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Marche des fiertésLéna Situations : "Je n'ai que deux hétéros dans mon entourage : mon père et mon copain"

S'il y a bien une personne que 2020 n'aura pas ébranlé, c'est Léna Situations. Devenue une valeur sûre des réseaux sociaux, cette jeune vidéaste de 23 ans s'apprête à clore une année des plus riches. L'année de la consécration ? Peut-être. Sa réussite s'est d'abord manifestée sur YouTube, sa deuxième maison, où elle s'est rendue…

Crédit photos : Léna Situations

S'il y a bien une personne que 2020 n'aura pas ébranlé, c'est Léna Situations. Devenue une valeur sûre des réseaux sociaux, cette jeune vidéaste de 23 ans s'apprête à clore une année des plus riches. L'année de la consécration ? Peut-être. Sa réussite s'est d'abord manifestée sur YouTube, sa deuxième maison, où elle s'est rendue assidument tout au long du mois d'août pour ses vlogs traditionnels. Sa côte de popularité en flèche, voilà que les plateaux télé se l'arrachent. Même son de cloche du côté de l'industrie de la mode. Et parce que ça ne suffit pas, voilà que Léna Mahfouf est désormais une autrice publiée, en témoigne son tout premier livre Toujours plus.

D'ailleurs, c'est son mantra. Toujours plus de bienveillance. Toujours plus de positivité. Mais, aussi, toujours plus d'amis gays. À travers ses vidéos comme sur ses réseaux, Léna s'entoure essentiellement d'hommes s'identifiant comme LGBTQ+. Et c'est un lien puissant qu'elle cultive avec eux. Pour TÊTU, l'influenceuse aux 1,68 millions d'abonné·e·s – seulement sur YouTube, imaginez ! – détaille son rôle en tant qu'alliée de la communauté. Et, par la même occasion, encourage les créateurs de contenus à se responsabiliser face à l'homophobie. Rencontre avec l'icône d'une autre génération.

À la télé, sur YouTube et même en librairies : cette année, tu as été sur tous les fronts. Comment expliques-tu cette success-story ?

Léna Mahfouf – Tout va crescendo depuis que j'ai commencé. Je me dis que je suis arrivé à un bon moment alors que la guerre entre les gens d'Internet et les médias traditionnels était en train de s'arrêter. Au bout du compte, on veut tous la même chose : créer du divertissement et apporter de l'information. Ce qui m'a peut-être aidée aussi, c'est le message positif que je soutiens depuis quatre ans. 2020, c'était l'année où on en avait besoin. J'ai réussi à me faufiler. Mais en même temps, j'ai tout fait pour. J'ai cassé des portes, je n'ai pas attendu qu'on m'invite.

Il est difficile en France de se faire une place dans l'espace public dès lors qu'on est issu d'une minorité. Y a-t-il un moment où tu as douté de toi, où tu as voulu baisser les bras ?

J'ai énormément d'ambition, donc ça efface ces éventuels doutes. Mais c'est clair que j'ai dû parler plus fort, plus longtemps et faire trois fois plus pour qu'on me mette sur le même pied d'égalité que quelqu'un qui aurait des bases plus solides de par son éducation, son lieu de naissance, sa couleur de peau… On est dans une société très hiérarchisée. Il faut se battre et ne surtout pas se laisser faire. C'est vraiment mon mot d'ordre depuis le début.

Ce côté hiérarchique est-il en train de changer selon toi ?

Non. Je pense qu'on a créé une nouvelle hiérarchie avec les réseaux sociaux qui n'est pas meilleure : plus t'as d'abonnés, plus tu as de l'importance. Il y a encore un manque d'égalité. Ma notoriété, elle est en ligne. Ce n'est même pas tangible. Mais la façon dont on me traite, c'est parfois à vomir lorsqu'on compare avec ceux qui sont moins populaires sur les réseaux sociaux.

On te voit souvent entourée d'autres influenceurs ouvertement queers, comme Bilal Hassani ou Sparkdise.

Je ne traîne qu'avec deux hétéros : mon père et mon copain. Sinon, c'est tout [rires] !

Tu ne te sens pas comme une anomalie parfois à leurs côtés ?

