Sur les applis de rencontre, les “Pas de gros, pas de folles, pas d'asiat” font légion. D’où vient cette aversion pour les minorités au sein de la communauté gay ?
Une histoire de la grossophobie
Dans son livre Les métamorphoses du gras. Histoire de l'obésité, Georges Vigarello analysait notre rapport aux corps gros. Si le gras a longtemps été signe de richesse - les anatomies massives étaient appréciées au Moyen-âge – il n’est plus que dépréciation, signe d’abandon ou de grossièreté depuis le XVIIe siècle. Avec l’essor du développement économique du monde moderne, l’enveloppement est venu s’opposer à une certaine exigence d'efficacité du corps, un désir de jouissance à l’opposé du capitalisme. La cellulite révèle aussi la sédentarité des villes devenues ouvrières. Étymologiquement et historiquement, la cellulite est apparentée au sexuel et au féminin. Cette haine du gras semble donc entretenue par une haine du féminin dans la société. Elle pose en tout cas la question de notre regard sur les corps gros, qui varie selon les sujets. Par exemple la chair des corps noirs, de la Vénus Hottentote à Nicki Minaj, est plus souvent socialement valorisée. Un reste de notre histoire coloniale, fantasme oscillant entre désirs sexuel et maternel de corps exotisés ?
Du rejet dans les minorités
Depuis toujours les rondeurs ont leurs adeptes, leurs fiers représentants, leurs idoles, mais depuis longtemps aussi beaucoup de haters. Qu’en est-il donc dans la communauté gay ? La remise en question des normes permet-elle aux gros de mieux s’assumer ou l'acceptation y est-elle à l’image de la société toute entière ?
Sur les réseaux de rencontres, une étude a démontré qu’un tiers des gays avaient été victimes de discriminations liées au poids, même lorsqu’ils n’étaient pas considérés comme en surpoids par les normes officielles. De même qu’un homo bien en chair dans un bar serait davantage ignoré, moqué ou traité avec rudesse qu’un hétéro de la même corpulence.
Club, salle de sport, réseaux sociaux, bars : les occasions de subir du « body shaming » (ou attaque sur le physique) ne manquent pas. L’injonction à maigrir est assez forte. Qu’elle soit chez les femmes (lesbiennes ou non), les hétéros ou les gays.
Nicolas Maalouly, artiste plasticien et figure imposante de la nuit parisienne raconte :
Un jour on se rend compte qu’on plait avec notre corps, et pas ‘’malgré’ notre corps. Mais les gens te le rappellent tout le temps que t’es gros, ils sont gênés par ta présence et se permettent des tas de choses : on vient te faire pouet-pouet sur les seins dans la rue, les gens te conseillent de pas porter de rayures pour t’affiner, on te traite de « gros pédé »...
"Gros pédé". Comme pour doubler l’insulte... Et dans le milieu gay ?
C'est difficile à l’âge où tu entres dans la sexualité, vers 18/20 ans. Après tu rencontres des gens... Pour moi ça a été le Bear's den, un bar et son patron, qui m'ont aidé.
Ceux qui donnent confiance en soi, te regardent avec bienveillance, voire désir. Il y a même des sites spéciaux pour se draguer entre ours et chasseurs (Growler, Scruff, Bearwww…), mais même là parfois, on te dit « pas de poilus »... Heureusement, il existe aussi des lieux, des soirées, des événements in real life…
En fait on a l’impression de pas plaire… mais il faut juste aller vers les gens qui t’aiment. Il faut aussi parfois que ça vienne de toi : je ne permets pas trop aux gens qu’on me le reproche, d'être gros… Il ne faut pas se boycotter soi-même… J’avais la taille mannequin parfaite pour un défilé de Walter Van Beirendonck, je me suis même présenté à l’élection de Mister Bear, oui, un concours de beauté !
Gay, folle et grosse
La culture gay est parfois une « culture du cliché », avec des représentations d’une masculinité hégémonique un peu rébarbative. Les homosexuels ont été souvent dévalorisés et associés à la passivité et à la féminité. La revendication d’une virilité « healthy » et en contrôle de son corps vient contrebalancer des enfances traumatisées. On retrouve d’ailleurs, dans les études scientifiques, des dépenses excessives pour les soins apportés au corps et au sport, mais aussi une surreprésentation de cas de désordres alimentaires.
Heureusement, le mouvement queer ou militant, les personnes qui se disent sapiosexuelles (ceux qui s’en foutent du physique et se basent davantage sur l’intellect), comme l’afFIERCEmation de certaines personnes qui n’ont ni honte de leurs corps, ni de leurs orientations sexuelles, tend à faire évoluer nos rapports aux autres.
Le mouvement drag a su incorporer des corps variés, mais dans une perspective de spectacle, toujours un peu plus folle : le corps large est mieux accepté s’il se rapproche de la féminité. Quel rapport ? Si on peut mettre en cause l’explication scientifique (le trop plein d’œstrogène développe le gras sur le ventre, les seins, etc.), c’est aussi l’image d'une personnalité « maternelle », enveloppante, qui rassure, en contradiction avec l’image d’une masculinité agressive, sculptée, dominante… On devine une misogynie latente qui considère que le gras est la conséquence d’un laisser-aller qu’on associe à la faiblesse, à la passivité, et donc à la féminité.
Être gros, c’est être considéré à la fois comme faible et féminin : voilà pourquoi on retrouve souvent la double-mention « No fat / No fem » - et même « No asian », car les Asiatiques ont souvent une construction culturelle différente de la virilité. C'est tout ce qui échappe au masculin caricatural. Kim Chi a renversé l'exclusion en en faisant un hymne à sa gloire :
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Dans la revue Miroir/Miroirs sur les fluides corporels, la drag-queen Veronika Von Lear, digne héritière de l'américaine Divine, notait :
Les gays ont peur d'être catégorisés, de la stigmatisation. Ils veulent rentrer dans le moule de la société actuelle et ne pas assumer une différence. C'est plus simple d'être accepté quand on passe pour un hétéro. (…) On a le classique « mascformasc » (ou « virilpourviril ») sur les sites de rencontre, dans 95% des cas, ils ne montrent pas leur tête. Est-ce plus viril d’être bien foutu et poilu ou de ne pas avoir peur de s’assumer ?
La chercheuse Lucille Toth questionnait dans la même revue, dont elle a dirigé le numéro consacré aux fluides et au gras :
Est-ce qu’être gras aujourd’hui serait une forme de résistance face au dictat moderne du productif ? Serait-ce politique, féministe, radical que de montrer son gras sans honte ? Et est-il possible de bien vivre son gras en 2016 ou doit-il toujours être justifié lorsque mis en avant ?
Pour les personnes concernées, le développement d’une communauté bear est un vrai havre de paix. Et de fun ! Et Nicolas Maalouly, qui fait partie de l’association des Ours de Paris et organise le char bear de la Pride de conclure :
Comme disait un ami, la seule différence entre une soirée bear et une soirée pas bear, c’est le pot de rillettes ! Il y a de la bière, de la bouffe, on enlève nos t-shirts, on danse… La convivialité.
Peut-être plus qu’ailleurs ?
Pour en savoir plus :
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Crédit photo couverture : Modern family / ABC