cinéma"Le Rire et le couteau", odyssée post-coloniale fascinante et sensuelle

Par Franck Finance-Madureira le 09/07/2025
"Le Rire et le couteau".

Le cinéaste portugais Pedro Pinho (L'Usine de rien) n'a peur de rien, et surtout pas de la durée. Présenté dans la section Un certain regard du dernier Festival de Cannes, son film-fleuve de plus de 3h30 dresse le portrait de la présence portugaise en Guinée-Bissau, ancienne colonie, en suivant le parcours de Sergio, ingénieur pour une ONG qui va perdre ses repères au contact d’une communauté locale diverse et queer…

Si son arrivée en Guinée-Bissau ne manque pas de panache, au volant d’une voiture un peu capricieuse, Sergio, ingénieur environnementaliste pour une ONG missionné pour initier le chantier de construction d'une route, va vite être confronté à une réalité qu’il n’avait pas envisagée. Ses certitudes de "petit blanc" de bonne volonté ne vont pas résister à la confrontation avec les populations locales, et son aventure professionnelle va rapidement prendre l’aspect d’une quête de sens qui mêle enjeux de pouvoir et désirs.

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"Tout mon travail est marqué par cette idée de l'Europe qui, en tant que puissance idéologique, s'impose sur le reste du monde d'une façon violente, confie à têtu· le réalisateur du film Le Rire et le couteau, le Portugais Pedro Pinho. En découvrant Bissau, j’ai découvert cet univers des ONG et un pays, la Guinée-Bissau, qui est un endroit de résistance absolue au colonialisme depuis toujours." Et c’est cette résistance qui tend ce récit quasi initiatique. Sergio va se confronter à différents cercles : celui des puissants et des décideurs influents bien implantés dans le pays, celui des ouvriers des chantiers détachés depuis leur Portugal natal, comme celui d’une communauté queer locale et brésilienne.

Du désir et des possibles

"Je souhaitais parler du désir, et il est impossible de l’évoquer sans tenir compte de l’ampleur des possibilités, développe le cinéaste. J'avais cette idée de mettre en place un triangle amoureux qui prenne en compte cette fluidité très présente. La scène queer de Bissau est très forte puisque la législation est beaucoup plus progressiste qu’ailleurs en Afrique et, même si c'est quand même très difficile, il y a une lutte qui a été en partie gagnée. Cela peut paraître surprenant de voir une telle communauté queer dans un pays africain, mais c’est devenu un endroit où beaucoup de personnes queers viennent, même de pays voisins, pour être plus à l'aise." 

Être déplacé venant d’un ailleurs si lointain, Sergio va devoir composer avec ce nouvel environnement et ce qu’il (r)éveille en lui, entre la sensuelle et vibrante Diara et le séduisant et chaleureux Guilherme. Le désir est dans Le Rire et le couteau le révélateur d’une humanité commune qui fait que les êtres se rencontrent, se touchent, s’étreignent et se pénètrent quels que soient leurs vécus et leurs peurs. La chanson des années 1970 qui donne au film son titre – O riso e a faca, du Brésilien Tom Zé – parle d’un espace entre la douleur et la consolation où l’on se repose seulement dans la tempête… Tout un programme, que Le Rire et le couteau déroule avec subtilité et ironie. L’un des films les plus puissants du Festival de Cannes 2025. 

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Crédit photo : Météore Films

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