La plus grande marche des fiertés du Moyen-Orient démarre aujourd'hui. Mais comment Tel-Aviv, métropole d'un pays en guerre, est-elle devenue une destination gay-friendly ?
Qu'est-ce que le "mirage gay de Tel-Aviv" ? C'est en ces termes que le journaliste et écrivain Jean Stern a baptisé son dernier livre. Mercredi 7 juin, ce défenseur des droits LGBT s'exprimait au micro de France Inter sur cette "principauté d'opérette décorée aux couleurs gays pendant une semaine". Car pour mieux comprendre comment Tel-Aviv s'est imposée métropole gay-friendly, un retour historique s'impose.
L'auteur nous explique qu'au tournant des années 2000, l'image d'Israël était similaire à Corée du Nord, à la fois parce que c'est un pays en guerre, également en raison du durcissement de la politique à l'égard des homosexuels... A ce moment là,"Israël a besoin de changer son image et va chercher des atouts" : ce sera la high-tech (ses recherches de pointe, notamment développées par l'armée), et ses stations balnéaires.
Les agence de marketing spécialisées sur la cible gay vont alors conseiller aux autorités de Tel Aviv d'investir en destination de ce public à partir de 2008-2009.
Opération séduction
Or le "paradoxe" de ce succès pour la ville, souligne Jean Stern, c'est d'un part "l'homophobie de la société israélienne qui a fait que beaucoup de gays sont venus de tout le pays" et d'autres le "développement d'une idéologie liée au sionisme" pensant qu'il faut "viriliser le juif", notamment par le kibboutz, qui a abouti à un réel "culte du corps dans les années 1990". Au même moment, l'armée israélienne est la deuxième au monde à donner des droits aux homos, juste après celle des Pays-Bas. La société civile dispose aussi du droit à l'adoption conjointe pour les couples de même sexe depuis 2005, à la PMA pour les couples de femmes et à la GPA depuis 2014. Le mariage civil pour tous n'est pas au programme car seul le mariage religieux est reconnu en Israël.
Mais le journaliste est loin d'être berné par opération de "pinkwashing" qui vient améliorer l'image d'Israël à l'échelle internationale. Selon lui, cela "cache l'occupation" de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est et la bande de Gaza, "l'homophobie" (47% de la population - 75% des religieux - pense que l'homosexualité est une maladie), et "l'oppression spécifique des gays palestiniens" dans les territoires occupés et dans la société palestinienne. Surtout, ce militant de la première heure se dit agacé contre ces fêtards sourds aux problématiques politiques.
Opération marketing
Cette année, 200.000 personnes - dont 30.000 touristes - sont attendues dans cette ville aux 420.000 habitants pour célébrer la communauté LGBT lors de toute une semaine de festivités du 4 au 10 juin. Elles marcheront depuis le centre-ville jusqu'à une gigantesque beach party près de Jaffa, et profiteront de tous les événements organisés pour l'occasion, à l'instar d'une grande soirée électro au parc des expositions... Une aubaine pour les hôtels, les restaurants, les clubs et les locations Airbnb car d'après i24News, chaque touriste dépense en moyenne 240€ par jour.
https://twitter.com/jebookunestar/status/873183950222524417
Face à cette marketisation rainbow, nombres de critiques s'élèvent depuis plusieurs années, accompagnées d'appels au boycott. Chen Arieli, militante LGBT à Tel-Aviv rappelait sur France Inter sa volonté de rendre la Pride plus politique et représentative de la lutte globale pour les droits civiques.
Dimanche 4 juin, la police israélienne a arrêté un homme de vingtaine d'années suspectée de vouloir mener une attaque terroriste contre le rassemblement. Une Pride voisine, celle de Jérusalem, garde en mémoire la terrifiante attaque au couteau d'un extrémiste ultra orthodoxe qui avait coûté la vie d'une adolescente de 16 ans, Shira Banki, en 2015.
Mirage gay à Tel-Aviv, un livre de Jean Stern, Éditions Libertalia, 2017.
Retrouvez son intervention ici.
Couverture : Pride de Tel-Aviv en 2015 ©GeorgeDement/Flickr