exposition"Rien ne nous y préparait" : Wolfgang Tillmans enchante nos adieux à Beaubourg

Par Timoté Rivet le 09/07/2025
Le photographe et plasticien allemand Wolfgang Tillmans expose à la BPI du centre Pompidou à Paris.

Avant sa fermeture pour cinq années de travaux, le centre Pompidou à Paris a donné carte blanche à l'Allemand Wolfgang Tillmans. Résultat, une exposition rétrospective qui retrace plus de 40 ans de création artistique du photographe et plasticien gay, à découvrir jusqu'au 22 septembre 2025 dans l'ancienne Bibliothèque publique d'information (BPI) de Beaubourg.

Un bon moyen pour les aficionados du lieu de faire leurs adieux (provisoires) à la fameuse Bibliothèque publique d’information (BPI) du centre Pompidou, à Paris. Avec "Rien ne nous y préparait – Tout nous y préparait", le photographe et plasticien allemand Wolfgang Tillmans s’empare jusqu’au 22 septembre 2025 de ces 6.000 m2 de rayonnages familiers aux rats de bibliothèque de la capitale pour y réunir “vidéos, musique, son, ainsi qu’un vaste corpus d’imprimés et d’objets personnels issus de sa propre collection”, peut-on lire en préambule d’un parcours qui occupe l’entièreté du deuxième étage de Beaubourg. Regroupant des œuvres issues d’archives vieilles pour certaines de plus de 40 ans ainsi que des pièces plus récentes, l’exposition invite à nous plonger dans l’intimité d’un artiste qui explore les frontières de la photographie et utilise son art pour faire entendre une voix politique.

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Divisé en neuf parties, le parcours propose une sélection d’œuvres éclectiques dans les espaces vacants de la bibliothèque, vidée pour les besoins des travaux de rénovation du centre Pompidou qui vont nécessiter sa fermeture à partir de cet automne et jusqu'en 2030. Et l’exposition résonne très bien avec ce lieu singulier où, depuis près de 50 ans, étudiants, chercheurs et lecteurs viennent profiter des 12.000 volumes qui remplissent les étagères de cet espace dédié à l’autoformation. Le photographe joue ainsi avec l’infrastructure de cette bibliothèque qui accueillait plus de 2.000 personnes par jour pour y déployer une scénographie unique. Les étagères de livres, bureaux et même l’ancienne moquette violette sont conservés et utilisés comme terrain artistique. Les écrans d’ordinateurs deviennent par exemple un espace d’œuvres vidéo, diffusant de courts extraits d’usagers filmés en plein travail à la bibliothèque. 

Célébrer les formes artistiques…

Portraits, collages, captures d’écran ou encore objets de l’enfance de l’artiste se succèdent dans cet espace où la déambulation est libre. L'absence de cloisonnement et de tracé prédéfini permettent de se rendre pleinement compte de la variété des supports artistiques qu’exploite Wolfgang Tillmans. Cherchant à repousser les limites du visible, il utilise des méthodes non conventionnelles, comme ces photographies réalisées sans appareil en chambre noire avec des sources lumineuses tenues à la main, ou celles effectuées avec l’aide d’une photocopieuse. 

Né en 1968 à Remscheid, en Allemagne, Wolfgang Tillmans développe un attrait pour la photographie via sa fascination pour les observations astronomiques et la contre-culture des années 1990. Des inspirations que l’on retrouve au fil des clichés exposés à la verticale mais aussi, plus surprenant, sur des tables à l’horizontal. Ce type de présentation, devenu signature de l’artiste, entre pleinement dans son processus de création : “Chaque image est d’abord examinée sur une table avant de trouver sa forme et sa place sur un mur”, observe-t-il simplement.

… et les espaces queers

Au-delà du travail formel, le photographe allemand interroge, dès le titre de son exposition, la fragilité de nos sociétés contemporaines : "Tillmans fait écho à la dialectique qui caractérise le monde depuis 1989 : une époque où les libertés et les progrès sociaux durement acquis, longtemps considérés comme garantis, sont à nouveau mis à l’épreuve." C’est évidemment le cas en premier lieu des droits LGBTQI+, attaqués ou en recul partout dans le monde. En réponse, l’artiste ouvertement gay témoigne par des images de vie nocturne, des archives de fête qui immortalisent les corps en mouvement dans les clubs queers, témoignage d’une époque et célébration d’une culture menacée : “Je veux témoigner, pour l’avenir, du fait que cela a existé, (…) et qu’il ne faut pas le tenir pour acquis”, explique t-il.

Plus loin, une série d’articles de magazines exposés sur des tables revient sur son travail éditorial en Afrique et sa volonté de se faire le porte-voix de minorités victimes de violences. De 2018 à 2022, Wolfgang Tillmans a en effet installé dans huit villes africaines une exposition itinérante intitulée “Fragile”, rencontrant et photographiant des personnes LGBTQI+ ayant fui leur pays et continuant à subir des discriminations, par exemple dans le camp pour réfugiés de Kakuma au Kenya. Autobiographie géante autant que manifeste citoyen sur le monde contemporain, "Rien ne nous y préparait – Tout nous y préparait" nous rappelle s'il en était besoin que le centre Pompidou va nous manquer… vivement 2030 !

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Crédit photo : centre Pompidou, Wolfgang Tillmans à la BPI, janvier 2025.