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musiqueRencontre avec Arlo Parks, la nouvelle voix queer et poétique de la scène britannique

Comme du miel pour les oreilles. Et un étau pour le cœur. La musique d'Arlo Parks est d'une beauté qui fait mal autant qu'elle cajole. Ses sonorités neo soul nous emportent dès la première écoute, mais ses paroles résolument poétiques cristallisent une identité à part. Et invoquent une sagesse qu'on est étonné de discerner chez…

Crédit photo : Alex Kurunis

Comme du miel pour les oreilles. Et un étau pour le cœur. La musique d'Arlo Parks est d'une beauté qui fait mal autant qu'elle cajole. Ses sonorités neo soul nous emportent dès la première écoute, mais ses paroles résolument poétiques cristallisent une identité à part. Et invoquent une sagesse qu'on est étonné de discerner chez cette Londonienne à peine vingtenaire. Après deux EP fabuleux parus en 2019, Anaïs Oluwatoyin Estelle Marinho – son nom complet à la ville – révèle d'autres facettes de son talent avec un album, disponible dès ce vendredi 29 janvier. À cette occasion, la chanteuse revient sur ses années passées dans notre Hexagone, sa bisexualité pleinement assumée et le rapport surprenant qu'elle entretient avec Billie Eilish.

Ton premier album s'appelle Collapsed in Sunbeams ("effondré·e en rayons de soleil" en français). Un titre qui est un total oxymore. Dirais-tu que cette ambivalence reflète bien ta musique ?

Complètement. Je dirais que la majeure partie de ma musique revient à équilibrer ces éléments lumineux et obscurs. J'essaie de parler de situations très difficiles et d'émotions compliquées, mais toujours à travers le prisme de l'espoir. C'est sûr qu'il y a quelque chose de doux-amer dans la façon dont j'écris.

La musique, ça a commencé comment pour toi ?

Je suis des cours de piano depuis que j'ai l'âge de 7 ans. Ensuite, j'ai commencé la guitare quand j'avais 13 ou 14 ans et je me suis appris à moi-même comment faire des beats. J'avais aussi mon propre groupe. Niveau influences, j'aimais beaucoup King Brule, Elliott Smith ou encore Massive Attack.

Tu te décris comme quelqu'un d'empathique. À quel point est-ce utile quand on fait de la musique ?

Très utile ! C'est un peu mon super-pouvoir d'une certaine façon parce que ça m'aide à me rapprocher des gens et à décortiquer des émotions qui peuvent être emmêlées. Je suis sensible aux énergies des gens et ça m'aide à essayer de raconter leurs histoires. Il s'agit d'écouter et d'absorber. Mais ça peut être à double tranchant car je peux absorber trop de douleur chez les autres. Donc ça peut clairement être épuisant, mais je pense que c'est important de fixer des limites et de se faire confiance.

Faire de la musique, c'est comme une thérapie pour toi ?

Carrément. Dès qu'il se passe quelque chose de fort dans ma vie, j'en prends des notes et j'essaie d'en faire une chanson. En fait, ça me permet de me poser et prendre de la distance vis-à-vis de la situation. C'est très cathartique.

Tu as des origines françaises, nigérianes et tchadiennes. As-tu l'impression que la musique de ces pays-là ont influencé ta musique ?

Bien sûr, c'est la musique qui tournait tout le temps dans ma maison quand j'étais plus jeune. Du côté français en particulier, on écoutait beaucoup de Jacques Brel, de Françoise Hardy, de Serge Lama, de Daniel Balavoine… C'était très varié. Je ne sais pas trop de quelle manière mais cette énergie "à la française" se retrouve dans mon travail et dans mes goûts. Mon père écoutait aussi pas mal de jazz : du Miles Davis, par exemple. Quant à ma mère, elle mettait beaucoup de hits des années 80 comme Prince ou Whitney Houston.

Tu écoutes la musique qui se fait en France actuellement ?

J'éprouve une certaine nostalgie par rapport aux séjours que je venais passer chez ma grand-mère à Paris. J'adore écouter les chansons qu'elle avait l'habitude de mettre : c'est une grosse partie de qui je suis parce que j'ai passé tellement de temps en France. Ces derniers temps, je me suis replongée dans du Serge Gainsbourg, mais j'écoute aussi des artistes plus contemporains que j'aime beaucoup comme Christine and the Queens.

