TÊTU a rencontré Marvin Jouno pour la sortie de son premier album, Intérieur Nuit, une ode à la langue de Molière portée par une pop vibrante et lumineuse.
Le 11 mars, Marvin Jouno a sorti son premier album, Intérieur Nuit. Cet ancien chef décorateur pour le cinéma y propose onze titres d'une pop à la française flirtant avec l'électro. Onze morceaux également réunis dans un film musical réalisé avec Romain Winkler contant une échappée belle en Europe de l’Est. Nous avons eu la chance de rencontrer cet artiste qui ose, et qui nous fait planer.
TÊTU : Pour commencer, est-ce tu peux te présenter à nos lecteurs et nous parler de ton parcours ?
Je suis auteur-compositeur-interprète. Depuis quinze ans, je cherche mon média d'expression, j'expérimente pas mal de choses. J'ai étudié la mise en scène de cinéma, ensuite j'ai été décorateur dans le cinéma pendant dix ans. Et comme ça me laissait un petit peu de temps, et que j'avais besoin de retrouver une pratique plus personnelle, j'ai commencé une activité de photographe et de musicien. Et puis, petit à petit, la musique a commencé à prendre de plus en plus de place. Et là, je travaille sur ce projet d’album depuis deux ans. Les choses se sont précisées grâce à des concours – ce qu'on appelle encore des radio crochets – sur France Inter et Europe 1. Les Inouïs du Printemps de Bourges ont mis aussi un peu de lumière sur le projet. A ce moment-là, on a fait plein de rencontres dans le milieu, et on a précisé les choses.
TÊTU : Tu parles de rencontres, quelles sont tes influences musicales et artistiques en général ?
Je confonds souvent ce que j'écoute et ce qu'on pourrait appeler des références. J'ai du mal à me rendre compte de ce qui a pu m'inspirer ou me donner envie, dans le sens où j'ai des oreilles assez larges, j'écoute vraiment plein de choses. Ça peut aller du rap, à la musique concrète, au jazz… J'ai eu plein de périodes un peu différentes. Après, le vrai nerf de ce que j'écoute, c'est la pop indé. Je suis un gros gros fan de James Blake, de Tame Impala, des Grizzly Bear, de Phoenix... Ce genre de groupes qui proposent une pop large, mais exigeante et intelligente. Et si je dois dé-zoomer et citer une vraie référence ancienne, je dirais Björk et Radiohead. Pour moi, ils synthétisent ça : un vrai univers, un vrai renouvellement à chaque album, et ce truc mainstream mais pour autant super recherché, super travaillé, super particulier. Des propositions fortes. C'est vraiment des artistes qui m'ont marqué quand j'avais entre 15 et 20 ans.
TÊTU : Aujourd'hui comment tu définirais ton style musical ?
Pour moi, c'est de la pop. Et j'avais trouvé cette petite formule de « pop en VF », parce que ça me parait souvent inconciliable. Il y a plein d'exemples en France de pop à la française, mais c'est vrai qu’a priori, c'est quelque chose de plus anglo-saxon. Et l'idée pour moi c'est d'aller chercher ces sonorités d'outre-Manche – anglaises, américaines, en tout cas anglo-saxonnes – et d'y greffer un chant français. Moi par contre, j'ai toujours écrit en français, j'ai jamais hésité. Depuis dix ou sept ans que j'essaie de faire des trucs sur le son, ça a toujours été en français.
TÊTU : Ce n’est pas difficile pour t'exporter à l'étranger ?
Peut-être. J'ai pas du tout eu cette réflexion. Sincèrement, j'ai jamais vu plus loin que le bout de mon nez. Je ne pensais même pas sortir un album un jour, donc tout ça, c’est une belle surprise. J'ai un rapport aux choses un peu spontanée, un peu sauvage. Je suis complètement autodidacte, et j'ai peut-être cet esprit frondeur où j'y vais, je fonce. Il y a une réflexion artistique, mais pas sur la stratégie ou sur le marketing. Je navigue un peu à vue.
TÊTU : Les médias ont tendance à t'inscrire dans une lignée d'artistes comme Benjamin Biolay, comme Bashung. Qu'est-ce que tu en penses ?