Au contraire ! Ils m'ont mise face à des problématiques auxquelles je n'avais jamais pensé. Par exemple, embrasser un garçon à l'école. Avec toutes mes copines, on faisait des bisous à nos amoureux dans la cour. Mais pour eux, c'était plus compliqué. Ils devaient trouver une personne comme eux, prête à être out, à l'aise avec sa sexualité. Quand tu es jeune et gay, il s'agit souvent de relations cachées, un peu clandestines. Tout ça, je n'y aurais jamais pensé. Mais ils m'ont éduquée non pas seulement avec leurs mots, mais aussi par la façon dont ils vivent. Chez eux, il n'existe pas de cases. Ils m'ont vraiment appris la tolérance. Quand j'ai appris à mieux les connaître, ils m'ont parlé de leur enfance, de l'homophobie qu'ils ont vécu, des agressions… Tout ça, quand tu ne le vis pas et que tu ne t'intéresses pas à la cause, l'information ne vient pas à toi. C'est aussi pour ça que les problématiques de la communauté LGBTQ+ me touchent : c'est parce que je les ai vécues à leurs côtés.

Penses-tu que ton vécu de femme racisée fait écho à celui de tes amis gays ?

Je pense qu'il y a un point commun chez toutes les minorités, c'est d'abord l'incompréhension. Il est difficile de se construire lorsqu'on souffre beaucoup d'un manque de représentation. Il faut constamment crier plus fort pour qu'on nous écoute.

As-tu l'impression de les véhiculer les valeurs apprises par tes amis gays à travers ton contenu ?

J'espère ! En tout cas, ça m'embêterait qu'on me reproche un manque de tolérance. D'une part, tu peux être sûr que je ne vais pas laisser passer le moindre commentaire homophobe. Sous mes vidéos, il y a typiquement beaucoup de propos haineux quand je suis avec les garçons. Je sais que mes potes ont une armure, je sais qu'ils ne seront pas affectés. Par contre, le petit qui est en train de se construire et qui regarde cette vidéo, c'est une autre histoire. Parce que le gamin en question n'a pas le recul qu'on peut avoir sur ces réactions homophobes. Il va le prendre personnellement et c'est ça qui me dérange. Et c'est valable pour tout commentaire discriminatoire, sexiste ou raciste. J'en profite pour faire un appel pour que tous les créateurs fassent attention à leurs commentaires : c'est notre devoir. Il faut montrer que ce genre de comportement n'est pas tolérable.

Beaucoup de youtubeurs ouvertement gays gravitent donc autour de toi : comment expliques-tu que le courant passe aussi bien ?

En vérité, ça a été comme ça toute ma vie. Sans rentrer dans les clichés, je suis vraiment dans cette culture du "girls and gays". Avec mes potes, on a les mêmes goûts musicaux, le même attrait pour la mode. Mais pour parler plus en profondeur, ces relations sont aussi solides parce qu'on partage les mêmes idées de tolérance, d'ouverture d'esprit. Pourquoi tous mes amis sont gays ? Je ne sais pas. Peut-être grâce à ces valeurs-là. Mais surtout parce qu'ils sont fun.

Il y a des milieux comme la mode ou la coiffure qui sont souvent très queer-friendly. De ton expérience, c'est aussi le cas du YouTube français ?

Je pense qu'on a réussi à créer une communauté tellement forte qu'on en oublie les autres. Mais non, je pense que YouTube ne fait pas partie des secteurs les plus friendly. Je ne parle pas de la plateforme en elle-même, que je trouve plutôt bienveillante. Du côté des marques, c'est autre chose : on m'a déjà demandé si j'avais des copains qui étaient de "vrais garçons". Je n'ai pas compris.

Concernant tes partenariats avec les marques, es-tu vigilante par rapport à leur image, à leurs engagements passés ?

Avant, je ne faisais pas attention car je vivais dans un monde de Bisounours. Puis, tu réalises que tout n'est que business. Si je vois qu'ils traitent salement leurs employés LGBTQ+ et qu'ils ont sorti une collection pour la Pride, je ne cautionne pas. Ce n'est pas avec un arc-en-ciel sur un t-shirt qu'on va régler l'homophobie. J'aimerais que ce soit plus profond. Donc je fais attention. Si par exemple une marque me dit que mon ami gay ne peut pas venir sur le tournage, c'est mort. Ce n'est pas quelqu'un à qui j'ai envie de donner de l'argent, ni de la force, ni du temps. Je n'ai jamais face à ça cela dit. Au début, ça aurait pu être le cas mais maintenant que mes valeurs sont bien installées dans l'inconscient de toutes les marques, on ne va pas me contacter pour faire un truc "all lives matter" [rires].

