Le metteur en scène Christof Loy évoque à nos côtés son approche de l'opéra Peter Grimes, de Benjamin Britten. Sa mise en scène, visible à l’opéra de Lyon jusqu'au 21 mai, met notamment l'accent sur l'homosexualité du personnage.
Depuis ses débuts dans les années 1990, l'Allemand Christof Loy a mis en scène des opéras sur les plus grandes scènes européennes. Du 9 au 21 mai, l’Opéra de Lyon présente sa version de Peter Grimes, de Benjamin Britten, compositeur anglais homosexuel mort en 1976. Une version créée à Vienne, en Autrice, en 2015.
Dans cette histoire pleine de zones d’ombres et d’ambiguïté, un pêcheur, Peter Grimes, rentre au port avec le corps sans vie de son apprenti. Le village, à l’exception de l’institutrice avec qui il veut se marier, le pense coupable et le rejette. Lorsque son second apprenti disparaît en mer, les villageois se mettent à le traquer, conduisant Peter Grimes au suicide.
Dans sa mise en scène, Christof Loy, que nous rencontrons peu avant la première, a choisi de creuser le sous-texte homosexuel du livret.
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- Ce n'est pas la première fois que vous montez cet opéra. Qu'est-ce qui vous attire chez Peter Grimes.
Je l’ai mis en scène pour la première fois il y a trente ans, en Allemagne. Je ne le connaissais pas très bien à l’époque. Peter Grimes est quelqu'un de très, très tourmenté, et j'ai immédiatement développé une relation à ce personnage. Pour moi, il était clair qu'il cachait quelque chose. Pas le fait d'être un meurtrier, mais sa sexualité, y compris à lui-même. Et je trouvais ça très touchant. Le décor est minimaliste, et l'accent est mis sur le langage des corps. C'est presque une chorégraphie. Tout le plateau est une énorme pente, et les chanteurs représentent ce petit village où tout le monde s’observe.
- Dans ce décor en effet très minimaliste, le lit tient une place centrale. Pour quelle raison ?
Il est accroché à l’avant-scène, comme s'il allait tomber dans la fosse d’orchestre. Parce que tout le monde voudrait savoir ce qui se passe dans le lit de Peter Grimes. Est-ce qu’il est homosexuel ? C’est la question que se pose tout le village. Ça rappelle un peu le film de Lars von Trier Dogville, qui dépeint un village tellement curieux qu’à la fin, il n’y a plus de murs. Dans ma production, Peter Grimes rêve d'une autre vie, mais il revient tout le temps au moment où il pense avoir raté la sienne, et ça le mène au suicide.
- Dans les interviews que vous avez données, vous dites que c'est une œuvre très autobiographique pour Benjamin Britten. Vous vous êtes aussi inspiré de la vie du compositeur ?
Quand j’ai lu et écouté la pièce la première fois, j’avais en tête la vie de Britten, qui a grandi en Grande-Bretagne, où j'ai moi-même vécu. Il avait 40 ans quand il a écrit cette pièce, et on peut ressentir qu'il avait vraiment une grande empathie pour son personnage. C'est même étrange que Britten ait dit, dans ses interviews et dans ses lettres, que pour lui Peter Grimes n’était pas homosexuel. En vérité, je pense qu'il ne voulait pas qu’on le lise comme un opéra sur l’homosexualité. Plus tard, à la fin de sa vie, quand il a composé La Mort à Venise, il était en revanche très clair qu'il s'agissait de ça. Ce qui me touche vraiment dans Peter Grimes, c'est qu’on peut sentir dans chaque mesure le tourment d'un homme qui voudrait parler de quelque chose, mais qui n’arrive pas à s’ouvrir complètement.
- Avez-vous joué sur l'ambiguïté présente dans le livret ?
Elle persiste durant le spectacle, bien sûr, pour attiser la curiosité du public, qui veut comprendre ce qui se passe à l’intérieur du personnage. Mais je ne suis pas ambigu dans le sens où : oui il est homosexuel, oui il a probablement tué ces garçons. Mais j'invite aussi à une discussion importante : comment c’est possible ? Parce qu'à la fin, il est clair qu’il a été agressif avec eux parce qu'il ne pouvait pas vivre sa sexualité. Et ça, c’est un contexte, une société. Qu’il soit devenu ce mec qui ne pouvait pas se contrôler et qui tue des gens, bien sûr que ce n'est pas ok. Mais j’essaie aussi d’analyser une situation sociale. Aujourd’hui, c’est très facile de s’arrêter à "non, ça, ce n’est pas possible" etc. Mais la vie n'est pas si simple.
- Dans votre note d’intention, vous dites que Peter Grimes a parfois plus de liberté que les autres, ce qui crée de la jalousie au sein du village… De quelle liberté s'agit-il ?
Peter Grimes, par moments, a le courage de penser, et même de dire, "je m'en fous de ce que les autres pensent, je vais vivre avec mes apprentis". Cette décision de ne pas être à tout prix un membre accepté de la société crée de la jalousie. Il a conscience d’être différent, seulement il n’a pas le courage, ou la force, d’aller jusqu’au bout. D’ailleurs, c’est très intéressant, parce que quand on regarde la vie des autres personnages, quelque part, ce sont tous des réprouvés. Par exemple, il y a une veuve dépendante des médicaments, et qui en obtient par des chemins presque criminels. Ce serait très facile pour le village d’en faire le mouton noir... Je ne devrais peut-être pas le dire, mais dans ma production, à la toute fin, on voit qui sera la prochaine victime du village.
- On ne peut donc pas échapper au rejet, à la mise à l'écart ?
Je suis quelqu’un qui aime rêver, et je crois que c'est important de garder espoir. Je suis convaincu de ça. Mais je suis aussi réaliste. Il y a ce que j’appelle les défauts de la création elle-même. Nous avons en nous des tendances, une nature, un peu comme des animaux contre lesquels il faut se battre constamment.
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Crédit photo : opéra de Lyon