C'est très flatteur. C'est même parfois un petit peu gênant parce que je n'ai qu'un album, et je le sors de nulle part. Je n'écoute pas beaucoup de chanson française, mais ces gens-là font partie d'un véritable panthéon. Ce sont des artistes que j'ai écouté chez mes parents, et que j'ai plaisir à écouter dans certaines conditions. C'est pas ce que j'écoute dans le métro, mais ce sont des monuments de la chanson. Et c'est assez dingue d'avoir ce genre de comparaison. Après, ça peut être parfois un petit peu chiant, dans le sens où les gens ont vraiment tendance à te mettre dans des cases. J'ai l'impression que ça rasure face à la peur de l'inconnu. Et moi je ne fais pas partie de cette génération-là a priori, et j'ose espérer que ma proposition correspond à mon époque. J'essaie de proposer une chanson de mon temps, une chanson actuelle. Ce qui ne veut pas dire que leurs propositions sont datées. Mais je ne me préoccupe pas trop de ce qui a été fait, de ce qui sera fait. Mais voilà, c'est à double tranchant. C'est incroyable de s'inscrire dans cette lignée, j’en reviens pas trop. Après je ne me pose pas trop de questions. J'ai vachement de mal à me placer sur l'échiquier de la musique en France. C'est une pop-hybride, un peu spé, potentiellement mainstream... donc je laisse les gens placer des étiquettes, et voir dans quel bac à la Fnac on me range.
TÊTU : En parlant de tes titres, tu as déjà sorti un EP qui s'appelle Eclipse, un autre Ivoire. Le 11 mars tu a sorti Intérieur Nuit. Qu'est-ce que t'attire dans ce jeu de clair-obscur?
Le clair-obscur ça me résume assez oui. J'aime beaucoup la notion de clair-obscur, parce qu'on ne sait jamais si c'est si sombre que ça, ou si lumineux. J'aime bien les paradoxes, j'aime bien les contrastes. Je pense que ce sont des notions qui me parlent et qui peuvent aussi révéler ma nature profonde et mon tempérament. Je navigue là-dessus. Moi je dis souvent que mes chansons ne sont pas sombres ou tristes, mais seulement elles ne sont pas légères. Je pars tout le temps d'un matériau qui me percute. J'ai besoin d'être impacté, d'être ému par une source d'inspiration. Ça peut être un livre, un film, quelque chose qui m'arrive, quelque chose qui arrive à des gens autour de moi, à des membres de ma famille, des choses comme ça. Et je prends ce matériau, je le fictionne... J'ai besoin d'être percuté par...comment dire...cette étincelle.
TÊTU : Tu abordes beaucoup de sujets dans tes chansons. Est-ce que tu as une opinion par rapport aux questions LGBT ?
Franchement, je n’ai pas à proprement parler d’opinion. J’estime simplement que chacun fait ce qu’il veut . Et dans ce sens-là, moi j'ai envie de pouvoir faire ce que je veux aussi. La liberté d'opinion et de choix est pour moi essentielle dans cette société-là. Donc évidemment, j'ai trouvé complètement aberrant les dérives de cette « Manif pour tous ». Je ne conçois pas qu'on puisse être aussi con et fermé. Après voilà, j'ai pas d'opinion, je ne suis pas militant, mais évidemment ce débat m'a préoccupé. Et je n'ai pas compris en fait. Parce que pour moi, il n'y a pas de débat.
TÊTU : Parlons de ton film au titre éponyme d'Intérieur Nuit. Plutôt que de réaliser un clip par titre tu as préféré faire un moyen-métrage de 45 minutes pour raconter toutes tes musiques en une histoire. Pourquoi ce parti-pris ?
Alors en fait l'album a été enregistré cet été, il a été finalisé à la rentrée, et là s'est posée la question des visuels. On en avait déjà un peu en amont, mais ils ne me plaisaient plus. Que ce soit pour le livret ou pour la pochette, j'ai travaillé avec une amie photographe, Elise Toïdé, très talentueuse. On a passé une dizaine de jours dans Montreuil pour tenter d'illustrer chaque chanson par un visuel, et pour moi c'était comme les extrait d'un film que personne ne verrait jamais. Des sortes de captures d'écran que personne ne verrait jamais. La pochette de l’album aussi je l'ai voulu très cinématographique en jouant sur les bandes noires, parce que je viens de ce milieu. Dès l'écriture de mes chansons, j'ai l'impression d'écrire un scénario. J'ai les images en tête, j'ai déjà des idées de clip... L'image, le son et les mots sont indissociés, tout est un peu mélangé dans ma tête. Et donc dans l'élaboration de ce visuel, je me suis posé la question à un moment donné "Pourquoi ne pas aller beaucoup plus loin ?". Et comme j'ai reçu des propositions très décevantes, j'ai réagi. Je suis parti sur cette espèce de projet fou : illustrer tout l'album avec peu d'argent et peu de temps. Donc j'ai explosé la tracklist de l'album, j'ai changé l'ordre des chansons pour tenter de raconter une véritable histoire qui part d'un point A à un point B. Grosso modo sur l'album y a six ou sept chansons qui ont une thématique romantique sur l'histoire d'un couple, et donc j'ai imaginé la cavale ou plutôt l'épopée d'un couple, en onze chansons. À ce moment-là, j'ai rencontré un réalisateur avec qui j'ai co-écrit, Romain Winkler, qui travaille beaucoup avec Odezenne. Et avec lui, on a développé une trame narrative parallèle et annexe. Parce qu'on savait que ça allait être un film musical, donc tout ce qui se passe dans la tête des personnes, dans le cœur ou dans le ventre, est compliqué à illustrer en termes d'images. Donc on y a ajouté une intrigue afin d'avoir ces tenants et aboutissants, ces espèces de petites étincelles qui permettent les allers-retours incessants de ce couple qui s'aime follement, mais qui se sépare, qui se retrouve, qui se rapproche… Un coup il y a quelque chose de plus fort qu'eux qui les empêche de se retrouver, un élément perturbateur en permanence.
