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magazineDe Jul à Juliette Armanet, Theodora met tout le monde d'accord

Par Florian Ques le 06/06/2025
Theodora

[Portrait à lire dans le magazine têtu· du printemps, ou sur abonnement] La Boss Lady Theodora, 21 ans, réédite son album Bad Boy Lovestory sous le nom de Mega BBL, avec la participation du rappeur Jul et de la chanteuse Juliette Armanet.

"Jetez vos raclos [« mecs », en argot] et sortez vos mini-jupes.” Pour la sortie de son hit "Kongolese sous BBL", en octobre 2024, Theodora annonçait clairement la couleur. Mais le message échappe à certains, et quand ses paroles évoquent "une p'tite Pauline" qu'elle aurait "déjà vue la veille", ils pensent que la chanteuse parle… de vodka Poliakov. "Tout le monde a préféré croire à la métaphore plutôt que de prendre mes mots au sens littéral, s'amuse-t-elle, un peu étonnée. À croire que des gens découvrent encore la bisexualité en 2025 ! Surtout que ce n'est pas la première fois que je parle de raclis [« meufs »]."

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À 21 ans, Theodora connaît un succès fulgurant, en partie grâce à TikTok, et avoisine déjà les 2 millions d'auditeurs mensuels sur Spotify. Elle peut le prendre comme "un cadeau de dieu", la signification en grec du nom de scène qu'elle a choisi. "Je trouvais ça beau", résume la jeune femme, de son prénom complet Lili-Théodora. Si son père préférait l'appeler sa "machine de guerre" – judokate, elle ne craignait personne sur le tatami –, elle se surnomme elle-même "Boss Lady".

D'aucuns auront vite fait de limiter Theodora à un cul : le sien. C'est d'ailleurs un des sujets de son titre "Kongolese sous BBL" – pour "brazilian butt lift", une opération de chirurgie esthétique qui donne un boule incroyable, mais surtout pour "bad boy love story", le titre de son premier album, sorti en novembre 2024. Dans ses morceaux, elle parle de shit, de drague, de clopes de contrebande, arbore des grillz (prothèse dentaire décorative) et des perruques colorées… Bref, elle est jeune, elle profite de la vie et ne s'en cache pas, comme quand elle débarque à un défilé Jacquemus à bord d'une décapotable rose tape-à-l'œil. Mais Theodora, c'est aussi l'ancienne présidente de la commission culture du conseil régional des jeunes de Bretagne, et qui avant de se consacrer à la musique préparait Normale Sup.

Un album multiculturel

"Avec mon album, je voulais que les gens puissent cerner ma personnalité à travers mon éclectisme", explique l'artiste. Née en Suisse d'un père réfugié politique congolais, elle a vécu en Grèce, en République démocratique du Congo, à La Réunion, en Bretagne, en Seine-Saint-Denis… "Mon projet est à l'image du brassage culturel et communautaire que j'ai connu, et qu'on trouve aussi en France", signale-t-elle. Son album est d'ailleurs un mélange très actuel et efficace de différentes techniques vocales, thématiques et sonorités : de la pop, du hip-hop, de la jungle et du bouyon, un genre musical caribéen.

"La sexualité est quelque chose de normal, alors j'en parle normalement."

Quelque part entre la star et la bonne copine, Theodora cultive une ambivalence qui séduit son public, tout en affirmant ses convictions politiques contre l'extrême droite. "Ma communauté est très éclectique et ouverte, à l'image de ma musique, note-t-elle. Si tu m'écoutes, c'est que tu es ouvert d'esprit. Je suis très contente qu'il n'y ait pas de fachos dans mes concerts. Je ne pense pas que Marine Le Pen danse sur « Kongolese sous BBL ». Ce n'est pas mon rêve, en tout cas !"

La chanteuse est le reflet d'une jeune génération plus acceptante et fluide, sur la sexualité, l'identité, etc. "En vrai, je n'ai jamais fait de coming out, avoue-t-elle. Si je considère que la sexualité est quelque chose de normal, alors j'en parle normalement. Pas besoin d'annonce." Cette approche insouciante, elle la doit en partie à sa mère : "Elle est très chrétienne, avec de grosses convictions, mais ce qu'elle a constamment prôné, c'est l'amour de son prochain. C'est une chose qu'elle m'a toujours inculquée. Ma mère ne comprend pas les homophobes : pour elle, on ne peut pas ne pas aimer l'autre."

L'artiste a grandi inspirée par les nombreuses femmes de sa famille. "Mais sur le plan artistique, mes modèles féminins étaient toujours américaines", complète-t-elle, en pensant très fortement à Rihanna, son idole. Et son inspiration de carrière : "Le but, pour l'instant, c'est d'être une superstar en France, mais ce n'est pas la fin du jeu…"

Bad Boy Lovestory et Mega BBL, de Theodora. Disponible en streaming et en CD.

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Crédit photo : Tone Verswijel

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