4 anciens dirigeants d'Act Up-Paris nous racontent leurs souvenirs, et nous rappellent ce que les gays (et les) séropositifs - mais aussi les séronégatifs, doivent à l'activisme de l'association.
Depuis presque 30 ans, les antennes d'Act Up veillent : dénonciation des laboratoires ou des politiques, déremboursements ou inégalités de traitements, discriminations ici et ailleurs… D’Act Up-Paris - née 2 ans après son aînée américaine -, le grand public connaît l’emballage de l’obélisque de la Concorde par une capote géante, ses zaps médiatiques, ses sitting et dying, des méthodes d'action reprises partout, moins ses combats et ses victoires, ou ses dirigeant.es. Un film, "120 battements par minute" est la sensation du festival de Cannes 2017, 28 ans après la création de l’antenne française de l’association. L’occasion de regarder dans le rétro pour réaliser le chemin parcouru, et la taille de celui qui s’ouvre.
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Didier Lestrade - Président pendant 3 ans, de 1989 à 1992 (premier président). Il co-créera TÊTU en 1995.
L'événement dont j'ai été le plus fier, ce sont nos participations à la Gay Pride de 89 et des années suivantes, surtout en 1990 quand on a vu que soudain beaucoup de monde nous rejoignait. Il faut se rappeler qu'à l'époque il n'y avait pas de visibilité VIH à la Gay Pride, il y avait tout ce discours associatif sur le fait qu'il fallait "séparer" la visibilité gay du sida, ce que je trouvais ridicule sinon insultant. Avec ses drapeaux et ses t-shirts, Act Up-Paris a montré que la honte d'être séropo pouvait être transformée en fierté à un moment où il y avait si peu de traitement et ça a contribué à un mouvement qui a touché tout le monde, même ceux qui avaient peur.
Act Up-Paris a permis aux gays séropos ou malades d'être visibles en tant que tels et nous avons déclaré dès le début que nous faisions partie de la communauté gay, ce qui était un concept que beaucoup ne voulaient pas accepter. Nous avons apporté des manières de militer qui étaient très frontales, avec tout l'héritage du militantisme américain, ce que d'autres aussi n'acceptaient pas parce que ce n'était pas "français". Nous avons obligé Aides à être plus engagé. Nous avons appris aux gays à s'organiser d'une manière démocratique et à affronter le gouvernement et les institutions. Enfin, nous avons contribué en première ligne au développement de nouveaux traitements qui ont sauvé la vie de dizaines de milliers d'homosexuels.
J'ai officiellement quitté Act Up-Paris depuis 2004 sur des différences de position face au bareback et à la prévention. Je dis depuis de nombreuses années qu'Act Up aurait dû s'autodétruire car il n'y a plus qu'une vingtaine de personnes aux réunions et que l'association prend une part symbolique dans la communauté LGBT qui empêche les nouvelles générations de créer leur propre mouvement. L'engagement doit aujourd'hui être mené par les jeunes et une association qui a presque 30 ans ne peut plus convenir aux aspirations des nouvelles générations.
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Christophe Martet - Président pendant 3 ans, 1994-1997 (Journaliste à TÊTU, puis co-fondateur de YAGG)
Pour l'action dont je suis le plus fier et qui a vraiment changé les choses, c'est la série d'actions qu'Act Up a mené au cours de l'année 1995-début 1996 pour obtenir les antiprotéases, une nouvelle classe de médicaments antirétroviraux et qui ont changé la face de l'épidémie.
Devenus experts de la maladie et des traitements, nous avons multiplié les actions : occupations d'usines des laboratoires, manifestations devant le ministère de la Santé, interpellations des dirigeants des laboratoires lors de réunions publiques.
Il faut se rappeler que début 1996, il était prévu que les malades soient tirés au sort pour pouvoir bénéficier des antiprotéases. Sans les actions d'Act Up, et des autres associations, sur cette urgence thérapeutique, des centaines, voire des milliers de malades seraient morts. Moi-même ne serait peut-être pas en train de vous parler.
En militant à Act Up, les gays se sont bien sûr engagés contre le sida, pour l'accès aux traitements, pour les droits sociaux des personnes atteintes. Mais dès le départ, Act Up-Paris veillait à défendre toutes les populations touchées par le sida. Ce qui veut dire que des gays se sont battus pour les droits des prisonniers, pour les droits des personnes racisées, pour ceux des travailleurs du sexe. On parle beaucoup aujourd'hui d'intersectionnalité, mais il y a 20 ans, je pense qu'Act Up était un des rares mouvements militants à présenter une telle diversité. Et nous ne réclamions pas des droits spécifiques. Un exemple : la charte des droits du patient hospitalisé, que nous avons obtenu en 1994 après de longues négociations avec Simone Weil et Philippe Douste-Blazy, s'impose à tous les hôpitaux et bénéficie à tous les malades.
Notre stratégie a sans doute ouvert la voie au combat pour le pacs et le mariage : une même loi pour tous.
J'ai cessé de militer activement à Act Up à partir de 2003-2004, principalement en raison de contraintes professionnelles. Et puis il faut faire la place à d'autres. De façon plus personnelle, c'est vrai que des réunions hebdomadaires avec quelques participants ne me donnaient pas envie de m'investir. Selon moi, face à la baisse de l'activisme anti-sida, Act Up aurait pu s'appuyer davantage sur les réseaux sociaux.
