Les Femen sont libres de scander "In Gay We Trust"

Par Julie Baret le 13/12/2016
Femen In Gay We Trust

Les Femen qui fendaient les rangs de Civitas sous le slogan "In Gay We Trust" en 2012 ont été relaxées en appel contre l'accusation d'injure portée par des catholiques intégristes. Explications avec l'ex-Femen Eloïse Bouton.

On avait réfléchi à l'action au moins trois semaines avant. On avait pensé à un scénario parodique pour leur faire comprendre qu'on n'était pas d'accord avec eux, mais de manière parodique.

Cette scène remonte au 18 novembre 2012. En France, les pro et les anti-mariage pour tous sont à couteaux tirés autour de la notion d'égalité. La veille, les sympathisants de Frigide Barjot ont déjà battu le pavé parisien, mais une autre manifestation se prépare, gonflée par les rangs d'associations catholiques intégristes et de mouvements d'extrême droite.
Eloïse Bouton est engagée dans la lutte féministe depuis une dizaine d'années. Après avoir milité au sein de Ni pute ni soumise, Osez le féminisme ! et La Barbe, elle prend part aux actions des Femen qu'elle trouve à la fois "hyper drôles" et "hyper justes". Lorsqu'Inna Shevchenko obtient l'asile en France, elle aide même la leadeuse du mouvement à fonder la branche Femen France. Pour elle, les manifestations anti-mariage pour tous sont à la fois "une attaque contre la liberté des femmes à se marier et à adopter" et une "ingérence dans la vie des hommes et des femmes".

Femen In Gay We Trust
Crédit photo @thegreytigerberlin/Instagram

"In Gay We Trust", "Fuck Church", "Occupez-vous de votre cul"

Ce jour de novembre 2012, elles sont donc neuf Femen à se munir de faux voiles de nonnes, de porte-jaretelle et d'extincteurs baptisés "Holy Sperm" dans le but d'écarter la foule réunie par Civitas, groupe catholique d'extrême droite, et gangrenée par le GUD. Chacune choisit aussi un slogan à se peindre sur le torse. Eloïse opte pour "In Gay We Trust". "Parce que dans Fuck Church il n'y a pas tellement de second degré. Or je pense que le côté cynique et parodique fonctionne bien mieux que des insultes ou des slogans unilatéraux." Leur objectif est de se greffer dans la manifestation pour scander leurs slogans, mais l'infiltration dérape.

J'ai ce souvenir... Juste avant d'entrer dans le cortège, il y avait devant nous un groupe de jeunes qui chantaient des chants nazis. Ça m'avait complètement glacé le sang car je ne pensais pas que c'était possible d'entendre ça à Paris en 2012. J'ai eu très peur. Mais l'adrénaline aidant et le moment de l'action étant arrivé, on a fait tomber nos manteaux, on a fendu le cortège des manifestants, on a commencé à scander nos slogans, et là ça a été un déferlement de violence.

Femen In Gay We Trust
Inna Shevchenko (au centre) et Eloïse Bouton (à droite) - crédit photo @femenspain/Instagram

"On a réussi à s'extraire du cortège et on a couru"

Les neufs féministes sont immédiatement attaquées par des manifestants ainsi que par le service d'ordre du défilé censé assurer leur sécurité.

On a réussi à s'extraire du cortège. On a été aidé par quelques journalistes qui suivaient la manifestation pour s'enfuir. Et après on a couru, on s'est réfugiées derrière un cordon de CRS qui protégeait une contre-manif LGBT un peu plus loin. Et on est restées là jusqu'à ce que la police nous dise de partir.

Aux urgences médico-judiciaires, Eloïse et les autres Femen font constater des blessures graves coûtant à chacune plusieurs jours d'ITT. On dénombre des nez cassés et des côtes fêlées. Les Femen portent toutes plainte, mais cinq ans après, nulle trace de procès ; il devrait se tenir l'année prochaine.
Au même moment, l'Alliance générale contre le racisme et la défense de l'identité français et chrétienne (AGRIF) porte plainte pour "injure commise envers un groupe de personnes en raison de leur appartenance à une religion déterminée".Une accusation déboutée en première instance en février 2016; le tribunal relaxe Eloïse et les autres Femen au nom de la liberté d'expression, relevant la critique humoristique de la performance et non une quelconque attaque contre des personnes. Depuis, l'AGRIF a fait appel en civil, réclamant des dommages et intérêts. Le verdict a été rendu jeudi 8 décembre : "Relaxe !" clamait Eloïse sur son mur Facebook. Malgré l'acharnement des réactionnaires, le tribunal a rendu la même conclusion qu'il y a quelques mois.

"Il y a un prix à s'engager"

Le slogan qui a posé le plus de problème c'est "In Gay We Trust" parce que je pense que l'association de dieu et de l'homosexualité c'est une sacrée horreur pour eux. Et c'est aussi le slogan qui a été le plus débattu au cours de l'audience. Or il faut remettre les choses dans leur contexte : le slogan original [In God We Trust] est sur les billets de banque aux Etats-Unis. Il a été énormément repris depuis. On l’a même décliné en “In Gouine We Trust” par la suite.

Femen In Gay We Trust
Crédit photo @femenspain/Instagram

L'AGRIF dispose encore de quelques jours pour se pourvoir en cassation. Une hypothèse plausible selon Eloïse, car cette "frange de la population est extrêmement procédurière et sait très bien comment épuiser les militants" d'autant qu'elle “se sent investie d’une mission internationale.”
Bien qu'elle ait quitté les Femen en février 2014 parce qu'elle n'était "pas d'accord avec le mode de communication opaque, et des actions trop binaires ou trop systématiques", cette-dernière a encore plusieurs procès en cours. Après-demain surtout, elle est jugée en appel pour une action menée à l'Eglise de la Madeleine afin de défendre le droit à l'avortement. "Il y a un prix à s'engager."
 
Couverture : crédit photo Eloïse Bouton/Facebook