TÊTU : C'est ton histoire que tu racontes dans ce film ?
C'est relativement autobiographique. Après je "fictionne" toujours par pudeur car je suis un grand pudique. Mais il y a une trame personnelle. L'idée de ce film c'était vraiment de pousser l'idée "film", de ne pas avoir une collection de onze clips, comme tu disais. Et donc on a créé des interludes, on a réédité les chansons pour rendre le truc digeste, et ne pas avoir la sensation d'avoir un album qui passe par-dessus un film. Ça a été une sacrée aventure. On est parti huit ou dix jours en Géorgie, et en un mois et demi on a pondu un film de 48 minutes...ce qui semble infaisable en fait. C'était un bon rouleau compresseur. Mon album est très autobiographique, personnel, une sorte de mise à nue, d'introspection. Et je dis en ce moment que le film est une IRM, un scanner. Pour le coup on m'y voit en 3D parce que je joue dedans en plus. Et j'ai l'impression qu'on peut sonder mon âme là-dedans. Ça m'a fait très peur (rires).
TÊTU : Tu as tourné ce film en Géorgie. Avant ça tu avais tourné des vidéos en Suède. Ce sont là des décors qui t'apportent une émotion ?
Je pourrais ne vivre que pour le voyage. C'est la musique qui m'a sédentarisé un petit peu, parce que je devais rester sur place pour me rendre disponible. Après, tout ça, c’est un peu le fruit du hasard malgré tout. La Suède c'était pour retrouver un ami qui pouvait m'aider à réaliser ces vidéos. Donc on est partis avec un iPhone, et sur place, j'ai retrouvé un pote qui est pas réalisateur mais que j'appelle un "faiseur", quelqu'un qui est débrouillard et prêt à tout. Et avec un vélo et un téléphone, en trois jours, on a fait trois vidéos. Mais c'était plus qu'à l'arrache. C'était du "do it yourself" complet. Mais j'aime bien l'exotisme que l'étranger apporte. Peut-être que je ne vois plus Paris comme je devrais le voir parce que c'est commun, c'est mon quotidien. Même si j'aime bien cette ville. Mais c'est comme dans ma pratique photo, je ne prends pas beaucoup de photos à Paris et je suis beaucoup plus inspiré dès que je suis ailleurs. Et alors la Géorgie, c'était la suite logique de ce qu'on avait développé avec Elise en allant shooter ces images à Montreuil. Moi je cherchais quelque chose d'anglais, comme si on plaçait Brixton en Ukraine. Je voulais qu'on perde un peu nos repères d'époque et de lieu. Et la Géorgie a amené ça. Je suis assez fasciné par l'Est pour diverses raisons, et la Géorgie c'est ça : je ne sais pas quand je suis, je ne sais pas où je suis. Une perte de repère. Et j'aime assez cette notion visuelle. Que ça donne quelque chose d'intemporel et d'impalpable.
TÊTU : Pour finir, est-ce que tu aurais un petit mot pour des lecteurs qui ne connaissent pas encore ton univers artistique ?
Qu'est-ce que je peux leur dire... Osez, osez l'aventure. Je pense que c'est onze tableaux, onze petits films où je me raconte, en onze chansons. Donc allez-y pour vous faire des films dans vos têtes, comme quand on lit un roman, ou comme quand on écoute un disque.
Marvin Jouno sera en concert le 5 avril à la Flèche d’Or (Paris 20ème), et le 14 avril au Printemps de Bourges.
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Pour obtenir plus d’information sur Marvin Jouno :
http://www.marvinjouno.com/