Vladimir PoutineSelon la déléguée des Droits de l'Homme, point d'homophobie en Russie

Par Julie Baret le 05/09/2016
Russie déléguée des droits de l'homme homophobie tatiana moskalkova

Dans une interview, la nouvelle déléguée des Droits de l'Homme en Russie nie toute homophobie d'Etat. Pire que de la langue de bois, ses réponses frôlent la provocation.

Novaïa Gazeta : Ce travail de déléguée aux Droits de l’Homme relève d’une sphère totalement nouvelle pour vous. Comment vous sentez-vous ?
Tatiana Moskalkova : À question rhétorique, réponse bête : c’est dur.

L'entretien commence mal.  Du côté de l'interviewée, il y a Tatiana Moskalkova, figure politique de "Russie juste", un parti pro-gouvernemental. A 61 ans, cette ancienne générale-major de la police russe est depuis le mois d'avril la nouvelle déléguée aux Droits de l'Homme de la Douma fédérale - l'équivalent russe de l'Assemblée nationale - auprès de Vladimir Poutine. Dans une voiture la menant à un forum, elle a rencontré Pavel Kanyguine du journal contestataire Novaïa Gazeta pour se prêter à une interview traduite vendredi par Le Courrier de Russie. Pourtant, le journaliste confie d'emblée que les propos de la déléguée "sonn(ent) faux". En effet, bien que Tatiana Moskalkova admette que des "violations [des Droits de l'Homme en Russie] surviennent dans la sphère sociale mais aussi dans la sphère juridiques" et "dans les tribunaux", l'ancienne policière se targue du "progrès indéniable !" qui a été réalisé au regard des relations entre la société et l'Etat.

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Tatiana Moskalkova - crédit photo belsat.eu

Et soudain, la loi contre la "propagande de l'homosexualité" disparut

Au journaliste de Novaïa Gazeta de souligner que pourtant, le régime russe a adopté des lois très controversées ces dernières années, alors même que Tatiana Moskalkova était députée à la Douma fédérale. Parmi elles, Pavel Kanyguine cite la loi discriminatoire à l'égard des personnes LGBT basée sur "l'interdiction de propagande homosexuelle".

La propagande de l'homosexualité ? Nous n'avons pas de loi de ce genre. Peut-être voulez-vous parler de celle qui interdit la pornographie enfantine ?

Alors non, bien-sûr, Tatiana Moskalkova, ancienne députée, ne voit pas du tout de quoi ce journaliste peut bien lui parler. Pourtant, la loi contre la "propagande homosexuelle", de son vrai nom la loi « contre la propagande des relations non-traditionnelles auprès des mineurs », a été adoptée à l'unanimité par la Douma fédérale et ratifiée en 2013 par Vladimir Poutine. Sous couvert de protection de la jeunesse, cette législation réprime tout individu ouvertement homosexuel. Une homophobie d'Etat qui, en plus de traîner en prison des couples gays qui se seraient tenus la main en public, confortent les violences proférées contre les personnes LGBT dans le pays.

"Personne ne persécute le mouvement LGBT"

Mais cela semble n'avoir rien de "concret" pour Tatiana Moskalkova :

Tatiana Moskalkova : Parlons plutôt concrètement, si vous êtes d’accord. Si vous voulez aborder la question des minorités sexuelles, vous devez admettre vous-même que de 2012 à aujourd’hui, elles n’ont absolument pas été lésées dans leurs droits. Elles n’ont pas cessé d’exister, on ne les a aucunement empêchées d’agir. Citez-moi des exemples concrets de restrictions dont elles auraient été victimes, et alors nous parlerons, vous et moi.
Novaïa Gazeta : Dans l’expression de leur mode de vie, dans leurs droits familiaux, dans leur droit à se qualifier de membres à part entière de la société…
Tatiana Moskalkova : C’est faux ! Donnez-moi des exemples concrets d’atteintes aux droits humains. Peut-être que vous avez raison et que certains processus liés à l’application de la loi ont échappé à mon champ de vision… (...) Le mouvement LGBT existe et organise des manifestations, personne ne les persécute.

Une affirmation contestée par Novaïa Gazeta grâce à la vidéo d'un défilé pacifique à Saint-Petersbourg le 1er mai dernier, et durant lequel un drapeau arc-en-ciel géant est replié de force par la police.
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"De mon côté, je n'ai pas reçu une seule plainte"

Et pourtant, la diatribe de Tatiana Moskalkova continue...

Novaïa Gazeta : En d’autres termes, vous êtes prête à défendre les droits des minorités sexuelles, ces personnes peuvent compter sur votre soutien et votre aide ?
Tatiana Moskalkova : Si leurs droits ne sont pas respectés, je prendrai évidemment toutes les mesures nécessaires pour prévenir ces violations. Mais connaissez-vous des cas précis d’individus ayant été privés du droit à l’éducation, ayant été renvoyés de leur travail ou refusés à l’entrée d’une université pour signe d’appartenance aux LGBT ?
Novaïa Gazeta : De tels cas sont légion, Tatiana Nikolaevna !
Tatiana Moskalkova : De mon côté, en tout cas, je n’ai pas reçu une seule plainte concernant une telle situation depuis que je suis déléguée aux Droits de l’Homme. Et je vous assure que c’est la vérité.

Tatiana Moskalkova prend même la peine de préciser qu'elle n'est pas "partisane du développement des relations homosexuelles" mais des "relations traditionnelles" et que ces questions relèvent d'une "sphère sensible".

Imprécisions et tentatives de pression contre le journal

A la suite de l'entretien, celle qui vient d'être nommée médiateur des Droits de l'Homme a d'ailleurs besoin de l'aide du journaliste pour nommer le Groupe Helsinki de Moscou et Mémorial ("ça commence par un M...") qui sont pourtant les deux plus anciennes organisations de défense des Droits de l'Homme en Russie. Plus tard, elle nie l'existence des prisonniers politiques en expliquant que le terme ne "correspond pas au système judiciaire russe" et que ces individus ont été "emprisonnés pour des délits prévus par loi. Tatiana Moskalkova finit même par rabrouer le journaliste de Novaïa Gazeta car son "regard est déséquilibré" et "orienté" :

Tu ne m’interroges que sur les LGBT et les prisonniers politiques ! Crois-tu vraiment que ce soit les questions les plus sensibles pour la Russie d’aujourd’hui ? Vous vous focalisez sur un seule zone des relations entre la société et l’État, et très petite.

Fichu hors de la voiture après 33 minutes d'entretien, Pavel Kanyguine fait également état des "pressions exercées en privé sur la rédaction" pour empêcher la publication de l'interview. Une attitude plus qu'inquiétante de la part de celle qui précise qu'étant le "médiateur pour les Droits de l'Homme", elle "est peut-être le premier défenseur des Droits de l'Homme" du pays.
L'an dernier, le photographe Mads Nissen consacrait une série de clichés criants sur l'homophobie en Russie. L'un d'entre eux a remporté le prestigieux prix World Press Photo 2015 :

Pour en savoir plus :

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Crédit photo couverture : Mads Nissen