TÊTU a interviewé le photographe des stars, Markus Klinko, qui expose en ce moment à la galerie ArtCube des portraits de David Bowie inédits…
Markus Klinko a côtoyé les plus grandes célébrités de la musique, du cinéma et de la mode. De ces rencontres sont nés des portraits intemporels, des pochettes d’album devenues iconiques, des couvertures des plus grands magazines aux allures d’œuvres d’art. Beyoncé, Lady Gaga, Naomi Campbell, Eva Mendes… toutes ont défilé derrière son objectif aiguisé, livrant l’unicité de chaque star. David Bowie également, fut l’une de ses muses. Une rencontre fortuite en 2001 amène les deux hommes à collaborer sur la pochette de l’album que David Jones, de son vrai nom, prépare alors : "Heathen". De cette collaboration éclot une amitié profonde qui durera plus de 15 ans. A la mort du chanteur en janvier, Markus Klinko consulte ses archives et redécouvre les clichés de ce shooting intimiste réalisé à l’aube des années 2000, dont la plupart n’ont jamais été dévoilées.
Ainsi a vu le jour l’exposition « David Bowie Unseen by Markus Klinko », qui après avoir émerveillé le public de Los Angeles, Miami et Bâle pose ses valises à Paris à la galerie ArtCube, en partenariat avec le magazine PHOTO. L’exposition mêle les photographies inédites de David Bowie, mais aussi les autres, plus célèbres, qui ont participé à façonner l’idole. Une manière de redécouvrir l’homme aux multiples facettes, dont la silhouette longiligne découpe le décor New-Yorkais. Une véritable fenêtre ouverte aussi, sur quelques séquences de la vie de cet artiste éternel. TÊTU a souhaité interviewer celui qui avait immortalisé ces instants, pour qu’il nous raconte son David Bowie à lui.
Merci Markus de nous accorder cette interview. Encore une fois vous livrez le portrait d’une grande star de la musique !
Oui c’est vrai que j’ai eu beaucoup de succès avec les musiciens. Beyoncé, Lady Gaga, Mariah Carey… Evidemment, David Bowie je suis particulièrement proche de ce sujet car non seulement j’ai travaillé avec lui pendant très longtemps dès 2001 – ces photos dans l’expo David Bowie Unseen sont toutes de 2001 – mais j’ai également travaillé avec lui en 2013, à nouveau, quand j’ai fait sa vidéo pour le titre « Valentine’s Day ». Et j’ai surtout énormément travaillé avec sa femme Iman, la top model. C’est au travers d’elle que j’ai rencontré David Bowie. Mes collaborations avec Iman sont particulièrement intenses, sur plus de quinze ans. Et je viens aussi de travailler avec elle pour le Vanity Fair italien, quand elle a eu ses soixante ans l’année dernière. C’est presque un travail avec toute la famille.
Est-ce que vous pouvez nous raconter cette rencontre avec David Bowie ?
C’était inattendu parce que je travaillais avec Iman pour la couverture de son livre I am Iman. Elle m’avait contacté en été 2001 pour faire cette couverture. Déjà ça c’était une surprise ! Et au moment d’une séance de post-production, une séance de choix d’images, elle est arrivée dans mon studio à Soho à New York avec David Bowie. Je ne m’attendais pas à ça ! Il l’a aidé à choisir les photos pour la couverture de son livre. C’est à ce moment-là que David m’a parlé d’un nouvel album sur lequel il était en train de travailler, et il m’a demandé si j’avais envie de faire la couverture de l’album Heathen. Evidemment, moi je tombais par terre. J’étais vraiment très très très heureux parce que c’était tout au début de ma carrière de photographe, disons vraiment dans les premières années de ma carrière. Et d’autant plus qu’à cette époque-là, je ne travaillais pas beaucoup avec les célébrités. C’était surtout des travaux de mode avec les mannequins, des clients de mode, des magazines de mode… Donc c’est David Bowie la première célébrité top niveau qui m’a demandé de faire ce shooting pour son album.
Entre temps, juste après cette rencontre, il y a eu les évènements tragiques du 11 septembre. Donc ça a mis une pause et moi je n’y croyais même plus, je pensais que c’était quelque chose qu’il avait dit comme ça. Mais quelques semaines après le 11 septembre, le téléphone a sonné, et c’est lui qui me rappelait personnellement et qui me demandait de passer toute de suite à son studio d’enregistrement à Soho, à 300 mètre de mon studio de photo. Il m’a demandé de passer le plus vite possible pour écouter la musique qui n’était pas encore terminée, c’est-à-dire l’enregistrement un peu brut de l’album. Donc je me suis rendu à son studio le lendemain et c’est là que j’ai eu ma première vraie rencontre avec lui et avec le projet. Il y avait son producteur Tony Visconti avec lui qui jouait les enregistrements pour moi pendant que David était assis à la fenêtre et fumait des cigarettes. Et c’était dans une atmosphère très sombre déjà car New York, après les attentats, c’était un peu une ambiance de fin du monde. Et David, très beau comme il est, avec ses cigarettes et tout ça, ça m’avait énormément impressionné. Le lendemain il venait dans mon studio, on a parlé encore plus, et il m’avait apporté des inspirations de photos en noir et blanc.
