience politique qui n'y avait pas dans le premier album. J'étais tellement obnubilée par ma peine de cœur et la recherche de ma propre identité queer. Maintenant, je suis à un stade où je peux appréhender ces grosses questions. J'ai une chanson, "the outside", qui parle du fait d'être marginalisé. Les personnes mises sur le bas-côté, que ce soit les personnes racisées, les personnes queers, les personnes trans... on a contribué à tellement de progrès sans jamais en recevoir les lauriers. Si les personnes trans noires n'avaient pas été là, il n'y aurait pas de Marches des Fiertés. Aux États-Unis, notre système économique dans son ensemble s'est fondé sur le dos des personnes noires et ceux qui en récoltent les bénéfices sont des hommes blancs cis. Il faut qu'on démantèle ces structures.
Tu as posté une photo de toi sur Instagram avec un T-shirt où il est écrit "anti gender roles club". Penses-tu que l'industrie musicale se montre plus fluide au niveau de l'expression de genre ?
J'en ai l'impression. Je pense qu'il y a davantage de représentation mais qu'il reste aussi beaucoup de travail à accomplir. Je ne pense pas qu'on soit encore arrivé à un dialogue ouvert sur les subtilités du genre. Et ce qui me fait peur avec le climat politique actuel, c'est qu'on perde les avancées qu'on a pu obtenir. Je m'inquiète que les gens deviennent passifs et se contentent des progrès sans vouloir les protéger. Il faut continuer à avoir ces discussions-là.
A-t-on essayé d'estomper ton identité queer à un moment donné de ta carrière ?
C'est étrange à dire mais j'ai la chance d'être masculine dans mon apparence, donc les gens partent du principe que je suis lesbienne. Je n'ai pas eu à faire de coming out parce que c'est souvent acquis, ce qui est assez problématique d'une certaine façon. Quand je chante à propos d'une femme, personne n'est choqué. Alors que ma fiancée, qui est plus féminine, doit tous les jours affirmer son orientation parce que les gens la pensent hétéro.
Quand j'étais plus jeune, ça me dérangeait pas. Mais plus j'ai mûri, plus j'ai pris conscience que ça m'a vraiment fait du mal. Parce que faire son coming out, ça te donne une forme de pouvoir. Et je n'ai jamais pu l'obtenir. D'une certaine façon, cet album me permet de faire coming out. Coming out, ça n'est pas juste dire "je suis gay". C'est aussi appuyer ton identité et réclamer ton propre espace.
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C'était comment de grandir à Minneapolis et d'y explorer ton identité de genre et ta sexualité ?
Quand j'avais 15 ans, ma mère m'a surprise en train de coucher avec une fille. J'ai toujours été plutôt masculine, déjà à l'époque. J'étais dans un lycée de 4 000 personnes et j'étais la seule personne out. Je faisais beaucoup de concerts avec mon groupe et il y avait pas mal de jeunes qui venaient me voir pour me dire qu'ils étaient gays mais qu'ils ne voulaient pas faire leur coming out de peur d'être ostracisés. J'avais l'impression de devoir exister pour offrir une visibilité qui n'existait pas tant que ça, quinze ans en arrière. Mais j'ai aussi perdu beaucoup d'amitiés. Certains parents d'amies refusaient de m'accueillir chez eux par peur que je "convertisse" leur fille [rires].
Tu te rappelles de ta première histoire d'amour ?
J'ai eu ma première petite amie à l'époque. Un jour, elle m'a dit qu'elle avait parlé de nous à sa meilleure amie et j'ai fondu en larmes. Les gens ont commencé à répandre des rumeurs. J'avais l'impression que personne ne devait vraiment savoir. Ces premières relations quand tu es queer, elles te brisent le cœur car tu penses que tu ne vas jamais trouver qui que ce soit lorsqu'elles s'arrêtent. Je pense réellement que ces histoires-là sont bien plus profondes qu'une romance lambda.
Ton second album est là, tu es fiancée et tu es la maman d'un chien absolument adorable. Quel serait ton prochain challenge ?
Puisque les concerts live ne sont pas pour tout de suite, j'ai investi dans un studio d'enregistrement que je rénove pas très loin de chez moi. Je veux m'attaquer à la production. Je pense avoir une bonne oreille. Il n'y a pas beaucoup de productrices dans ce milieu et je pense que c'est problématique. Donc je vais essayer de m'y mettre pour faire changer les choses.
Note de la rédaction : cette interview a été réalisée le 21 juillet 2020.
Crédit photo : Voe Ray