histoireLa première revue homo de France, "Akademos", en voie de réédition

Par Xavier Héraud le 22/09/2021
akademos

[Histoire des médias LGBT] Les éditions Gay Kitsch Camp ont lancé un crowdfunding pour rééditer l’intégralité d'Akademos, considérée comme la première publication périodique gay en France.

Akademos n’a connu que douze numéros, publiés l’année 1909. Au-delà de son contenu, qui paraît daté aujourd’hui, il faut envisager cette revue comme un bout d’histoire LGBT à part entière. Car en ce début de XXe siècle, les choses commencent à bouger en Europe. À Berlin, un homme, Adolf Brand, lance en 1896 la première revue homosexuelle de l’Histoire, Der Eigene (L’Unique). Un an plus tard, avec le Dr Magnus Hirschfeld, ils fondent le comité scientifique humanitaire, dont l’objectif est dépénaliser les relations sexuelles entre personnes de même sexe, visées depuis 1871 par le paragraphe 175 du code pénal allemand.

Le baron inverti

En France, l’homosexualité n’est pas explicitement pénalisée mais les homosexuels, qu’on appelle à l’époque “invertis” ou “pédérastes”, sont régulièrement persécutés et poursuivis pour des délits tels que l’outrage aux bonnes mœurs.

Akademos naît de la volonté d’un homme, le baron Jacques d’Adelswärd-Fersen (en illustration de l'article, photo prise en 1903). Né en 1879, c’est un aristocrate, héritier d’une belle fortune familiale, apparenté du côté de son père au comte Axel de Fersen, favori de la reine Marie-Antoinette. Il est bel homme et c’est un beau parti. Beaucoup de jeunes femmes espèrent l’épouser… jusqu’au jour où il est arrêté pour avoir invité de jeunes hommes chez lui, avec un ami. L’affaire fait scandale. La presse, prompte à exagérer les faits, parle de “messes noires”. Il est condamné à 6 mois de prison.

Il en faut plus pour abattre ce fort caractère.“Il s’est défendu, à la Wilde, même s’il n’avait peut-être pas le talent de l’écrivain anglais. Il a fait une parodie de son procès, un livre intitulé Messes noires: Lord Lyllian, nous explique l’historien Patrick Cardon, des éditions Gay Kitsch Camp, spécialisées dans la publication de textes historiques.

À l’époque, plusieurs autres procès en France ou en Allemagne font les choux gras de la presse à scandale. Une autre affaire, dite “d’Eulenburg”, du nom d’un prince allemand “accusé” d’être homosexuel, connaît un fort retentissement en France. Les journaux parlent alors de “vice allemand”.

"Une première vision homosexuelle de la culture"

C’est dans ce contexte pas évident que Jacques d’Adelswärd-Fersen lance Akademos en 1909. La revue est sous-titrée “Revue mensuelle d’art libre et critique”. Contrairement à Der Eigene, qui publie des images et des textes plus explicites, on trouve dans la revue française des critiques littéraires, des poèmes, souvent d’une inspiration classique. Quelques collaboratrices et collaborateurs prestigieux signent divers textes : Colette, son mari Willy, Maxime Gorki, Tolstoï ou George Eekhoud.

“C’est comme un Mercure de France [la revue littéraire de référence de l’époque] pédé”, analyse Patrick Cardon. Dans les compte-rendus qu’on en fait dans les journaux, elle est considérée comme une revue d’invertis, de pédérastes. On la présente comme la première revue homosexuelle, mais il n’y a dedans pas grand-chose d’homosexuel au sens où on l’entend aujourd’hui. Il y a un certain Joseph Peladan qui parle d’androgynie à longueur de journée, il y a un auteur nommé Guy Debrouze qui publie un texte intitulé 'Le préjugé contre les mœurs'. C’est peut-être le seul texte de 'fierté' tel qu’on peut le comprendre aujourd’hui. Cela montre une première vision homosexuelle de la culture."

Akademos s’arrête à la fin de l’année 1909. Elle commence à coûter cher au baron d’Adelswärd. Une lettre montre qu’il aurait voulu faire une revue internationale”, poursuit Patrick Cardon. Sans que l’on en connaisse bien les raisons, cette volonté n’a pas rencontré d’écho. Il faudra attendre 1924 pour qu’une nouvelle revue homosexuelle voie le jour. Elle se nommera Inversions, puis L’Amitié, et sera interdite au bout de quatre numéros. Trente années s’écouleront ensuite avant qu’André Baudry lance une nouvelle revue, Arcadie, accompagnée d’une association du même nom. Mais c’est une autre histoire…

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>> Pour accompagner cette réédition d’Akademos, Gay Kitsch Camp publiera également plusieurs textes scientifiques consacrés à la revue, signés entre autres par Nicole Albert, Régis Schlagdenhauffen et Laurence Brogniez. Le coffret de plus de 1.000 pages sera disponible vers la fin de l’année, en version brochée ou version reliée. L’histoire de la première revue française homosexuelle n’aura alors plus de secret pour vous ! Pour participer au crowdfunding, c'est par ici.

Crédit photo : Wikipedia, domaine public