cinémaRetour sur "Rotting in the Sun", miroir jubilatoire et amer de notre époque

Par Antoine Scalese le 21/02/2025
"Rotting in the Sun"

Le film du Chilien Sebastián Silva, qui se met en scène aux côtés de l'influenceur Jordan Firstman, est une satire de nos sociétés contemporaines sur fond de disparition inexpliquée et de plage naturiste gay. Disponible sur la plateforme Mubi.

Chouchou de Sundance, le principal festival américain de cinéma indépendant, le Chilien Sebastián Silva est l'auteur de comédies noires dont la facture jubilatoire découle d'un motif narratif bien rodé : un blanc-bec renoue avec sa vérité profonde au terme d'une expérience extrême, la plupart du temps un mauvais dosage de substances. On retrouve cette mélancolie panique découlant de ces états altérés dans son petit dernier, Rotting in the Sun, sorti en 2023. Monté sous speed, le film assume son goût pour l'improbable, et le réalisateur y joue son propre rôle d'artiste aspiré par le néant de notre époque.

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Tout commence par un regard, celui de Sebastián qui cherche une réponse à son mal de vivre en lisant Cioran, De l'inconvénient d'être né. Mais il est dérangé. Face à lui, une femme défèque dans un parc, puis un chien vient bouffer sa merde. Le décalage frappe avec les images de promo qui vendaient un film très sexuel. Avant de se rincer l'œil, il va donc falloir se coltiner une réalité crasse.

Sebastián, petit prince d'un marché de l'art agité venu conquérir le Mexique, transpire la kétamine. Il perd le repos, notamment à cause des marteaux-piqueurs, leitmotiv génial qui invite la classe ouvrière dans le monde des nouveaux riches, en les empêchant de rester parfaitement hors sol. Encouragé par le cynisme sans bornes de son agent, il part retrouver la foi le long d'une plage nudiste, faux paradis de corps épuisés par les touzes et la dope. Il y croise Jordan Firstman, qui joue lui aussi son propre rôle d'influenceur hystéro obsédé par son image. Sebastián résiste d'abord à sa proposition de collaboration, mais HBO lui fait changer d'avis alors il invite Jordan à le retrouver.

Ici s'achève la mise en abyme. Le film bifurque brutalement quand Sebastián disparaît. C'est alors au tour de Señora Vero, la bonne, jouée par l'actrice chilienne Catalina Saavedra Pérez, d'entrer en scène : à la surprise générale, avec son jeu pantomimique, elle arrache toute l'attention et récupère le premier rôle. Face aux colons qui l'encerclent dans un anglais qu'elle ne comprend pas, elle est harcelée par l'appli de traduction à travers laquelle on lui demande des comptes. Elle suffoque.

Satire d'un monde en perdition

De retour plus horny que jamais, Jordan ne comprend pas pourquoi Sebastián manque à l'appel, et l'on se délecte à l'écouter brailler le prénom qu'Elizabeth Taylor pleurait avant lui dans Soudain l'été dernier. Alors que le monde autour semble indifférent à l'absence de Sebastián, reflet du sort que les sociétés réservent aux détresses queers, Jordan se transforme. Sa bouffonnerie s'apaise. Il se montre capable de souci, de réflexion et de tendresse.

Silva anticipe le devenir du monde qu'il dépeint : son auto-destruction. Dans le pessimisme transcendant les contours parfois brouillons de sa mise en scène, le film regorge de sous-texte et d'étincelles. Il y a cette scène troublante où, tandis qu'il se fait tripoter le visage au salon de beauté, Jordan écoute son amie lui expliquer sa prochaine perf. Tandis qu'elle déblatère, il supprime un à un ses posts Instagram, sorte de suicide virtuel d'un monde prenant conscience de son indigence morale. Silva parachève ainsi sa démarche satirique, l'aboutissement d'une œuvre solide qu'on s'enthousiasme de voir atteindre un palier de complexité.

>> La bande-annonce de Rotting in the Sun, à voir sur Mubi :

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Crédit : Hidden Content / Mubi

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