Ce qui était très spécial en fait c’est que moi, à l’époque, je ne faisais absolument pas de photos en noir et blanc, ni des photos d’hommes, car je me spécialisais complètement sur les mannequins féminins. Et en plus une célébrité énorme. C’était quelqu’un qui avait vraiment confiance en son propre jugement. Alors que dans le milieu de la mode et des célébrités, les gens se suivent un peu, il y a peu de personnes uniques dans leur décision, qui ne soient pas des moutons. Et David Bowie avait une vision sur ses photos. Pour moi c’était stressant parce que ça n’était pas ma spécialité les photos en noir et blanc mais en fait il avait raison, c’était quelque chose qui m’était très proche. Et aujourd’hui, je fais souvent des photos en noir et blanc.
Donc j’ai préparé la session très vite car il était très pressé et très excité, et au bout de 48h on était prêts pour la séance. C’était une séance extrêmement riche puisqu’on a fait les photos pour la couverture, pour l’ensemble de l’album, aussi des photos de presse et énormément de photos qui n’ont pas été utilisées à l’époque pour la sortir de l’album au printemps 2002.
Et donc après la mort de David en janvier, j’ai décidé de revisiter les archives, et à ma grande surprise j’ai trouvé des chefs d’œuvres, donc qui forment l’ensemble de l’expo à ArtCube. Mais pas que à ArtCube car l’expo c’est le tour du monde ! Il y a déjà eu des ouvertures à Miami, ensuite à Bâle en Suisse, puis à Los Angeles et maintenant à Paris. Le 8 juillet ça ouvre à Tokyo, ensuite Londres, Tokyo… Donc c’est vraiment la découverte de celles qui n’ont jamais été vues qui pour moi est intéressante. Il y a aussi des photos connues, comme les sujets avec les loups de la série pour GQ et les photos de l’album.
Ce qui est extraordinaire dans cette session, c’est que presque chaque photo est merveilleuse parce que David Bowie était extrêmement photogénique, extrêmement intelligent, et ce qui est particulièrement intéressant avec lui c’est que c’est un génie de la musique, mais aussi un expert dans l’art, dans la photographie, dans la post-production, dans le potentiel des ordinateurs… Il connaissait vraiment tous les domaines, il n’est pas que musicien. De travailler avec lui c’était un plaisir car c’était vraiment un professionnel. Il avait des bonnes idées et il était très réceptif à mes idées, ce qui est rare ! On a vraiment eu l’opportunité de prévoir ce qu’on va faire, mais aussi d’improviser. Et je crois que dans ces photos, quand on regarde par exemple les images avec les télescopes, on voit que c'étaient complètement improvisé. Tout ça se passait en quelques secondes, trois minutes, et le résultat sont des photos magnifiques.
Est-ce que cette exposition peut être vue comme un hommage à cet artiste ?
Absolument, c’est absolument un hommage à cet artiste. D’autant plus que j’ai fait un partenariat avec un œuvre de charité très importante de concerts aux Etats-Unis : Gabriel Angles Foundation for Cancer Reseach. Et les expositions mondiales sont liées directement ou indirectement à ma collaboration de charité de concert : une partie des revenus des ventes de ces tirages sera reversée à la recherche contre le cancer. Ça c’est très très important.
L’année dernière, la Philharmonie de Paris proposait l’exposition "Bowie Is" explorant les différents alter-égo de David Bowie. Dans votre exposition vous nous offrez quel David Bowie ?
C’est David Bowie le Humphrey Bogart. Il est très élégant, il est très beau, pas super jeune, c’est le David Bowie un peu mature, mais encore très très beau, très élégant, très mode. Avec cette image un peu hollywoodienne des années 1940. On n’avait pas vraiment essayé de faire ça mais le résultat avec les cigarettes, les costumes très style année 1940... C’est ce David Bowie sérieux, good looking. C’est pas le David Bowie des années 1970 avec le maquillage, avec Ziggy Stardust… c’est plutôt un David Bowie intellectuel, séducteur aussi, mais aussi très sérieux. Car le concept d’Heathen, c’est l’homme qui a perdu la croyance : il ne croit plus en dieu, il ne croit plus dans les choses établies mais il cherche la vérité. Donc quand même très sérieux dans son approche.
Quelle serait votre image fétiche parmi cette exposition ?
