Alors que la Marche des fiertés de Paris aura lieu demain, cortèges radicaux, Pink Blocs et prides alternatives font ou refont surface en France et à l’étranger. Un nouveau vent est-il en train de souffler sur le militantisme ?
Le 24 janvier 2016, un appel à manifester à Paris au sein d’un Pink Bloc avait été diffusé largement sur internet et les réseaux sociaux dans le cadre de la manifestation du 30 janvier contre le renouvellement de l’état d’urgence, la déchéance de nationalité, l’arrestation et l’assignation à résidence d’activistes engagé.e.s dans différentes luttes sociales ou environnementales.
Quelques jours plus tard au sein d’un cortège très pink qui s’ajoutait à une marche constituée de différentes associations, plus d’une centaine de personnes se retrouvèrent donc au sein de ce nouveau bloc pour y chanter et brandir des pancartes telles que « Queers contre les Tirs », « Féministes en colère, ouvrez les frontières » ou encore « L’état d’urgence pour cacher des tas d’urgences ».
Ce cortège invitait non seulement les LGBT+ à se montrer solidaires de minorités subissant de plein fouet les discriminations post-attentat mais également à faire sortir du placard une politique qui, selon ses organisateurs/trices, continuait d’encourager une violence symbolique et physique en France et à l’étranger.
Désormais présent à chaque mobilisation contre la loi Travail, mais aussi contre les rejetons de la Manif pour Tous, ce mouvement s’inscrit dans une tradition protestataire qui fait des stratégies, des codes et de la visibilité queer une présence essentielle au sein de luttes qui ne sont a priori pas directement liées à ses propres enjeux.
Pink bloc ou la stratégie militante renouvelée
De fait, si le principe de convergence des luttes n’est pas nouveau et mériterait que l’on s’y attarde, la tactique du Pink Bloc est en revanche née en 2000 lors d’un sommet à Prague contre le FMI et la Banque Mondiale, lorsqu’un cortège de queers et de féministes se constitua aux côtés de blacks blocs plus radicaux pour critiquer ouvertement le système politique et économique, tout en cherchant à développer des moyens tactiques pour échapper à la traditionnelle violence policière dans un contexte extrêmement tendu.
Puisant dans un répertoire varié notamment issu de sa propre histoire, les tactiques du Pink Bloc font de l’ironie et de l’humour décalé des maîtres-mots dans l’élaboration des slogans ; slogans qu’il était d’ailleurs encore possible d’entendre à la Pride de Nuit ce mardi. Ils cultivent le détournement et l’hyper-sexualisation parodique, élaborent des phrases chocs. De même, une esthétique aux couleurs et contrastes criant s’est faite jour (comme c’était d’ailleurs le cas en 2015 avec ce collectif queer éphémère contre la guerre et les morts en Syrie que fut Non à la guerre du Mâle qui prit position en recouvrant les murs parisiens d’affiches humoristiques).
Plus encore, ils convoquent parfois déguisements, travestissements, danse et musique (les orchestres et batucadas par exemple). Le but étant d’élaborer une énergie pink bien particulière et différente de celles des blacks blocs (cortèges considérés comme les plus violents) que l’on retrouve souvent en manifestation.
« Il y a un lien historique avec la lutte contre le sida, nos stratégies sont liées non seulement à l’histoire de nos mouvements, à nos identités et à nos façons de mener nos vies, à des angles de vue qui sont décalées du fait de nos identités systématiquement minorisées. De même, il y a évidemment un lien aussi avec les mouvements féministes mais aussi avec les mouvements des noirs américains à qui l’on doit beaucoup sur nos modes d’expression » expliquait ainsi la porte-parole de la Pride de Nuit, Gwen Fauchois, dans nos pages.
Des initiatives similaires en France et ailleurs
On les retrouve un peu partout en Europe. Notamment en Allemagne dans les luttes environnementales, ils étaient par exemple nombreux.s.e.s dans le cadre d’une action internationale de désobéissance civile à participer au blocage de la production d’une mine à ciel ouvert et à l’occupation d’une centrale à charbon extrêmement polluante dans la région du Brandebourg.
C’est aussi le cas en Angleterre. Profondément marqués par le succès du film Pride, traitant du soutien de la communauté LGBT+ envers des mineurs pendant les années Thatcher, de nouveaux groupes dont Lesbians and Gays support the Migrants ou LGBT+ against Islamophobia ont commencé à faire de la créativité LGBT+ une force à part entière dans la lutte pour la justice sociale et la défense des minorités, quitte à crisper parfois certains LGBT+ qui ne comprennent pas l’intérêt de s’occuper de ce qui ne les touche a priori pas directement. Il était par ailleurs possible de les retrouver au sein d’un bloc plus radical près des syndicats lors de la grande Pride londonienne du week-end dernier mais aussi dans des actions à Calais.
LGBT+ et féministes militant contre l’islamophobie, le racisme, en soutien à leur propre communauté, aux travailleurs/ses du sexe, mais aussi aux réfugié.e.s, en faveur de l’écologie ou critiquant ouvertement le gouvernement, la militarisation ou la commercialisation des marches officielles, ces nouvelles dynamiques s’inscrivent toutes dans une critique plus globale, plus systémique et revendiquent une véritable re-politisation des espaces et de la communauté elle-même. C’est cette approche que l’on retrouve d’ailleurs au sein des initiatives comme celles de la Pride de Nuit ou encore du Cortège Radical qui sera dans la marche des Fiertés pour la première fois cette année. Ses organisatrices/eurs et participant.e.s ne se retrouvent pas dans la militance actuelle, souvent perçue comme trop passive vis-à-vis des politiques gouvernementales, mais également comme trop fermée sur ses propres luttes sans chercher à prendre la pleine mesure du système qui génère véritablement les discriminations et les inégalités.
Drainer les énergies fondatrices et périphériques
C’est ce qu’explique notamment Agathe, l’une des organisatrices du Cortège Radical pour qui, re-politiser l’espace historique de la marche se fait non seulement par la construction d’une vision faisant « le lien avec les différentes oppressions » mais également en faisant attention à « ne pas noyer le message », « Il est malgré tout toujours important de pouvoir ré-articuler les revendications politiques à nos propres identités, à la diversité de nos propres enjeux». Selon elle, l’émergence de ce genre d’initiatives est notamment due à l’accroissement des tensions sociales et à l’absence d’espace suffisamment revendicatif, notamment au sein de la marche officielle.
Revenir aux racines historiques et protestataires de la marche tout en conservant une énergie proprement queer, tel semble être l’un des mots d’ordre pour le futur de ces mouvements qui voient néanmoins plus loin et plus grand.
« Il faut qu’on se développe encore et que l’on puisse rassembler ces diverses énergies, nous avons encore parfois tendance à nous autocensurer ensemble, ce qui était moins le cas avant » soulignait d'ailleurs Gwen Fauchois avant de poursuivre :
Par ailleurs, beaucoup de militants de la génération des années 80 et 90, beaucoup de personnes, d’imaginations et de ressources ne sont plus là. Il est essentiel que la nouvelle génération prenne le relais. La force c’est elle.