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interviewOn a parlé racisme, "Drag Race" et astrologie avec Naomi Smalls

Dans The Smalls World Show 2.0, tu voyages loin dans l'espace pour t'éloigner de tout ce qui se passe sur Terre. Comment as-tu été impactée par la pandémie, que ce soit sur le plan artistique ou personnel ? Je pense clairement que 2020 a été comme une remise à zéro pour beaucoup de gens. Avec…

Crédit photo : Naomi Smalls (Instagram)

Dans The Smalls World Show 2.0, tu voyages loin dans l'espace pour t'éloigner de tout ce qui se passe sur Terre. Comment as-tu été impactée par la pandémie, que ce soit sur le plan artistique ou personnel ?

Je pense clairement que 2020 a été comme une remise à zéro pour beaucoup de gens. Avec le confinement, c'est tellement inhabituel d'avoir autant de temps dans un seul et même endroit. Il y a tout un tas de changements en ce moment et tout ce qu'on doit faire, c'est s'asseoir et se focaliser sur ça. C'est parfois éprouvant. Même si je m'envole métaphoriquement dans l'espace, je me suis dit que c'était pertinent de parler de sujets plus politiques auxquels on ne peut pas échapper. Cette escapade spatiale était sympa, mais au bout du compte, on doit faire face à 2020 car nos problèmes ne vont pas s'évaporer comme par magie.

Qu'est-ce que t'inspire la notion d'espace ?

Je suis une grand fan de Prometheus, de Star Wars… Je conçois l'espace de la même manière que les fonds marins. C'est un monde à part entière dont on ne sait pas grand-chose et qui ne demande qu'à être exploré. Tu peux t'en faire l'idée que tu veux. Je pense qu'en tant qu'introvertie et en tant que Vierge, je suis habituée à être seule, d'autant plus en quarantaine. La seule personne à qui je parle dans l'espace, c'est Siri. C'est plutôt drôle à quel point je parle à Siri en 2020 alors que je suis célibataire et que j'habite seule.

Mais à la fin de ton show, tu retournes sur Terre. Travailler sur The Smalls World Show 2.0 t'a-t-il permis de t'aérer l'esprit ?

À chaque fois que je planche sur un projet qui est un peu plus centré sur mon propre drag, ça m'aide à comprendre certaines choses. Quand je retourne sur Terre à l'issue du show, je me sens changée. Chacun gère ses problèmes à sa manière. J'ai la chance de pouvoir enfiler une perruque, des talons et une combinaison spatiale afin de saisir ce qui est important dans la vie [rires].

Évoluer dans le milieu drag t'a-t-il aidée à façonner ta propre identité queer, en tant que Davis et non pas en tant que Naomi Smalls ?

Je pense que Naomi est beaucoup plus expérimentée en termes d'amour et ne fait pas vraiment face à du rejet. En tant que Davis, j'ai des coups de cœur pour des mecs hétéros depuis que je suis au lycée. Donc j'ai clairement fait face au rejet aussi longtemps que je m'en souvienne [rires]. J'y travaille encore aujourd'hui. Pas tant sur mon faible pour les mecs hétéros, mais plutôt sur cette peur de t'offrir à l'autre. Le rejet est l'une des choses les plus terrifiantes au monde. Personne ne veut entendre qu'il n'est pas suffisant. Plus j'avance dans mes projets, plus je veux parler de réels problèmes auxquels je suis confrontée. Je suis dans une réelle quête de réalisme dans ma vie et Naomi m'aide sur ça.

Être une drag-queen te permet de jouer avec ton côté féminin. Est-ce que ça a eu un quelconque impact sur ton expression de genre au quotidien ?

J'ai commencé à porter des talons aiguilles, du maquillage et des faux ongles quand j'avais 16 ans. J'étais le seul garçon à faire ça au lycée. Et ça m'a clairement aidée à être plus à l'aise aussi bien avec ma masculinité que ma féminité. Je me sens pas comme une personne complètement différente quand je suis en drag. J'ai l'impression d'être en partie moi-même. C'est simplement plus facile de se faire entendre. C'est fou le pouvoir que te donnent 15cm de talons et l'ajout de parties intimes. Je pense que tout le monde devrait se pencher sur ses côtés féminin et masculin, ça donne tellement de force.

Comment te sens-tu lorsque tu te transformes en Naomi ?

Le drag est vraiment quelque chose pour lequel j'ai travaillé dur. Quand je repense à mes débuts, je me dis "oh mon Dieu, c'est dégueu". Maintenant, quand j'ai préparé mon visage et que j'en suis impressionnée, je me dis "oh waouh, je suis fière de toi". C'est presque comme un sport. Tu n'arrives pas à mettre un panier quand tu commences le basket-ball. Puis, cinq ans plus tard, tu t'entraînes encore et encore et t'es au top niveau. C'est un vrai accomplissement pour soi-même. C'est ça, le drag.

En plus de la crise sanitaire, un autre sujet a beaucoup secoué les États-Unis : le mouvement Black Lives Matter. Plusieurs drag-queens ont alors pris la parole pour dénoncer le mauvais traitement que leur accordent certains fans de Drag Race.

