A l'occasion de la Journée du souvenir des victimes de la déportation, TÊTU a rencontré Denis Erhart, le président Des « Oublié.e.s » de la Mémoire, une association qui défend le devoir de mémoire envers les déportés pour motif d'homosexualité.
Aujourd'hui, on célèbre la Journée nationale du souvenir des victimes et des héros de la déportation. De nombreuses cérémonies sont organisées partout en France, généralement à l'endroit où des mémoriaux ont été érigés.
A Paris, les commémorations auront lieu au mémorial de la Shoah, dans le 4e arrondissement. Parmi les nombreuses associations présentes, l'une d'entre elles porte le devoir de mémoire des déportés pour motif d'homosexualité, Les Oublié.e.s » de la Mémoire. Pour la première fois, l'association déposera une gerbe en hommage aux victimes juives de la déportation avec, à ses côtés, le groupe juif LGBT Beit Haverim. Ce maillage mémoriel est essentiel pour ne pas créer une hiérarchisation des motifs de déportation et ainsi faire vivre conjointement le souvenir de tous les déportés. Les associations se rendront à l'île de la cité au mémorial des martyrs.
De la reconnaissance à la visibilité
Pourquoi Les « Oublié.e.s » ? Parce qu'il aura fallu du temps pour que la déportation pour motif d'homosexualité soit officiellement reconnue en France. Le dimanche 24 avril 2005, Jacques Chirac est le premier président de la République à l'évoquer lors de la Journée nationale du souvenir des victimes et des héros de la déportation :
Nous sommes là pour nous souvenir que la folie nazie voulait éliminer les plus faibles, les plus fragiles, les personnes frappées par le handicap dont l'existence même faisait affront à leur conception de l'homme et de la société. En Allemagne, mais aussi sur notre territoire, celles et ceux que leur vie personnelle distinguait, je pense aux homosexuels, étaient poursuivis, arrêtés et déportés.
En France, on estime à 62 le nombre de déportés pour motif d'homosexualité (réelle ou supposée). Est-ce ce « faible » chiffre en comparaison des millions d'autres déportés qui explique cette reconnaissance tardive ? Ou le tabou social de l'homosexualité ? Probablement un peu des deux...
Depuis cette reconnaissance, d'autres défis on vu le jour, comme nous l'explique Denis Erhart, le président des « Oublié.e.s » de la Mémoire. Et de se demander comment faire mémoire ensemble avec les autres associations de déportés ? Comment assurer la visibilité mémorielle pour déportation pour motif d'homosexualité en France ? Cela en passe par diverses actions commémoratives, de recherche (études mémorielles), de dialogues avec les autres Mémoires...
Les défis de demain
Les « Oublié.e.s » de la Mémoire ont également interpellé les candidats à l'élection présidentielle sur trois points. Tout d'abord, l'association demande à ce que « la date du dernier dimanche d'avril soit maintenue dans le calendrier national » comme étant la Journée du souvenir des victimes et héros de la déportation. En effet, l’État envisagerait de fusionner cette journée avec les commémorations du 8 mai. Une dilution du devoir de mémoire envers les déportés que refuse l'association.
Ensuite, cette dernière souhaite que "la Journée internationale contre l'homophobie et la transphobie (IDAHOT, ndlr) soit reconnue officiellement en France comme elle l'est déjà dans de nombreux pays". Ceci afin que les événements organisés à son occasion puisse revêtir une véritable dimension officielle.
Enfin, elle milite pour qu'un mémorial dédié aux déportés pour motif d'homosexualité soit érigé à Paris. L'association bénéficie déja du soutien de la mairie. Elle a également été reçue à l’Élysée par François Hollande qui souhaite que ce projet aboutisse. Un souhait que Les « Oublié.e.s » de la Mémoire veulent voir se réaliser le plus rapidement possible. En effet, ce monument est, à ses yeux, essentiel pour assurer son devoir de mémoire, notamment en ayant un lieu symbolique fort où inviter ses partenaires mémoriaux et LGBT.
"Qui se tait est complice"
L'Inter-LGBT, le MAG Jeune, Bi'cause et SOS homophobie seront également présents aujourd'hui lors des commémorations. La présence d'une association LGBT à destination des jeunes, le MAG, est essentielle pour Denis Erhart afin d'assurer « la transmission de ce devoir de mémoire aux générations futures ».
C'est avec ces mêmes associations que Les « Oublié.e.s » de la Mémoire se sont également réunis lors des différents rassemblements organisés pour dénoncer la purge anti-gay en Tchétchénie. Car, bien qu'on ne puisse affirmer qu'il s'agisse de camps de concentration, les similitudes avec les atrocités commises pendant la Seconde Guerre mondiale sont indéniables : viser un groupe donné, réprimer et assassiner. Le positionnement de l'association au sujet de la Tchétchénie est clair : « Qui se tait est complice ». De fait, elle cherche au maximum à diffuser l'information et à alerter les pouvoirs publics. Car c'est bien le rôle de la mémoire : ne pas oublier.