musiqueOn a rencontré Ali, le chanteur libanais et queer qui veut représenter la France à l'Eurovision

Par Florian Ques le 29/01/2021
Eurovision

Ouvertement gay et libanais, Ali, 29 ans, est en lice pour représenter la France à la prochaine édition de l'Eurovision. Il aimerait conquérir le public hexagonal avec "Paris me dit (yalla ya helo)", un titre des plus entraînants de la sélection.

Le 30 janvier 2021 est une date importante pour Ali. C'est dans le cadre de l'émission Eurovision France, c'est vous qui décidez ! que ce Libanais d'origine donnera de la voix. Avec un seul but en tête : faire chavirer le public de France 2 et se hisser au top du podium et devenir le représentant de la France à l'Eurovision 2021, lors du prime ce samedi. Artiste touche-à-tout dont la musique est directement nourrie de son vécu, il réunit les ingrédients nécessaires pour être l'ambassadeur de l'Hexagone au concours européen de la chanson : de l'authenticité, du talent et une identité forte. C'est pourquoi TÊTU l'a tout naturellement contacté afin de parler concurrence, visibilité LGBTQ+ et Freddie Mercury. Rencontre.

Alors Ali, stressé ? Comment se passent les répétitions ?

Aujourd'hui, c'est le deuxième jour de répétition plateau. Le stress monte. Il y a quelques jours, je me disais que je ne me sentais pas très stressé, c'était bizarre. Et là, je me sens comme l'écureuil dans L'Âge de glace [rires]. Mais bon, en tout cas, on essaie de s'amuser le plus possible.

Il y a une bonne ambiance entre tou·te·s les participant·e·s ?

Je les déteste tous [rires]. Non, très franchement, c'est incroyable. Je ne m'attendais pas du tout à ça. Je me disais que ça allait être un truc comme RuPaul's Drag Race. Et en fait, l'ambiance est sympa, tout le monde est très gentil.

Tu es originaire du Liban. Qu'est-ce qui t'a poussé à venir habiter en France ?

J'ai toujours su que j'allais venir vivre ici. Plus jeune, déjà, j'ai eu ce pressentiment. J'étais en sixième la première fois que j'ai mis les pieds en France. C'était pour fêter le centenaire de la Mission laïque française car j'étais dans une école française au Liban. Quand je suis arrivé, je me suis dit "this is it". J'ai ensuite passé toute mon adolescence au Liban. Là-bas, il faut être médecin ou architecte ou ingénieur parce que les métiers artistiques ne sont pas perçus comme de vrais jobs. J'adore ce pays mais j'avais envie de suivre mon chemin, d'accomplir mes rêves. Et ces rêves, je voulais les réaliser en France.

On a rencontré Ali, le chanteur libanais et queer qui veut représenter la France à l'Eurovision
Crédit photo : Jules Faure

Le Liban est-il un pays gay friendly ? On a beaucoup entendu que oui, mais une étude de l'Arab barometer en 2019 indique que seulement 6 % de la population libanaise accepte les homosexuels... 

Il y a des soirées gays au Liban, beaucoup même, bien qu'elles restent peu médiatisées. C'est une culture assez underground. Personnellement, je ne me suis jamais caché, ou alors pas consciemment. J'ai toujours essayé d'être moi-même. Alors bien sûr, il y a des moments où ça n'a pas été très bien reçu, que ce soit dans mon entourage ou dans la société en général. Je me suis toujours dit que je préférais être moi ailleurs que de rester dans les codes pour vivre une vie cachée.

Ton arrivée en France, c'était comme une seconde respiration pour toi ?

Même s'il y a toujours des regards ou des bruits qu'on entend dans la rue en France, la force que j'ai eue en arrivant ici était incroyable. C'était il y a six ans déjà. Avec mon arrivée en France, je me suis dit que je me sentais prêt à me dévoiler, à exprimer tout ce que j'avais envie d'exprimer. J'ai senti que j'étais aussi arrivé à un stade où j'avais moi-même envie d'aider des personnes comme le petit Ali que j'étais.

Comment est arrivée la musique dans ta vie ?

Il faut d'abord savoir que je touche à plusieurs choses. Je fais de la mode : je viens de lancer ma première collection de prêt-à-porter et je travaille pour une maison de mode. Je peins également. Mais pour la musique, j'ai toujours su que j'avais un projet en moi car je suis un grand fan de comédies musicales. I'm gay, okay ?! [rires]. Mon chat s'appelle d'ailleurs Barbra, comme Barbra Streisand [rires].