Ma préférée je crois que c’est l’image que j’ai appelé "Méditation" où il est à genou. L’image est presque un peu japonaise. Il est à genou, très relax, comme s’il méditait… C’est une image en noir et blanc, et j’aime énormément cette image car c’est le seul cliché dans cette position. C’était même pas une pose qu’il avait prise, c’était entre deux poses. C’était un passage. Et j’ai eu juste l’occasion de prendre une seule photo, et je l’adore car je la trouve très improvisée. Ce n’est pas du tout une célébrité qui pose mais vraiment un moment comme ça. Je me rappelle, la plupart de la session se faisait avec la caméra sur le trépied, mais là j’avais la caméra en main et j’ai juste pris un cliché. Pour moi il représente vraiment une mémoire parfaite de David Bowie. Il y en a aussi une où il est sur les escaliers avec une lumière très blanche derrière lui, et c’est la seule où il rigole. C’est pas un vrai rire, c’est un peu diabolique… J’adore cette image.
J’aime beaucoup ces images qui ne sont qu’un mouvement, un geste. Ça me paraît plus moderne. C’est étonnant que des photos prises il y a 15 ans ne semblent pas anciennes mais très très modernes, très actuelles. C’est ce qui me rend très fier sur ces photos et ce pourquoi je suis très content. Il y a beaucoup de photos de célébrités qui sont très datées des années 1950 ou 1970, mais je trouve que ces photos inédites paraissent vraiment intemporelles.
Vous qui avez étudié et travaillé à Paris, ça représente quelque chose pour vous d'exposer ici ?
Bien-sûr, bien-sûr, je me considère presque parisien bien que je ne sois pas né en France, mais j’ai des racines françaises. J’ai vécu à Paris pendant plus de 10 ans, j’ai fait mes études au Conservatoire National Supérieur de Paris et j’ai aussi signé mon propre premier contrat chez EMI Classics qui est devenu Virgin Classics à Paris. J’étais donc concertiste, artiste, dans la première partie de ma vie. Et il y a 22 ans, j’ai eu un problème de main qui m’a motivé à devenir photographe de mode, en 1994. Juste après avoir reçu le Grand Prix du Disque à Paris pour mon enregistrement à l’opéra Bastille. J’ai décidé sur un coup de tête de devenir photographe, et j’ai appris moi-même à New-York puis à Paris à nouveau en 1995. Pendant une année j’ai habité paris, où j’ai fait mes premiers pas de photographe. Depuis je viens à Paris très souvent, parce que c’est la capitale de la photo de mode, capitale de la photo d’art… Je dirais que Los Angeles, New York et Paris sont mes trois bases artistiques.
Qu’est-ce que vous aimeriez que les spectateurs ressentent en parcourant votre exposition ?
Qu’ils soient inspirés autant que moi j’étais inspiré par Bowie. Qu’ils voient qu’un artiste peut être sans limites. Un artiste peut être aussi bien un chanteur, un acteur, un compositeur, un peintre, un écrivain, un inventeur… que les domaines, musique, art, cinéma, se croisent et qu’il faut pas se limiter. C’est donc une inspiration pure, très forte, très positive. Pour moi David Bowie était quelqu’un d’extrêmement positif. Qui vous donnait des ailes.
Moi-même je n’aime pas être catégoriser. Je suis connu pour faire des grandes productions, des photos très colorées, très nettes, très glamour. Si demain j’ai envie de faire des photos floues, plus street, plus jeunes… Je veux avoir cette possibilité. Quelqu’un comme David Bowie m’aurait laissé faire. La liberté le choix artistique.
C’est ce que vous aimeriez faire pour vos prochains projets ? Partir dans une direction différente ?
Peut-être oui. Je travaille maintenant avec ma nouvelle partenaire qui s’appelle Koala. Nous sommes un nouveau duo depuis trois ans. Nous faisons des photos de mode beaucoup plus jeunes, beaucoup plus street. On continue de travailler avec des célébrités ou des mannequins. Là on a un très beau projet avec Kesha qui est d’ailleurs venue à l’ouverture de l’exposition David Bowie "Unseen" à Los Angeles. On va faire une série de photos, des nus, une vidéo…
Les photos que je fais actuellement sont plus relax, plus improvisées. Je crois que ma photo la plus connue c’est celle de Beyoncé en 2003 pour son album Dangerously in Love. Une photo très glamour avec des diamants sur sa poitrine, tout ça. J’adore cette photo mais en même temps ça c’est mon passé. Maintenant j’ai envie de faire des nus, des photos un peu floues, un nouveau style. Je veux avoir cette liberté, avoir l’esprit ouvert et laisser couler l’inspiration. C’est une année assez spéciale. Non seulement nous avons perdu David Bowie, mais aussi Prince, Mohammed Ali… Beaucoup de grosses pop culture idoles qui viennent de nous quitter. Et donc je suis très excité à l’idée de collaborer avec Kesha car elle est une artiste extrêmement douée, très créative, et qui vient de faire ses preuves lors des Billbaord Awards où elle a extrêmement bien chanté Bob Dylan. Et en même temps c’est une artiste qui étonne. C’est un projet très excitant.
Fort de son succès et de l’enthousiasme du public, l’exposition se poursuivra jusqu’à fin août à la galerie ArtCube, au 9 rue de Furstemberg, Paris 6ème arrondissement.
Pour en savoir plus :
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