Une promesse de promenades, entre les corps, les visages, les rues, les parcours de vie... Les rues sont celles du quartier d'Harlem à New York, où celui qui est né dans le Kentucky à la fin des années 60 a élu domicile. Les corps et les visages, ceux d'hommes rencontrés au hasard et à qui il a demandé de poser après avoir écouté leurs histoires.
Avant un shooting, j'ai besoin de discuter avec les gens. De leurs buts, de ce qui les énervent, de ce qui les motivent. Je les questionne sur leur famille, leurs histoires d'amour, sur ce qu'ils font dans la vie. Quand tu interroges les gens de cette façon, ils en disent bien plus que ce que tu veux savoir. Tu rentres dans leur tête.
Sean Patrick Watters a quitté sa carrière de danseur pour se consacrer à la photographie, après une tournée de plusieurs mois durant laquelle il a sillonné les États-Unis. De la danse, il a gardé dans son art l'amour du corps, délesté de ses artifices et de sa théâtralité. Ses photographies, prises à la lumière naturelle qui se déverse depuis la fenêtre de son appartement new-yorkais, jouent de pudeur et de sensualité. Privilège pour le noir et blanc, qui pare d'un clair-obscur velouté l'épiderme et les émotions de ses modèles. Des compositions chiadées, poétiques, authentiques réunies ce week-end dans l'exposition "I have a tale to tell" ("j'ai une histoire à raconter").
Souvent, on est nu avec quelqu'un d'autre, ou après un entraînement de sport. Mais être nu devant un autre homme, surtout si tu n'es pas gay, ça peut rendre très mal à l'aise. Je voulais capturer cet inconfort, je voulais que mes modèles m'expliquent pourquoi ils n'étaient pas à l'aise. C'est souvent comme ça qu'ils commencent à se dévoiler.
Un appartement donnant sur l'Empire State Building, vidé de ses meubles mais pas de son propriétaire, un ami de l'artiste qui pose nu devant la flèche du gratte-ciel. Tel est le premier cliché de Sean Patrick Harris exposé à Paris à la demande de René-Julien Praz qui rassemble chaque année les œuvres de centaines d'artistes au bénéfice de la lutte contre le sida lors des soirées Art is Hope. "Vu le nombre de mails qu'il m'avait envoyé, j'ai presque cru à une sorte de pervers !" confie en riant Sean Patrick Watters, qui accepta volontiers l'invitation ; au début des années 1990, il a aidé le mari d'une amie, séropositif, dans les gestes du quotidien.
Quatre ans plus tard, ses œuvres servent de nouveau la lutte contre le sida sous la direction de René-Julien Praz, architecte de cette exposition. Le bénéfice des ventes permettra au fonds de dotation LINK de financer les programmes "SPOT" de l'association AIDES : des espaces communautaires de santé sexuelle inspirés du modèle anglosaxon, réunissant infirmières, médecins, accompagnateurs, etc.
Sur les murs blanc de la fondation EDF trônent ainsi soixante-douze tirages uniques capturés entre 2010 et 2017, et autant d'anecdotes que le commissaire comme l'artiste aiment à raconter. Un père de famille à la musculature d'Apollon, un couple de voisins posant sur les marches de l'immeuble qui les abrite tous les trois, un jeune de bonne famille qui multiplie tatouages et bijoux gothiques, un homme qui refusa de poser jusqu'à ce que son ami accepte de se glisser nu au pied de la photographie, un doigt d'honneur capturé en 2011 mais réactualisé en un clin d’œil au président américain grâce au titre "Trump you!", un papillon posé sur une main durant la Gay Pride new-yorkaise de 2014 et qui rappela à Sean Patrick sa propre mère, un jeune homme de 19 ans photographié à Paris, les bras croisés et une cigarette entre les doigts...
J'ai besoin de cette vulnérabilité que l'on dégage lorsque l'on est nu.
Plusieurs de ses modèles - dont beaucoup sont Parisiens - sont depuis devenus de célèbres mannequins. Le nom de Sean Patrick Watters, qui signe aussi les shootings de mode des plus grands magazines, renforce sa place dans l'univers des galeries. Cette automne, l'artiste exposera à Los Angeles sous un titre qui rend hommage aux vocalises de Judy Garland et, si la rumeur dit vrai, à la genèse du drapeau arc-en-ciel inventé par Gilbert Baker : "Over the rainbow".
Retrouvez le travail de Sean Patrick Watters sur son site officiel. Le catalogue de l'exposition est consultable ici.
Couverture : ASJ ©Sean Patrick Watters