Alors qu’aujourd’hui, la séropositivité ne veut plus forcément dire être contaminant, qu'on peut vivre bien avec un traitement léger et la possibilité d’être socialement intégré (sans oublier les personnes qui n’ont pas ces trois chances), le tabou est encore immense. Très peu de personnes parlent à haute voix de leur vie avec le VIH.
Le VIH a mauvaise presse. On ne veut parler que de vaccins, d’espoirs ou de prévention des séronégatifs. Pas de vie quotidienne avec le VIH. Pas de prise de risque, d’intime, de vrai sexe, de sexe gay. De maladie, aussi bien vécue soit-elle. On parle communautaire. Pas individu. Pas de la réalité d’être une personne séropositive. Ou si peu... Et chez les personnalités encore moins, évidemment. Jean-Luc Roméro, Charlotte Valandrey, Richard Cross aujourd'hui en France par exemple… Ils sont peu et très discrets. Mais ils et elle existent. Ils sont là.
Alors que le sujet aurait besoin de haut-parleurs, il se heurte aux murs de l’indicible. Et personne ne peut alors se projeter, s’identifier, se sentir concerné par ce qui nous entoure pourtant... Un peu, mais pas là où ils sont le plus utiles : dans les médias que lisent les jeunes et les gays…
Parler ouvertement de sa séropositivité est à la fois un geste de courage, une action militante, une condition indispensable pour changer le regard de la société sur le VIH, mais cela n’est pas sans conséquences. Le coming-out séropo est chargé d’un imaginaire encore plus violent que celui du coming-out gay. C’est encore la vision du sida des années 80 qui prévaut, globalement. Pour soi, moins de risque de mort – on sait que c’est devenu une maladie chronique presque invisible -, mais quand l'autre en face de soi est concerné : on panique, on délire, on fabule avec un vieux référentiel. On invoque des stigmates qui n’existent plus : c’est Le Luron qui cache sa maladie, c’est Freddie Mercury qui meurt une semaine après l’avoir « dit », c’est Charlie Sheen à qui on essaie d’extorquer de l’argent en le menaçant de révéler son quotidien avec un virus.
Les grandes causes consensuelles réunissent des parterres de stars empathiques, mais rarement on entend des personnalités directement concernées par les problèmes. Où sont les stars gays dans la lutte contre le sida ? Futile ? Bien sûr, peu de personnalités dévoilent leurs maladies, ni leur vie privée en général – à quoi bon, dit la majorité. Mais il existe bien une urgence d’en parler pour enrayer l’épidémie. Partout et par tous. Tous les moyens sont bons, toutes les voix comptent. Il faut des résonateurs.
C’est difficile pour elles et eux, alors imaginons ce que c'est pour un migrant, un gay isolé ou un jeune acteur débutant… Ce n’est certainement pas de leur faute : au quotidien, le non-jugement et la bienveillance ne sont pas des valeurs universelles. C’est certainement la nôtre, grand public, de ne pas toujours être assez séro-concernés.
Jean-Luc Roméro, président des Élus locaux contre le sida, élu à la mairie de Paris, nous confiait récemment :
Dans une société comme la nôtre, le sida reste une maladie honteuse et taboue. Mais en même temps si on ne le dit pas, quand on est élu ou une personnalité, comment lever ce tabou ? On ne peut pas donner de conseils aux gens, mais pour moi ça a été un soulagement. C'était une libération. Quand on est atteint, on passe plus de temps et d'énergie à le cacher qu'à lutter contre le virus... Mais ce n'est pas facile, on peut se faire virer, on ne peut pas aller dans certains pays, on a des difficultés à rencontrer des partenaires amoureux, etc...
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L'importance de la "disance"
Une personnalité qui parle, c’est un mégaphone qui dit que cela arrive à tous, qui peut amplifier les messages de prévention et de lutte contre les préjugés qui fondent la sérophobie.
Douze ans après avoir appris qu’il avait attrapé le VIH, l’écrivain et ancien journaliste de Radio-Canada Denis-Martin Chabot a décidé de partager la nouvelle avec le grand public québécois, dans un long texte publié sur son blogue. Après avoir eu grand écho dans l’espace public, il nous explique sa démarche, et les réactions :
Je n'ai pas eu connaissance d'autres personnes publiques qui auraient fait leur coming-out de séropositivité au Québec. Quant à savoir pourquoi c'est difficile, la sérophobie est encore bien présente. Les séropositifs ont peur d'être stigmatisés, mis de côté par leurs patrons, moins aimés par le public. C'est encore une condition difficile à vivre. Il y a encore de la honte d'être atteint. J’ai eu peur d’être ostracisé. J’ai eu peur de la réaction des miens, et que mes amis me rejettent. J’ai eu peur également au travail que mes patrons me mettent de côté. Ce ne fut pas le cas heureusement. J’ai eu honte. Je ne voulais pas qu’on me juge et qu’on me dise que j’ai eu ce que je méritais pour ne pas avoir utilisé le préservatif, quand finalement je n’avais besoin de personne pour me culpabiliser, j’y arrivais très bien, moi-même. J’ai eu peur de l’intimité, qu’on me rejette quand je dirais que je suis séropo, ce qui est arrivé dans plus de 90 % des cas.
J’ai eu honte de mon corps, honte de ma maladie, honte de moi. J’ai gardé le silence. Et pourtant, je suis chanceux. J’ai accès aux meilleurs médecins et aux meilleurs traitements et médicaments disponibles. J’ai une assurance qui paye tout ça. Je vis très bien avec ma condition. Je m’entraîne trois fois par semaine et je cours entre 6 à 10 km également trois fois par semaine. J’ai pu continuer ma carrière de journaliste à la télévision et à la radio, et couvrir les nouvelles au quotidien et travailler de longues heures stressantes sans me plaindre de ma santé. J’ai voyagé plusieurs fois au Canada, aux États-Unis, en Europe et en Afrique, sans problème. Et preuve supplémentaire qu’on peut bien vivre avec ce virus, j’ai une vie amoureuse qui me comble avec un homme formidable. J’ai commencé à m’ouvrir très récemment auprès de certains amis. Je l’ai fait aussi à mon lieu de travail. Dans ce dernier cas, je préparais mon départ à la retraite, je n’avais plus rien à perdre. Ce n’était pas très brave de ma part. Or, comme journaliste et communicateur, je sais parler.
La journée de la disance - en octobre - a été créée par l’association française Aides, dans l’idée d’ouvrir le dialogue, d’agir ensemble sans distinction de sérologie pour une cause commune. C’est l’idée de ne pas rester seul avec son quotidien, de briser les tabous, de parler en vérité.
Alors célèbre ou non, solidaire sûrement, séro-concerné d'hier ou de demain, déjà, pour commencer. Le plus important reste que chacun.e le fasse à son moment, et comme il ou elle l'entend. S'il l'entend, et s'il veut qu'on l'entende.