De fil en aiguille, j'ai rencontré Hyphen Hyphen. C'est drôle : on s'est retrouvés à chanter du Queen dans le salon d'une amie. On a ensuite discuté, ils étaient touchés par mon histoire et on s'est dit que ce serait bien de la raconter en musique. Ce déclic est arrivé il n'y a pas si longtemps que ça, juste avant l'énorme explosion à Beyrouth cet été. J'avais envie de donner naissance à ce projet et de sortir plein d'émotions. C'est incroyable la vitesse à laquelle les choses se sont passées.

Quels sont les artistes qui t'inspirent ?

J'en ai plein ! Mais la première personne qui me vient en tête, c'est Freddie Mercury. C'est quelqu'un qui m'a accompagné dans toute mon adolescence. Pour moi, c'était la première image d'un homme gay sur scène dans mon enfance. Même vocalement, il m'impressionnait.

Sur ton titre "Paris me dit", tu mélanges un style qui évoque la variété française avec des sonorités issues des musiques des pays arabes. C'était une évidence pour toi de réaliser cette alliage ?

Le Liban fait partie de mon histoire et de qui je suis, donc c'était une évidence d'avoir cette sorte d'épice orientale. Mais ce qui est beau dans tout ça et qui raconte qui je suis, c'est ce métissage entre Orient et Occident. C'était organique pour moi, c'est venu naturellement.

Quelle image avais-tu de l'Eurovision avant de vouloir y participer ?

J'ai toujours été fan de l'Eurovision. Quand je regardais ça étant jeune, jamais de ma vie je me serais dit que je pourrais être à ça d'y participer. J'adore ce show et je m'étais dit : autant prendre la parole sur une scène comme celle de l'Eurovision où il y a un véritable accueil de cultures différentes réunies au même endroit. C'était comme une évidence là aussi.

Qu'est-ce qui te distingue des autres artistes en compétition pour représenter la France selon toi ?

Ce qui fait la force de ce casting-là, c'est que tous les artistes sont différents. Chacun est dans un univers qui lui est propre. Pour ma part, ce qui me distingue selon moi, c'est ce mélange de théâtral avec un peu de pop, un peu de rock et de la voix, aussi. Je raconte quelque chose de sincère. Je ne dis pas que les autres ne le sont pas, mais c'est juste que je raconte mon histoire. Et vu qu'elle n'est pas comme celles des autres, c'est un atout. Et surtout, ce qui me différencie, c'est que je suis évidemment le meilleur [rires].

On a rencontré Ali, le chanteur libanais et queer qui veut représenter la France à l'Eurovision
Crédit photo : Jules Faure

Quelles valeurs françaises espères-tu incarner et porter jusqu'à l'Eurovision ?

Honnêtement, j'ai envie de porter la vision de ma France. J'ai envie de partager cette image avec le monde de la France qui m'a accueilli, qui m'a ouvert les bras et qui m'a dit "yalla ya helo" comme dans ma chanson. En libanais, ça veut dire "allez viens, mon beau". La France m'a dit ça. Et aujourd'hui, elle m'a permis de réaliser mes rêves, d'être la personne que j'ai envie d'être et j'ai envie que le monde voit et sache ça.

Si tu es sélectionné pour l'Eurovision, tu représenteras évidemment la France mais auras-tu l'impression de représenter aussi la communauté LGBTQ+ ?

Évidemment. Je suis bien sûr un homme homosexuel, ça fait partie de moi. Mais il faut montrer au monde et à tous les gens qui nous mettent des étiquettes qu'on est plus que ça. Avant de parler d'art aujourd'hui, on parle d'orientation sexuelle. J'ai envie de montrer à tout le monde qu'on peut être artiste, qu'on peut être gay et porter tout ça sans que juste "gay" soit retenu.

Si l'Eurovision ne fonctionne pas pour toi, qu'est-ce que tu prévois pour la suite ?

On ne sait jamais ce qui pourrait se passer, mais j'ai grandi en vivant au jour le jour donc je n'ai pas trop envie de rentrer dans ces détails-là. Je ne sais déjà pas ce qui m'attend demain [rires]. J'ai très envie de continuer mon aventure musicale. Je viens de signer avec un label pour mon titre. Les indices sont très positifs et j'ai hâte de partager avec le monde tout ce que j'ai à donner. Je suis sûr que l'aventure vient de commencer.

Crédit photos : Jules Faure