Cependant, il faut reconnaître qu'Act Up n'est pas mort. J'ai récemment lu le rapport d'activités 2015 de l'association et ses actions sont très nombreuses et souvent très utiles. Je pense notamment à la permanence "Droits sociaux", qui permet de résoudre les difficultés de nombreux malades.
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Emmanuel Château – Co-président avec Hugues Fischer entre 2006 et 2008.
Pendant ma présidence, l'action la plus fun je crois a été la fois où des militants ont aspergé de faux-sang la façade de l’Élysée pour dénoncer une réunion où Chirac se donnait le beau rôle alors que la France baissait son soutien à la lutte contre le sida. L'action était géniale, les détails de la réalisation nous ont tellement fait marrer. Les flics étaient sidérés. Évidemment tout le monde a été placé en garde à vue, et nous sommes parvenus dans la soirée à organiser une manifestation sauvage devant le commissariat.
Je crois que l’affiche "Votez Le Pen" que nous avons sortie pour l'élection de 2007 était une des meilleures que l’on ait faite. L'histoire de cette affiche est géniale : le fait qu’on ait récupéré l’image de Peter Lindberg en pensant qu’il n’oserait pas nous poursuivre, qu'ensuite les poursuites aient eu lieu via son agence Havas qui était liée à Sarkozy, la réaction de Sarkozy qui est devenu complètement dingue, le retrait de l'affiche pour les droits puis sa remise en ligne pas des camarades hackers… Le gros fun quoi !
Une des choses dont je suis le plus fier également, de cette époque là, a été l'énorme attaque contre Abbott alors que le laboratoire pour punir la Thaïlande qui avait décidé d’avoir recours à des médicaments génériques avait retiré d’autres médicaments pour des cancéreux. Nous avons lancé à cette époque (avant que cela soit courant) une attaque par déni de service sur le site d’Abbott le jour de son assemblée générale. Le lendemain on a reçu un fax de plusieurs centaines de pages des avocats d’Abbott nous menaçant de peines de prison. L’affaire a pris une tournure internationale pendant des mois. Nous avons réussi à créer une mobilisation internationale contre ce labo et ses politiques en Thaïlande. La couverture de la presse mondiale a été énorme et, paradoxalement, presque rien en France ou alors des journalistes à moitié complices. Abbott a finalement cédé. Le lobby des laboratoires pharmaceutiques ne savait plus où se mettre.
Je pense fondamentalement qu’Act Up a sauvé un paquet de vies. Et c'est sans doute le plus important. On a permis un accès beaucoup plus rapide aux traitements qui a sauvé la vie à des milliers de personnes. Mais plus fondamentalement, pour plein de mecs dans les années 90, et tout particulièrement avant l’arrivée des trithérapies, cela a été un retour à la vie. Plus généralement Act Up a ramené une repolitisation de la question gay, et une manière nouvelle de faire de la politique en étant pédé, sans se limiter aux seuls enjeux LGBT.
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Cécile Lhuillier - Co-présidentE avec Frédéric Navarro en 2012-2013
J'étais co-présidente d'Act Up-Paris pendant les débats sur l'ouverture du mariage aux couples de même sexe. Act Up a soutenu la constitution d'un bloc associant les revendications des LGBTI à celles des sans-papiers et des travailleur.se.s du sexe : "l'égalité des droits ça ne se divise pas". C'est ainsi que nous avons monté un cortège dans les manifestations officielles qui comprenait diverses orgas, rassemblant un grand nombre d'individuEs, et surtout au sein duquel aucune minorité n'était secondaire. Bizarrement, lors de la grande manifestation de janvier 2013, ce cortège a dû emprunter un parcours différent du parcours principal...Nous n'étions sans doute pas assez bien pour la voie royale !
Plus tard, juste avant le vote de la loi, c'est également Act Up qui a initié un rassemblement place de l'Hôtel de Ville suite à l'agression de Wilfred de Bruijn et aux actes de vandalisme sur la façade du lieu qui hébergeait le printemps des assos. Action / réaction, ça nous ressemblait. L’événement a été très suivi, les bars du Marais ont même fermé pendant le rassemblement.
Enfin, le 21 avril 2013, c'est encore Act Up-Paris qui a organisé au pied levé un rassemblement à Bastille, le jour où la MPT battait encore le pavé, qui plus est un 21 avril qui est une triste date (21 avril 2002 s'il est encore besoin de préciser à quoi ce jour correspond).
Act Up a selon moi permis aux gays séropositifs, à l'époque, de cesser d'avoir honte, ce fût un outil essentiel dans l'inversion du stigma, dans la visibilité des personnes séropositives. Act Up n'a par ailleurs pas apporté qu'aux gays, l'asso a su considérer le sida comme une maladie politique, et en avoir une approche transversale, et qui n'oublie personne : putes, prisonnier.e.s, trans, femmes, usager.e.s de drogues, migrant.e.s etc etc sont autant de minorités qu'Act Up a soutenu, via la lutte contre le VIH.
Les "Zaps" les plus récents d'Act Up-Paris
Malgré les difficultés financières et des rangs clairsemés, Act Up-Paris continue d'agir. Et de vivre ! L'association continue de nous alerter, avec ses moyens et ses techniques propres d'interpellation de la sphère publique.
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Pour suivre et soutenir Act Up : www.actupparis.org