Depuis septembre 2019, c'est au micro de son podcast éponyme que la journaliste Camille Regache décortique les différents enjeux de la communauté queer en ciblant volontairement une audience hétéro. Un contre-pied qu'elle nous explique.
Dans chaque épisode de Camille, son animatrice se donne pour mission de sensibiliser ses auditeurs et auditrices aux questions LGBTQI+. Sans pour autant s'adresser directement aux premières personnes concernées. Sur son site, il est précisé que le podcast est "destiné aux lesbiennes, gay, bi, trans et surtout aux hétéros". Un angle mûrement réfléchi par sa créatrice, la journaliste Camille Regache.
"Dans ma tête, je m'adresse toujours à un public hétéro, avance-t-elle après un petit temps de réflexion. Je n'ai pas l'impression de faire un podcast LGBT+ en réalité. Je fais un podcast sur l'hétéronormativité qui pèse aussi bien sur les personnes LGBT+ que les personnes hétéros. L'intérêt de tout ça, c'est d'expliquer concrètement que vivre dans une société hétéronormée fait du mal à tout le monde. Et ça passe par le fait de décrire avant tout un système". Système qu'elle passe au crible à travers divers sujets ancrés dans le réel, parlant aussi bien de codes vestimentaires, de pratiques sexuelles que d'émissions de télé-réalité.
Du personnel à l'universel
Originaire de Grenoble, Camille Regache, aujourd'hui âgée de 28 ans, est d'abord passée par une grande école de journalisme parisienne avant de faire ses armes chez Binge Audio en tant qu'éditrice. C'est en avril 2019 que germe l'idée d'une émission aux thématiques queers. "On avait déjà Kiffe ta race et Les couilles sur la table comme programmes mais les questions LGBT n'étaient pas ou peu traitées par le monde du podcast, évoque-t-elle. C'était toujours considéré comme des questions qui ne concernent que les médias LGBT alors qu'il y a énormément de choses à dire sur comment retourner le regard sur les minorités pour comprendre une norme". Mais c'est aussi son propre vécu qui l'a aidée à cerner son angle.
"En tant que lesbienne, il y a une culture lesbienne qui n'est pas du tout accessible facilement quand on découvre sa sexualité, détaille-t-elle. On se demande pourquoi on ne s'en est pas rendu compte avant. Peut-être parce qu'il n'y avait pas de personnage lesbien dans les films que j'ai pu voir ou que c'était toujours codé comme quelque chose de négatif. Au final, tout ce petit cheminement de pensée m'a amené à une conclusion : ce n'est pas moi qui pose problème, c'est la société". Une société qui semble taillée sur mesure pour nos camarades hétéros. C'est justement pour ça qu'elle s'adresse en priorité à elles et eux.
Aux prémices du projet, la Grenobloise ne tenait pas nécessairement à ce que le podcast porte son nom, de peur "qu'on prenne ça pour un egotrip". En réalité, des alternatives ont d'abord été considérées. "Beaucoup de titres envisagés faisaient référence à des univers queers et c'était problématique, dit-elle. Si on veut parler à des hétéros, il ne faut pas qu'ils se disent dès le titre 'c'est pour les autres, c'est pour les LGBT'. On connaît les hétéros : si on met un nom un peu queer et un drapeau arc-en-ciel, c'est fini".
Engagé, mais pas militant
Dans chaque volet de Camille, la journaliste se transforme en guide dans ce périple de déconstruction. Mais elle ne s'accapare pas le micro : au contraire, elle le partage volontiers avec un·e invité·e différent·e qui apporte une expertise éclairée sur le sujet du moment. "Il y a d'ailleurs des questions que je ne traiterai pas parce que ce sont plutôt des débats intracommunautaires LGBT qui ne sont pas dans une logique d'utilité globale pour un public toutes identités sexuelles et de genre confondues", précise-t-elle. Pour des enjeux plus intrinsèques à la communauté queer, Camille Regache aurait tendance à conseiller Coming Out de Spotify ou encore Quouïr qui "fait un excellent travail de témoignages de personnes concernées".
Camille Regache rechigne toutefois à qualifier son podcast de militant – un terme qu'elle associerait plutôt "aux personnes qui se battent dans des associations ou qui sont dans les manifs" selon ses termes. "C'est un travail de terrain que je suis incapable de faire à titre personnel, confie-t-elle. Par contre, ce que j'ai à disposition, ce sont des compétences journalistiques, c'est l'accès à des moyens de production… Donc, quelque part, j'offre mes armes au service d'un créneau en marge des militant·e·s classiques pour aller toucher d'autres personnes". Une démarche qui réussit à Camille jusqu'ici, alors qu'il reste encore "énormément de sujets à traiter". En bref, selon son animatrice, ce n'est que le début !
Crédit photos : Binge Audio / Lorraine Besse
