Les créations de Nicola Lecourt Mansion ne sont ni féminines, ni masculines, ni vraiment genderless. Chacun et chacune est libre d’y piocher ce qui lui plait, quelle que soit son identité. Comme Coco Chanel avant elle, Nicola redonne au vêtement une importance politique et culturelle. Ses créations sont des outils pour questionner les normes sociales et apprendre à se réapproprier son corps.
Lancée en 2018, avant la transition de la designer, la marque Nicolas Lecourt Mansion continue d'exister avec un "s" à son prénom. Mais dans la vie, la jeune créatrice a lâché cette dernière consonne.
Sa maîtrise technique et son style incomparable, à la fois pop, couture et sophistiqué, lui valent désormais d’être reconnue par le milieu de la mode et de collaborer avec les plus grands et les plus grandes. Lady Gaga, Kendall Jenner ou encore son amie Christine and The Queens s’affichent fièrement dans ses tenues. Récemment, c’est Jean Paul Gaultier qui a fait appel à elle, cette fois pour jouer les modèles pour illustrer sa dernière campagne pour le parfum Le Mâle. Bref, à 27 ans, la jeune femme s'apprête à dévorer le monde !
Elle souhaite à présent mettre sa créativité et sa notoriété au service de celles et ceux que la mode invisibilise. Rencontre avec une créatrice audacieuse et visionnaire prête à normaliser l’inclusivité et rendre la mode plus militante et flamboyante !
Comment décris-tu ta démarche créative ?
Nicola Lecourt Mansion: Avant tout, je fais des choses que j’aime et que je pourrais porter. Je considère qu’on n’est jamais aussi beau ou belle que quand on se sent bien dans un vêtement et j’essaye donc de créer des pièces qui véhiculent une énergie, qui font que les gens se sentent à l’aise. En ce moment, je produis principalement des robes de tapis rouges et des tenues très scéniques. L’evening wear procure une liberté conceptuelle et créative qui me plaît et qui est littéralement au cœur de mon projet artistique. Il me permet aussi de travailler très souvent à la commande et donc de construire chaque pièce directement sur le corps qui la portera.
"Historiquement, les robes ont aussi été portées par des hommes. Considérer que la robe est un vêtement féminin est une construction sociale."
Places-tu volontairement l’inclusivité ou l’éthique au centre de ta création ?
Bien sûr, je ne peux pas faire un vêtement en négligeant mes idéaux. En ce sens, ma mode est effectivement éthique, mais j’ai avant tout envie d’être une créatrice normale, sans étiquette particulière. Dans les faits, ma démarche est inclusive, mais je refuse d’en faire un cheval de bataille. Au fond, ça reviendrait à rendre remarquable ou original le fait d’être inclusive lorsque ca devrait seulement être normal. Je suis mal à l’aise avec les maisons qui ressentent le besoin de crier leur inclusivité sur tous les toits dès qu’elles collaborent avec une personne transgenre, une personne de couleur ou une personne plus agée que la moyenne des mannequins de mode…
Tu ne souhaites donc pas être citée comme une créatrice inclusive ?
Mes idéaux se ressentent sur mon travail, mais je préfère ne pas être définie par ce terme uniquement. Me positionner en porte-drapeau de l’inclusivité pourrait desservir à la fois le concept d’inclusivité et ma démarche créative dans son ensemble puisque j’ai tout autant envie de défendre l’environnement, l’antiracisme, le respect du travail humain, le respect des différences culturelles et plein d’autres causes qui me sont chères, qui conduisent à l’égalité et au bien-être en général. Je trouve absurde d’en isoler une pour en faire un concept marketing. En réalité, on devrait pouvoir regrouper toutes ces causes pour enfin avoir une approche positive globale, tout simplement.
Considères-tu que tes collections transcendent la notion de genres binaires malgré l’apparente féminité de tes créations ?