Sur ton single "Green Eyes", tu parles d'une relation écourtée avec une autre fille mais aussi du poids de l'homophobie dans notre société. Ta musique, c'est aussi de l'activisme pour toi ?

Je n'en suis pas certaine. Disons que certaines personnes peuvent voir ma simple existence comme quelque chose de politique. Mais je n'essaie pas de l'être. Je parle juste de mes expériences et, dans le monde dans lequel nous vivons, c'est perçu comme sortir du moule. Donc oui, je dirais que ma musique peut être une forme d'activisme, mais pas consciemment.

Tu es ouvertement bisexuelle. Comment s'est passée la découverte de ta sexualité ?

C'est intéressant car j'ai l'impression d'avoir toujours eu conscience de cette partie-là et de l'avoir toujours acceptée. C'est sans doute parce que j'ai grandi dans un environnement qui était très aimant et acceptant. Après, bien entendu, il y a eu des moments un peu plus tourmentés que tout le monde rencontre où on cherche sa place, on se demande si l'on est suffisamment cool… Mais dans l'ensemble, tout s'est fait de manière très fluide.

Y a-t-il des artistes queers à qui tu peux t'identifier ?

Quand j'étais plus jeune, franchement, c'était surtout Syd du groupe The Internet [rires]. Je l'adorais, surtout parce que sa musique collait parfaitement à mes goûts. Mais maintenant, il y en a tellement. Comme Janelle Monáe, Sophie, Beverly Glenn-Copeland, Clairo… Les personnes queers s'illustrent dans tous les genres musicaux. C'est beau car tu peux trouver l'inspiration à tellement d'endroits.

Plein de médias LGBTQ+ font les louanges de ta musique et une grande partie de la communauté t'acclame. C'est difficile de supporter le poids de la représentation ?

Je dirais qu'il y a clairement une certaine responsabilité. Je gère ça en faisant bien comprendre aux gens que je suis juste une personne, que j'apprends encore et que je ne suis pas une sorte de super-héroïne. Les gens se retrouvent dans mon travail parce que je raconte des histoires qui leur semblent authentiques. Je fonctionne à l'instinct. Et je continuerai de fonctionner comme ça sans trop penser au reste.

Une artiste en particulier a récemment partagé son adoration pour ta musique : Billie Eilish. 

Oui, c'est surréaliste [rires] ! Mon amie m'a conseillé de regarder son interview chez Vanity Fair. Je l'ai fait et j'ai halluciné. C'était dingue, je pensais que c'était une blague. C'est génial de pouvoir me dire que ma musique a intéressé quelqu'un qui a probablement changé le visage de la musique pop à jamais.

As-tu l'impression que Billie et toi appartenez à une génération d'artistes qui donnent un second souffle à l'industrie musicale ?

C'est possible, oui. On a à peu près le même âge. C'est vrai que nos musiques se croisent en termes de vulnérabilité émotionnelle, ce que je retrouve chez beaucoup d'artistes qui percent en ce moment. C'est passionnant ! Ce qui m'enthousiasme surtout, c'est de voir que les jeunes artistes changent les choses sur le plan musical. Les genres se dissolvent et il y a beaucoup de fusions qui se font tout en restant authentiques. C'est de bon augure pour l'avenir.

2020 a été une année très particulière et 2021 semble prendre la même direction. Tu penses que ces temps incertains vont influencer tes futurs morceaux ?

Je le pense complètement. Dès que j'écris, mon environnement se reflète dans les paroles, que ce soit conscient ou non. Je dirais que mes prochains titres seront aussi influencés par la musique j'écoute également. J'ai passé beaucoup de temps à découvrir des albums de A à Z. Mes goûts sont en train d'évoluer mais je pense que ma musique sera évidemment influencée par ce sentiment d'isolement et par ce besoin ardent d'être entourée de gens.

Comment tu t'occupes durant ce nouveau confinement ?

Ces derniers mois, j'étais pas mal occupée à promouvoir mon album. Mais au-delà de ça, j'ai créé quelques beats. J'ai regardé beaucoup de films. J'apprends des choses sur la photographie et la psychologie. J'écoute beaucoup de podcasts. En gros, j'essaie d'absorber le plus de choses possible. C'est ça qui me rend heureuse : quand j'ai l'impression d'apprendre ou de grandir d'une façon ou d'une autre.

Par Florian Ques le 28/01/2021