Quand on est séropositif aujourd’hui, en 2016, en France, on ne peut toujours pas acheter un logement, entrer dans certains métiers de l’armée ou dans certaines administrations de la Fonction Publique, recevoir des soins funéraires dignement ou même voyager dans certains pays… Rencontre avec Jean-Luc Roméro qui nous raconte ses 30 ans avec le VIH.
Il est encore aujourd’hui le seul élu français à avoir dit sa séropositivité (et son homosexualité), l’une des rares personnalités françaises, avec Charlotte Valandrey, même, à avoir levé le tabou. Jean-Luc Romero est un « SurVivant », comme il se définit dans son nouveau livre, dans lequel il relate 30 années de vie avec le Sida. (Ed. Michalon). C’est évidemment un exemple parmi d’autres, avec un métier, des réseaux, du pouvoir (relatif) et des soutiens, mais – malgré tout – toujours victime des mêmes discriminations que toute personne qui vit avec le VIH.
Retour sur 30 ans de route avec un virus pas comme les autres dans la communauté gay.
TETU : En tant que personne vivant avec le VIH, votre quotidien est-il le même aujourd’hui qu’une personne séronégative selon vous ?
Jean-Luc Roméro-Michel : Oui et non.
Oui car, même si je vis avec le VIH depuis 30 ans, je peux penser ma vie, mon avenir. J’ai eu l’immense bonheur de me marier, je travaille, je vis. C’est grâce au travail acharné des médecins et des chercheurs qui font progresser les traitements que j’en suis là. C’est aussi, et je veux lui rendre hommage, grâce à mon médecin qui me suit depuis tant d’années, le professeur Willy Rozenbaum, également co-découvreur du virus du sida, j’en parle largement dans mon livre « SurVivant ».
Non, car le sida m’a appris à vivre dans l’urgence, sans doute bien plus qu’une personne séronégative.
Non, car je suis atteint d’une maladie qui malgré tout reste mortelle et on meurt toujours du sida, même en France – plus de 3200 morts par jour dans le monde, en 2016... Non, car le sida est une maladie qui isole, qui discrimine, qui précarise et face à ça, est-ce à moi de changer, est-ce aux personnes séropositives de changer ? Non c’est bel et bien la société qui doit évoluer, qui doit avoir un autre regard…
Aujourd’hui marié, élu, hyperactif, SurVivant à bien des disparus, vous prouvez que rien n’arrête une personne qui vit avec le VIH, même depuis 30 ans: d’où vient cette force ? Quelles ont été vos atouts, vos aides durant toutes ces années ?
J’ai identifié 6 raisons utiles pour les séropositifs comme pour tous les malades que je résume à la fin de mon livre, ce sont des recommandations que je tire de mon expérience personnelle. Je peux les résumer de cette manière :
- Continuer à travailler, avoir une vie sociale, s’occuper des autres, en somme ne pas s’isoler et ne pas s’interdire de penser sa vie à moyen terme, au contraire !
- Avoir un suivi médical rigoureux et plus que cela, être un vrai acteur de sa maladie et donc dans une démarche de dialogue avec le corps médical et ce, afin de ne pas subir sa maladie. Intégrer aussi l’idée de la mort car elle aide à vivre et à aimer plus intensément.
- S’autoriser l’amour ! Et à ce propos, je me permets de rappeler cette réalité scientifique pas assez connue : une personne séropositive avec une charge virale indétectable depuis plus de 6 mois, n’est plus susceptible de transmettre le VIH … Elle est « séro inoffensive » !
Qu’est ce qui a été le plus difficile durant ces 3 décennies ?
Ce qui a été le plus difficile à vivre et qui l’est encore aujourd’hui, c’est le départ de proches qui m’étaient chers et qui manquent encore terriblement aujourd’hui. C’est compliqué d’imaginer aujourd’hui ce qu’a pu être cette époque du début de l’épidémie, la violence des mots et des discriminations, la peur de mourir, l’impuissance. Comme le dit la chanson, « c’est un temps que les jeunes de 20 ans ne peuvent pas connaître ». Qu’ils ne peuvent pas connaître, et que je leur souhaite surtout de ne jamais connaître. C’était des enterrements toutes les semaines… SurVivant est un hommage à tous ces morts célèbres ou non…
De nos morts sont nés la colère, l’activisme, la volonté farouche de changer le monde, de contraindre les pouvoirs publics à œuvrer eux, qui étaient murés dans le silence et dans un confortable immobilisme, dans un immobilisme coupable. Comme je le rappelle dans mon livre, les présidents Reagan et Mitterrand n’ont pas dit le mot sida avant … 1987 !
La culpabilité aussi d’être encore vivant quand tant sont morts ou continuent à mourir dans les pays du sud dans une indifférence glacée…
Le manque, voilà ce qui est le plus dur mais c’est aussi un moteur ; car les promesses que nous avons faits à ceux qui sont partis, nous engagent. La lutte contre le sida est une promesse et une promesse est faite pour être tenue !
Malgré votre médiatisation, votre fonction d’élu, votre courage, vous êtes encore victime de discrimination au quotidien ? Lesquelles ?
Celles que subit, au quotidien, une personne séropositive. Je m’explique en vous donnant un chiffre : la dernière enquête de AIDES, parue il y a quelques semaines démontre que 30% des personnes séropositives ont été discriminées du fait de leur statut sérologique. Aucune sphère n’est épargnée, ces discriminations, elles se font dans la sphère amicale, familiale, médicale, professionnelle. Cela l’a été pour moi, et cela l’est encore aujourd’hui. J’en donne des exemples récents dans le livre.
Celles que subit, au quotidien, un militant pour les droits LGBTI. Vous connaissez tous comme moi – nous le vivons ! - le contexte en France avec ce « débat » sur le mariage pour tous qui a aussi servi de tremplin aux extrémistes pour légitimer un discours de haine et installer la parole homophobe dans notre société. Certains responsables politiques, si prompts à attiser la haine lors de ce « débat », jouent aujourd’hui les blanches colombes. J’espère que nous saurons leur rappeler leur responsabilité.
Personnellement, je reçois tous les jours des insultes, voire des menaces de mort, principalement via les réseaux sociaux. Avec 30 ans de militantisme derrière moi, j’essaie de me blinder et je n’hésite pas à porter plainte quand je l’estime nécessaire. Mais pour un jeune gay, pour une ado lesbienne ou trans, vous imaginez l’impact que ce harcèlement peut avoir ? Tapis derrière leurs écrans, les homophobes doivent savoir les conséquences de leurs actes : une jeune homosexuel a quatre fois plus de risques de faire une tentative de suicide qu’un jeune hétérosexuel. Les homophobes ont du sang sur les mains. Il faut le dire !