Je design pour les personnes qui viennent me voir. Je crée des formes, peu importe pour qui. Historiquement, les robes ont aussi été portées par des hommes. Considérer que la robe est un vêtement féminin est une construction sociale. On aurait tort de dire que mes vêtements sont des vêtements féminins. Le vêtement n’a pas de genre en soi. Un vêtement ce n’est rien de plus qu’un ensemble de bouts de tissus assemblés les uns aux autres apposés sur un corps. C’est là qu’il prend son sens puisque chaque corps est spécifique et a une morphologie particulière. À partir du moment où on se concentre sur la façon de faire coller un vêtement à la morphologie spécifique d’une personne, on n’a plus besoin de connaître son genre, cette notion est invalide. Deux hommes cisgenres n’auront pas la même morphologie, ne porteront pas les même tailles de vêtements et ne vont pas apprécier les mêmes coupes sur leurs corps. C’est cette perception du genre sur laquelle je base mon travail.
J’adore autant faire une robe pour une dame de 78 ans, pour un homme, pour Lady Gaga ou pour Kendall Jenner.
Sur ton compte Instagram, on peut lire “Couture and eveningwear for flamboyant people”. Est-ce un choix conscient de parler de “people” et non pas de “women” ?
J’ai utilisé le mot “people” pour signifier que mes créations sont destinées à absolument tout le monde sans distinction, aussi bien aux femmes qu’aux hommes, qu’aux personnes trans, qu’aux personnes en situation de handicap... Toutes les personnes qui trouvent un écho dans mon travail sont accueillies chez moi à bras ouverts. Quel que soit le genre, l'âge, l’identité d’une personne que j’habille, je vois d’abord un vécu, une vie, un échange enrichissant. J’adore autant faire une robe pour une dame de 78 ans, pour un homme, pour Lady Gaga ou pour Kendall Jenner.
Quelles sont les formes de féminité qui t’inspirent ?
En tant que personne trans, je sais que je ne corresponds pas à une définition binaire et globalement acceptée de la féminité. Plutôt que de puiser mon inspiration dans une vision de la féminité, je la puise dans une idée féministe. En appliquant des codes féministes à des vêtements communément acceptés comme féminins, j’utilise la féminité comme un outil de déconstruction des codes binaires et j’essaye de rétablir l’égalité entre tous les genres. J’aborde le féminisme en intégrant aussi le transféminisme et le féminisme intersectionnel. Mon féminisme rejoint d’autres thématiques, notamment décoloniales ou écologiques quand j’utilise des matières éco-responsables.
"Le vêtement est une arme politique."
Penses-tu que la mode a un effet sur la perception du genre dans la société ?
La mode n’est pas vraiment une entité en soi, ni un collectif uni et uniformisé. Tout ce qu’on perçoit comme étant des diktats de la mode correspond, en fait, à des préceptes dictés par la société. La mode n’a pas d’esprit en elle-même. Elle reflète seulement la société. Je pense que c’est la société qui influe sur elle et non l’inverse. Le vêtement est une arme politique. Tout le monde en a bien conscience, y compris les gouvernements qui incluent le vêtement dans le débat politique. Le ministre de l’éducation a récemment parlé de la nécessité pour les filles de porter des tenues “républicaines” à l’école. Avec ce type de propos, on donne au vêtement un pouvoir politique immense. Selon le ministre, on peut sanctionner une jeune fille sur la seule base de sa tenue. Ce que ce discours sous-entend, c'est qu’il est donc possible de condamner ou de discriminer une personne selon ce qu’elle décide de porter.
Cette vision me scandalise. En février, je me suis tenue debout à l’Élysée, à côté d’Emmanuel Macron, dans une combi Bleu Blanc Rouge sur laquelle j’avais écrit “elle n’est pas présentable”. La France rayonne à l’international pour sa créativité en matière de mode et pour sa liberté vestimentaire. Je ne comprends pas comment nous en sommes arrivés là.
Penses-tu que le milieu de la mode a encore du chemin à parcourir pour améliorer sa conception du genre ?
