Mediapart et Tënk s'associent autour de l'artiste et activiste Jill Johnston dans JJ, un docu lesbien hors normes.
Un pèlerinage gouin en terres New-Yorkaise. C'est ce que nous offrent les artistes Pauline L. Boulba et Aminata Labor à travers le documentaire JJ, disponible sur Mediapart et Tënk, plateforme de cinéma documentaire. Le film part sur les traces de Jill Johnston (1929-2010), critique de danse, performeuse lesbienne et activiste américaine inclassable. Témoignages, archives, scènes fictionnelles rejouées composent cette œuvre ovni où deux artistes partagent une enquête aussi émotive que politique. De la manifestation en t-shirt "Gay Revolution" à la danse improvisée sur un toit la nuit, JJ reconstruit un héritage lesbien vibrant, cabossé, joyeusement non-linéaire. Le docu, dernier volet d’un triptyque qui comprend aussi une pièce et un livre, relève autant de l’autoportrait générationnel que de la transmission.
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Mais qui était vraiment Jill Johnston ? Une pionnière, une imprévisible, une emmerdeuse comme on les aime. Elle a écrit plus de trente ans pour le média The Village Voice, de 1959 à 1981, où ses critiques de danse, poétiques et frondeuses réinventent le journalisme culturel. Les descriptions de spectacles se mêlent à des digressions personnelles et des réflexions politiques. Ses textes, qui se radicalisent au fil du temps, sont aujourd'hui considérés comme les prémices d'une écriture queer contemporaine. C’est aussi dans The Village Voice qu’elle publie les premiers fragments de ce qui deviendra Lesbian Nation : The Feminist Solution en 1973, un ouvrage qui rassemble ses chroniques articulées autour d'un même projet : poser le lesbianisme non comme une simple orientation sexuelle mais comme une réponse politique au patriarcat. Il est à la fois un autoportrait intime et un manifeste politique prônant le séparatisme lesbien.
La forme au service du fond
Lors d'un débat organisé à New-York en 1971, qui réunit l'écrivain macho Norman Mailer et un groupe de féministes, Jill Johnston marque les esprits avec un texte poétique et surréaliste, dont les revendications sont accompagnées d'un humour corrosif. Pas une seconde elle ne tente pas de convaincre Mailer ou de produire une opinion nuancée. Elle crie, brouille les repères, interrompt sa propre intervention pour exécuter une performance dansée avec deux amies lesbiennes, simili strip-tease à la clef, puis quitte la scène avant la fin de son temps de parole.
"Toutes les femmes sont lesbiennes, sauf celles qui ne le savent pas encore"
Ce que JJ offre à la communauté LGBTQI+, c’est une mise en abyme du style si particulier de l'autrice. Son travail est comme réincarné et traversé par une nouvelle génération. Le film semble danser avec elle. Il doute, il cherche, et c’est dans cette tension entre hommage et trouble qu'il parvient à nous émouvoir. Comme n'a cessé de scander Jill Johnston avec sa verve inimitable : "Toutes les femmes sont lesbiennes, sauf celles qui ne le savent pas encore." Avec tendresse, humour et rage douce, le film réinvente notre rapport à l’héritage queer. Les archives vibrent, les corps parlent, et l’histoire se fait gouine.
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Crédit photo : Jan Roby, courtesy of Lesbian Herstory Archives