sortir"Passion" de Sondheim : une tragédie musicale au Théâtre du Châtelet

Par Tony Comédie le 18/03/2016
Théâtre du Châtelet Passion Sondheim

Le Théâtre du Châtelet joue actuellement "Passion" de Sondheim, une comédie-musicale à l'auteur-compositeur de génie.

En 2010, Lambert Wilson et Leslie Caron jouaient dans "A Litte Night Music", une comédie musicale inspirée du film "Sourires d’une nuit d’été". L’année suivante, on découvrait un musical sanglant : c’était "Sweeney Todd", l’histoire d’un barbier évadé de prison qui tuait ses clients pour "fabriquer" des tourtes à la viande. Puis il y a eu "Sunday in the park with George", un musical qui interrogeait le spectateur sur le statut de l'artiste dans la société. Enfin, il y a deux ans, le Châtelet nous faisait découvrir une pièce musicale inspirée des contes de fées de l’imaginaire collectif : "Into The Woods", adapté à l’écran quelques mois plus tard par Rob Marshall, avec notamment Meryl Streep et Johnny Depp.
Théâtre du Châtelet Passion Sondheim
Cette année, le Théâtre du Châtelet a décidé de monter l’oeuvre la plus intimiste mais aussi la plus romantique de Stephen Sondheim : "Passion", un spectacle hors normes créé en 1994 à Broadway. Ce musical est inspiré d’un mélodrame de Ettore Scola : "Passion d’amour", un film où Bernard Giraudeau (Giorgio) incarnait un beau soldat italien qui tombe irrésistiblement amoureux d’une femme laide et malade. Le film était lui-même tiré de "Fosca", un roman épistolaire d’Iginio Ugo Tarchetti. Sondheim a d’ailleurs souvent raconté qu’il avait pris en compte cette dimension épistolaire lors de l’écriture de la comédie musicale, notamment dans la structure des paroles.
"Passion" n’est pas vraiment une comédie musicale (aucune situation comique n’est présente, la mise en scène originale exclue toute danse), ni un opéra (le spectacle contient plusieurs longues parties parlées). Avec "Passion", Sondheim invente un nouveau genre qui n’existait pas : la tragédie musicale.
Cette production du Châtelet, mise en scène par Fanny Ardant, est d’ailleurs très sombre. Les éclairages, d’un blanc froid, sont rarement utilisés de face, et font la part belle aux ombres, à la lumière rasante et au brouillard artificiel. Les décors de Guillaume Durrieu, très abstraits et graphiques, jouent eux aussi sur le contraste noir et blanc. On a donc à faire à une mise en scène dépouillée, avec très peu d’accessoires. “Less is more”, disait souvent Sondheim. Et cela fonctionne parfaitement : le spectateur est concentré sur le jeu et la musique.
Théâtre du Châtelet Passion Sondheim
Comme toujours au Théâtre du Châtelet, la sonorisation est impeccable. Que c’est agréable de recevoir d’une façon aussi peu altérée les voix magnifiques de Natalie Dessay, Ryan Silverman et Erica Spyres ! Certes, la partition de Sondheim est géniale, mais la force de cette production réside dans le talent des artistes présents sur scène, dont la performance est d'une incroyable justesse.
Fanny Ardant a pris le parti d’ajouter quelques accents comiques à la mise en scène originale, que Sondheim voulait pourtant résolument tragique. Pour la petite anecdote, le texte et la mise en scène de la pièce ont été constamment réajustés par Sondheim lors des previews à Broadway, jusqu’à l’éradication de tous les rires des spectateurs. Le soir de la première, aucun rire n’a été entendu. Ce ne fut pas le cas mercredi dernier au Théâtre du Châtelet.
Notez qu’une magnifique compilation The Essential Stephen Sondheim vient de sortir chez Sony. A ne pas manquer pour parfaire sa culture en comédie musicale américaine. Et s’il reste des places, "Passion" est joué en version originale au Théâtre du Châtelet jusqu’au 24 mars prochain.
Théâtre du Châtelet Passion Sondheim
Cet article vous est proposé par Tony Comédie, blog de référence sur l’actualité de la comédie musicale : critiques, dossiers, interviews, rumeurs, jeux-concours...