[Ce portrait figure dans les pages Mode du magazine têtu· de l'été, disponible en kiosques ou sur abonnement] À la tête de la maison Courrèges, le directeur artistique belge Nicolas Di Felice s’y sent comme un poisson dans l’eau. Rencontre.
“Les vêtements Courrèges n’ont jamais été imaginés pour plaire à tout le monde, c’était un parti pris.” Nicolas Di Felice le sait : dans les parfums comme dans la mode, “souvent les plus grands sont ceux qui divisent. Il y a tellement de fragrances que je me dis qu’en essayant de plaire à tout le monde, on ne plaît plus à personne”. Depuis son entrée chez Courrèges à l’automne 2020 en tant que directeur artistique, le créateur belge a su remettre la maison mythique sur la carte de la mode, en la rendant ultra-désirable. Dua Lipa, les Blackpink, Madonna, Angèle et même Lily Collins (dans Emily in Paris) en sont fans.
Le voilà donc sur le devant de la scène, lui qui avait toujours travaillé pour les autres : Nicolas Ghesquière chez Balenciaga, qu’il a suivi chez Louis Vuitton avant un court passage chez Dior, auprès de Raf Simons. “J’ai été très attiré par le travail d’André Courrèges, je me souviens de toutes ses campagnes, que je trouvais belles, explique-t-il. Quand j’allais dans les boutiques vintage, je m’arrêtais toujours devant ses pièces.”
Courrèges, c'est aussi des parfums
Formé à la prestigieuse école de mode de La Cambre, à Bruxelles, Nicolas Di Felice s’inspire bien sûr du passé : le blanc Héritage, le vinyle, le logo AC, la minijupe, les aplats de couleur, l’optimisme et la légèreté sont toujours là. Des codes que le néo-quadragénaire marie avec l’air du temps : ses pièces sont souvent unisexes, les lignes sont fines, la maille est composée de fils recyclés et le vinyle est biologique. Le tout s’inscrit autour de principes qu’il veut stables : “Il m’arrive de comparer Courrèges aux marques avant-gardistes comme Ann Demeulemeester ou Rick Owens, qui se bâtissent loin de l’idée de saisonnalité.”
Très sensible au monde olfactif, le designer n’a pas hésité quand s’est présentée l’opportunité de relancer les parfums Courrèges. Slogan, le premier opus imaginé sous sa direction, a été créé par Annick Ménardo, son nez préféré : “Elle a créé pas mal de fragrances que j’ai adorées depuis que je suis gamin. Body Kouros, d’Yves Saint Laurent, était un de mes premiers parfums. Ma marraine a porté Hypnotic Poison, de Dior, pendant des années, je me souviens d’elle à travers cette odeur. Et puis, il y a Bois d’argent, de Dior, que j’ai porté pendant dix ans, dès sa sortie.”
Courrèges compte maintenant onze créations olfactives, unisexes comme sa mode, et présentées dans des écrins qui reprennent les codes des flacons iconiques d’André Courrèges dans les années 1970. Son dernier-né : L’Eau Pâle, récit d’un soir d’été, retour de plage sous un ciel étoilé aux notes de citron et de lavande… “À chaque fois, j’essaie de raconter une histoire. Le storytelling nous donne des notes que l’on aimerait travailler et tout vient en même temps, comme lorsque je pense les défilés, pas seulement avec les vêtements mais avec la musique, le set…”
Dans son studio, la musique est omniprésente. En grandissant, dans un village près de Charleroi, en Belgique francophone, Nicolas Di Felice a découvert la mode à travers les clips qui passaient à la télé, notamment sur MTV. Il cite les vidéos de Deee-Lite, d’Aerosmith, de Guns N' Roses, et des clips créés par les plus grands photographes : “Human Nature” de Madonna par Jean-Baptiste Mondino, “All is Full of Love” de Björk par Chris Cunningham… “Il y a dans ces clips un truc extraordinaire de fulgurance et de recherche de l’efficacité, de liberté visuelle.”
Son premier défilé, il l’a organisé à ciel ouvert au bois de Vincennes. “C’est l’endroit où j’ai embrassé mon petit copain pour la première fois. C’est aussi là que se passaient les fêtes Bruit de la passion, de mon amie Anna Dotigny. Pour moi, le bois exprime vraiment la liberté, et s’installer dans un endroit qui me rassurait m’a donné de la force”, décrypte le créateur. C’est aussi une mine de souvenirs pour plus tard, comme ses légendaires raves Courrèges, qu’il organise avec ses amis les plus proches.
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Crédit photo : Tom de Peyret