Quand on est créateur ou créatrice de mode, on est aussi politique. D’abord par l’impact social qu’on a en sourçant nos matières, en utilisant telle ou telle méthode de production, mais aussi parce qu’on dit quelque chose avec l'esthétique de nos vêtements. Ce n’est un secret pour personne que la mode valorise presque uniquement une beauté standardisée. La mode n’a jamais vraiment mis en avant les beautés grosses, noires, encore moins les grosses beautés noires… Ne parlons même pas des personnes en situation de handicap. La plupart du temps, la beauté reste reservée à la femme très mince et très blanche. C’est là qu’il faut savoir sortir des codes et se réapproprier la question “qu’est ce que la beauté ?”
Dans l’absolu, il ne devrait pas y avoir de standard excluant qui permettrait de dire à quelqu’un “tu n’es pas belle ou beau”. Dans mon idée, la beauté vient du confort qu’on ressent à vivre avec son propre corps. On n’est jamais aussi beau que quand on est heureux comme on est.
Est-ce que tu te sens toi-même exclue de ces standards de beauté que la mode met en avant ?
Je sais que certains aspects de mon physique correspondent aux standards de beauté communément admis. Je suis grande, mince, blanche... Ceci dit, j’ai conscience de ne pas cocher toute les cases de ce que la majorité considère comme “beau”, tout simplement parce que je suis une personne trans et que la transidentité est exclue de la notion de beauté. En dehors du milieu de la mode, on ne voit que très peu de beautés trans. D’un côté, je pense que ma beauté transparaît surtout par le fait que je suis à l’aise avec moi-même.
"Je refuse de m’habiller de manière moins flamboyante simplement pour me protéger de la transphobie. Je ne vais pas mentir, j’ai peur aussi."
Comment perçois-tu la place des personnes queers dans la mode ?
La communauté LGBT+ a l’air très visible dans la mode, mais finalement, ça ne concerne que sa tranche la plus privilégiée, pas les LGBT+ racisé.e.s, celles et ceux qui viennent de milieux populaires ou des banlieues nord de Paris. Cette présence des LGBT+ les plus privilégiés influe beaucoup sur notre perception de la mode comme vecteur de représentativité. Une mode qui accueille presque uniquement la tranche la plus aisée des personnes LGBT+ a forcément du mal à s’attaquer à des questions qui ne la touchent pas ou peu, à se débarrasser de certaines formes de discrimination, des travers du capitalisme, du système patriarcal et des standards de beauté.
Le milieu LGBT+ a également un problème de représentativité. On se rend vite compte qu’on y laisse peu de place aux personnes trans, aux personnes racisées, aux personnes en situation de handicap… La discrimination intra-communautaire est très réelle.
Comment perçois-tu le pouvoir politique des vêtements que tu portes ?
Mon corps m’appartient. Mon identité de genre aussi. Ni la société, ni l’État, ni le milieu de la mode ne me diront comment je dois m’habiller et qui doit m’habiller.
La fétichisation des corps trans et des corps féminins passent toujours par le vêtement. Camoufler nos corps, c’est les fétichiser encore plus. La seule solution pour apaiser la perception que la société a de nos corps, c’est de les montrer et d’être visibles dans l’espace public.
Est-ce que tu te sens à l’aise avec ton look et les vêtements perçus comme féminins que tu portes ?
Mon rapport avec le vêtement est entièrement performatif. Certes, je ne peux pas nier que mon look suscite des réactions parfois violentes, mais j’essaye de ne pas me laisser influencer. Je refuse de m’habiller de manière moins flamboyante simplement pour me protéger de la transphobie.
Je ne vais pas mentir, j’ai peur aussi. Mais la visibilité est trop importante. J’ai aussi envie d’utiliser mon privilège pour défendre la liberté des personnes trans à s’assumer et à se vivre comme elles l’entendent. Je me réapproprie aussi des vêtements considérés comme trop féminins et donc séxualisants ou fétichisants pour affirmer que mon corps n’appartient qu’à moi. Le fait que j’assume totalement de porter ces vêtements souligne le fait que me fiche de ce que tout le monde en pense ou de l'interprétation que les gens peuvent en faire.
Vous pouvez suivre Nicola Lecourt Mansion sur Instagram. Et retrouver ses créations sur son site.