J'ai complètement été confrontée au côté raciste de la fanbase mais ça a mis du temps à arriver. Lors de ma première saison dans RuPaul's Drag Race, je n'y ai pas du tout fait face et je pense que le monde ne tournait pas de la même manière à l'époque. Dès que je me suis mis une partie des fans à dos, j'ai trouvé ça fou de réaliser que la première chose sur laquelle on t'attaque, c'est ta couleur de peau. J'ai grandi dans une famille tellement métissée que la couleur de ta peau n'a aucune importance. Donc je n'ai jamais vu ça comme un point sur lequel on peut t'attaquer parce que tu es né comme ça et ce n'est pas quelque chose que tu peux changer. Pour ce qui est du mouvement Black Lives Matter, je suis très déçue que tout le monde ne partage pas la même vision que moi. Mais je me réjouis d'avoir une plateforme pour éduquer les autres. Je ne pense pas que ce mouvement va disparaître de sitôt.

Un autre débat est brûlant au sein de la communauté Drag Race : l'inclusion de drag-queens trans ou encore de drag-kings. Ça devrait arriver selon toi ?

Je respecte quiconque peut monter sur scène et se donner à fond sans avoir peur du ridicule. Pour moi, c'est aussi ça, le drag. Peu importe comment tu t'identifies. Il y a tellement de queens trans vraiment géniales et tout autant de drag-kings fabuleux. Sasha Colby est une de mes queens trans préférées et elle pourrait dominer n'importe quelle candidate déjà passée dans l'émission. En toute sincérité, si tu prétends aimer absolument tout le monde, tu dois littéralement donner sa chance à tout le monde.

Tu n'avais que 21 ans lors de ta première participation à Drag Race. Y a-t-il quelque chose que tu aurais aimé faire différemment ?

Bonne question ! Je suis une perfectionniste et je veux que tout soit minutieusement travaillé jusqu'à la dernière seconde donc bien sûr, si j'avais une machine à retourner dans le temps, je m'en assurerais. Je me dis que j'aurais aimé davantage prendre la parole et défendre mon drag quand je me faisais critiquer par les juges. J'avais vraiment l'impression que le monde s'écroulait sur le moment. J'ai désormais pris conscience que si tu veux qu'on comprenne comment tu fonctionnes, tu dois ouvrir ta bouche.

Dirais-tu que participer à Drag Race t'a aidée à créer et peaufiner ton alter ego drag ?

Oh mon Dieu, complètement ! J'étais un véritable têtard quand j'ai commencé Drag Race [rires]. J'ai pu voir tellement de styles de drag différents grâce à la compétition et je sais que je n'aurais pas obtenu une telle notoriété sans RuPaul's Drag Race. Je pense que l'émission a fait de moi une queen à part entière. Quiconque souhaite faire carrière dans le drag doit songer à s'inscrire à la compétition.

Tu as participé à Drag Race ainsi qu'à All Stars. Ces expériences ont-elles été radicalement différents à tes yeux ?

Quand j'ai fait All Stars, j'avais une certaine assurance. Je n'étais plus un têtard ! Ça se ressentait plutôt dans le mental car j'étais beaucoup plus compétitrice et je voulais gagner. Bien sûr, tout ne s'est passé comme prévu [rires]. Mais j'ai quand même remporté plusieurs trophées, comme mon amitié avec Monét X Change, avec Bob the Drag Queen, avec Kim Chi… Je ne les échangerais pour rien au monde.

As-tu ressenti davantage de pression dans All Stars ?

Plus de pression car plus de gens te connaissent. Ma première émission, j'essayais surtout de me familiariser avec les caméras et tout le côté show-business. J'entends des "on coupe ici", "on reprend là"... Ce n'est pas aussi fluide qu'un épisode quand on le regarde. Il a fallu que je m'adapte. Mais pour All Stars, je savais à quoi m'attendre donc j'y allais d'un pas plus assuré.

Y a-t-il une vraie communauté soudée derrière Drag Race ?

Les relations que l'on développent dans Drag Race sont les mêmes qu'ailleurs. Pour ceux qui travaillent dans un bureau, pas tout le monde ne s'entend bien. Et je ne pense pas que ce soit une mauvaise chose. Personne n'est obligé d'aimer tout le monde. Ce n'est pas réaliste. Pour ma part, je pense avoir réussi à conserver de vraies amies qui me comprennent.

Parce que tu es Vierge ?

Je ne sais pas [rires]. Les Vierges ont la réputation d'être plutôt dingues.

Penses-tu que la pandémie aura un impact durable sur la façon dont les artistes drag conçoivent et partagent leur art ?

Je pense que la pandémie va être avec nous pendant un bon bout de temps. Le fait qu'il n'y ait encore aucun vaccin pour le Covid-19 en dit long. C'est néanmoins agréable de faire du drag en 2020 parce qu'on a le monde digital à portée de main. Je sais que c'est gnangnan, mais il faut continuer de croire en ses rêves et tout faire pour les réaliser [rires].

Par Florian Ques le 11/11/2020