Penses-tu t'être mise à dos certains followers en étant aussi proche de la communauté LGBTQ+ ?

L'année dernière, je m'étais réjouie de la dépénalisation du mariage homosexuel dans un pays conservateur et j'avais partagé la nouvelle sur mes réseaux. J'avais tout de suite perdu des abonnés, reçu un tas de DM énervés. C'est génial en un sens, parce que c'est une sorte de sélection naturelle : tous les connards sont partis. Et ça ne me dérange pas : je préfère perdre 1000 abonnés à cause de cette publication plutôt qu'avoir 1000 personnes qui me suivent alors qu'on ne partage pas les mêmes valeurs fondamentales.

Sais-tu si tu as une frange LGBTQ+ au sein de ta communauté ?

Je le vois, c'est évident. J'ai très peu de garçons hétéros qui me suivent. Car même si je ne fais pas partie de la communauté LGBTQ+, on m'a mise dans le même panier car je fais partie des alliés. Paris, c'est un microcosme. On se dit qu'être gay et s'assumer, c'est facile. Mais ce n'est pas la même histoire dans les patelins reculés ou les petites villes de province. Ils peuvent alors vivre leur homosexualité à travers les réseaux sociaux et comme ma plateforme les accueille à bras ouverts. C'est peut-être un semblant de liberté pour eux. Mais je ne pense pas que ce soit juste moi toute seule qui parvienne à fédérer autant : c'est aussi la force de mes copains.

Avec autant de visibilité et un tel attachement à la communauté LGBTQ+, comment définirais-tu ton rôle d'alliée ?

Il s'agit de se battre de la même façon que quelqu'un qui fait partie de cette communauté. C'est prendre leur combat et en faire le mien. Chaque combat ne peut pas se faire quand la partie qui n'est pas touchée ne se bat pas. Autrement, c'est perdu d'avance. Le combat pour l'égalité hommes-femmes, c'est du vent si les hommes ne se joignent pas à notre combat. Il faut que les hommes prennent conscience du problème. Pour la sexualité, c'est pareil. En tant qu'hétéro, j'aimerais que mes amis homos puissent faire les mêmes choses que moi. On ne peut pas laisser une communauté se battre toute seule.

As-tu grandi dans un milieu favorable à l'exploration de son identité, à la communauté LGBTQ+ ?

Complètement ! J'ai eu le privilège énorme de n'avoir jamais eu peur de qui j'étais face à mes parents, face à ma famille. J'ai une famille qui est algérienne, avec un moitié chrétienne et l'autre musulmane. On m'a toujours laissé le choix sur ce point-là, on ne m'a jamais imposé de valeurs. Mes parents m'ont toujours dit : "tu peux faire ce que tu veux tant que tu ne prends pas de drogues et que tu travailles bien à l'école". Deux critères plutôt raisonnables [rires].

Tu fais partie d'une génération particulièrement éveillée sur les dynamiques sociales, sur les questions de sexualité. As-tu déjà réfléchi sur ta propre orientation ?

Non, ça a toujours relevé de l'évidence. J'ai toujours été attirée par les hommes. Sentimentalement parlant, je n'ai jamais rien ressenti pour une femme. Je sais que beaucoup de gens aiment jouer sur le terme bisexuel pour se donner une image mais ce n'est pas mon cas.

Quel est ton état d'esprit face aux années à venir en termes d'acceptation des minorités en France ? Plutôt optimiste ?

J'espère sincèrement que tous les combats qu'on voit sur les réseaux sociaux vont se répercuter dans la vraie vie. J'espère qu'on continuera de se battre pour ce qui nous tient à cœur et que ces combats ne limiteront pas à Twitter. Je suis une personne assez optimiste donc oui, j'ai espoir.

Par Florian Ques le 09/12/2020