interviewAugustin Trapenard : "Edmund White a embrassé la possibilité d'une écriture homosexuelle"

Par Nicolas Scheffer le 06/06/2025
Augustin Trapenard évoque Edmund White

Le journaliste et critique littéraire Augustin Trapenard réagit à la mort de l'écrivain américain Edmund White, son mentor et ami, survenue ce mardi 3 juin.

Quand la mère d'Augustin Trapenard a appris la mort de l'auteur américain Edmund White, ce mardi 3 juin, à l'age de 85 ans, elle a immédiatement envoyé un SMS à son fils. Et pour cause, l'écrivain gay était devenu l'un des amis du présentateur de La Grande Librairie, sur France 5, après qu'il eut découvert ses romans à l'adolescence. Né en 1940, Edmund White a vu les combats de la libération gay et le plus dur de l'épidémie de sida – lui-même a été diagnostiqué positif au VIH en 1985. Augustin Trapenard le voyait comme un grand frère, la mémoire vivante de la communauté… Alors quand on lui a proposé de lui rendre hommage, il n'a pas hésité.

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  • Votre première véritable interview, vous l'avez réalisée avec Edmund White. Comment est-ce arrivé ?

À la fin d'un stage, alors que j'ai 24 ans, Laure Adler me propose de faire une série d'entretiens pour l'émission culte À voix nue. Je lui propose immédiatement Edmund White, dont j'avais lu chacun des livres et qui était très apprécié et traduit en français. Je me suis donc retrouvé sur l'île de Ré avec lui durant une semaine. Ce fut une rencontre bouleversante. À l'époque, j'étais un jeune homme dans sa vingtaine, venant d'un milieu bourgeois où l'homosexualité était au mieux ignorée, au pire rejeté. Lui était beaucoup plus âgé, mais surtout hilarant et bouleversant. Il était la mémoire d'une communauté que je découvrais. La Symphonie des adieux, sur le sida, est un de ses grands ouvrages. Il avait été d'une superbe bienveillance à mon égard, car il appréciait donner sa chance aux jeunes. Moi qui avais un rapport académique aux textes, il m'a appris à développer une approche charnelle, à retrouver la joie de la littérature.

  • Vous savez pourquoi il appréciait tant la France ?

En raison de nos auteurs ! Sa voix était imprégnée de Proust, auquel il a consacré un petit livre. C'était un formidable portraitiste, très érudit, qui a écrit aussi sur Arthur Rimbaud, sans parler de sa grande biographie de Jean Genet. Il recevait beaucoup et aimait organiser des dîners. Sur ce sujet, il appréciait beaucoup notre façon de mélanger des personnes de domaines très variés, et qui n'ont pas les mêmes avis. Lui-même aimait prendre le contre-pied des opinions dominantes... Dans son amour de Paris a également joué le couple qu'il a formé avec un français, l'architecte Hubert Sorin. Edmund White lisait et parlait très bien notre langue, avec un fort accent américain. En revanche, il n'aimait pas qu'on dise de lui qu'il était le plus français des auteurs américains. Il avait également une forte relation avec l'Italie, et avec Rome en particulier.

Vous considérez qu'Edmund White a marqué la littérature homosexuelle ?

C'était un pionnier de la littérature gay, c'est-à-dire quelqu'un qui a assumé, embrassé la possibilité d'une écriture homosexuelle à destination d'autres gays. De la même façon qu'Aristead Maupin a pu contribuer à trouver un sentiment d'appartenance à une communauté, ce qui à l'époque n'était vraiment pas évident. Edmund disait que la forme privilégiée de l'écriture homosexuelle était l'autofiction. Son écriture est effectivement chargée de tressaillements, de sens, d'érotisme et d'une fine ironie. C'était le roi du ragot et du mot d'esprit. Là encore, c'est très proustien. J'aime beaucoup ses œuvres du début : Oubliez Héléna, Nocturne pour le roi de Naples, Les Etats du désir et puis évidemment The Joy of gay sex, un manuel de la vie sexuelle gay. Il y avait quelque chose de militant dans sa manière de théoriser la vie homosexuelle.

C'était difficile de le programmer sur France Culture au milieu des années 2000 ?

Pas du tout, d'autant que France Culture a toujours été l'une des chaînes de Radio France les plus curieuses. Il suffit d'ouvrir un livre d'Edmund White pour se rendre compte de l'écrivain qu'il était. S'il n'y avait pas déjà eu une série d'entretiens avec lui, c'était faute d'opportunité. Mettre un jeune journaliste gay face à cette figure de la littérature homosexuelle, c'était une bonne manière d'aborder la rencontre. C'était quelqu'un de très pédagogue, qui voulait donner l'envie de comprendre la géographie des marges, les pissotières et les lieux de drague. Et puis, c'est encore une fois un grand écrivain de la mémoire qui a détaillé ce qu'était le fait d'être homosexuel dans les années 1950, 1960, 1970 et 1980...

Quel regard portait-il sur la nouvelle génération ?

Il disait que les homosexuels ont été opprimés dans les années 1950, se sont libérés dans les années 60, exaltés dans les années 70 et ont été décimés dans les années 80-90. Il était étonné, par exemple, que les homos d'aujourd'hui veuillent des enfants. Il disait qu'il s'était battu pour qu'on puisse faire autre chose, avec la possibilité d'assumer une différence, alors que beaucoup recherchent désormais l'égalité et la possibilité de suivre le même schéma que les hétéros.

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